Au moment où Annie Ernaux publie un nouveau roman, j’ai choisi de lire « La femme gelée » qui traite de son expérience de femme mariée et mère de deux enfants, au début des années 80. Hasard ou coïncidence, un documentaire de Michèle Dominici, à propos des mères au foyer, est proposé sur ARTE et fait même l’objet d’un article dans le « Elle » magazine (France) de cette semaine. En ce qui concerne « La femme gelée », la lectrice découvre l’enfance de la narratrice dans un monde rural et pauvre, puis son adolescence, terreau des premiers émois. Sa quête de l’amour aboutira à la rencontre avec son futur mari. Les amoureux s’installent, vivent heureux dans un petit appartement sans confort. C’est l’arrivée d’un premier enfant qui bouleversera l’équilibre du couple. La narratrice finit par ne plus se reconnaître dans cette nouvelle vie de femme d’intérieur. C’est cette vie inégale, une vie où les tâches ménagères contrarient son quotidien pendant que monsieur travaille, qui fait de la narratrice une femme gelée, figée dans ses ambitions par sa condition de femme. Tout au long de la lecture, il est bien sûr question de liberté et d’éducation dans une société française patriarcale. Comme d’habitude, Annie Ernaux ne nous épargne rien, utilise un style direct sans chercher à plaire. Un texte qui parle à la lectrice comme à toutes les femmes. Bon moment de lecture.
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Un barrage contre l’Atlantique. F. Beigbeder
Ce tome 2 du meilleur livre de Frédéric Beigbeder « Un roman français » surprend dès les premières pages car il s’agit d’un alignement de phrases et non d’un texte. La lectrice se sent arnaquée mais elle poursuit sa lecture, curieuse de découvrir où l’auteur va l’emmener. Au fil des pages, certaines phrases résonnent en elle, des coïncidences surgissent, la beauté du bassin d’Arcachon apparaît. L’oiseau de nuit parisien, au profil de flamand rose (c’est lui qui l’écrit), ne manque pas de culot ni de clairvoyance même s’il est parfois très pessimiste par rapport à l’avenir de notre planète. C’est vrai que Frédéric Beigbeder agace quand il cloue au pilori un auteur dans sa rubrique du « Figaro Magazine ». C’est vrai qu’il a tout d’un enfant gâté, sorte d’icône d’une jeunesse dorée parisienne mal aimée et malheureuse. Pourtant, comme dans le premier tome de son roman le plus sincère, Frédéric Beigbeder apparaît en auteur sensible, à fleur de peau, touchant. Le personnage de Benoît Bartherotte captive, lui aussi, en sentinelle du Cap-Ferret et mentor de l’écrivain depuis sa relation avec Laura Smet. La mission de ce patriarche passionne la lectrice qui, entre nous, a passé une après-midi dans le clan Bartherotte ; Eden menacé par la montée des eaux. Une nouvelle fois, Frédéric Beigbeder passionne lorsqu’il prend le temps d’être sincère, lorsqu’il s’éloigne de son personnage de bobo parisien. Conscient du temps qui passe, Frédéric Beigbeder aborde des thèmes qui lui tiennent à cœur comme le divorce de ses parents, son enfance, ses amours, ses souffrances et ses nouveaux bonheurs. Bon moment de lecture.
La femme de Gilles M. Bourdouxhe
Madeleine Bourdouxhe est une écrivaine belge qui a connu un succès posthume grâce à ce joli roman, réédité en 1985 et adapté au cinéma. Dès les premières pages, c’est l’univers du récit, l’atmosphère et le choix des mots qui captivent la lectrice. L’auteure nous introduit dans un milieu ouvrier vers les années trente. Près des hauts fourneaux, Elisa et Gilles vivent avec leurs jumelles dans un petite maison ouvrière. Gilles travaille à l’usine, se préoccupe de lui même et rêve parfois d’un ailleurs. Enceinte, Elisa s’occupe de la maison et des enfants, tout en attendant patiemment le retour de Gilles ; son grand amour. Un jour, Elisa comprend que Gilles aime une autre femme. A l’opposé du personnage de Gilles qui se révèle brutal, Elisa tait sa douleur, ravale ses larmes et souffre en silence au moment où son unique amour lui échappe. L’espoir fera t-il renaître une nouvelle saison dans le cœur blessé d’Elisa ? Au fil de la lecture, c’est bien le style de Madeleine Bourdouxhe qui touche la lectrice par sa subtilité, sa puissance et sa sensualité. Bon moment de lecture.
Liv Maria J. Kerninon
Une femme éprise de liberté, voilà ce qui caractérise le personnage de Liv Maria tout au long de ce joli portrait de femme. Julia Kerninon déploie toute sa créativité et son imagination pour nous raconter la trajectoire de cette fille de marin, née sur une île bretonne, en 1970. Passionnée de littérature et de nature, Liv Maria grandit dans une famille aimante où il est souvent question de transmission. A la suite d’une agression sexuelle, les parents de Liv Maria décident de l’envoyer chez sa tante, à Berlin, afin de l’éloigner de son agresseur. C’est finalement dans les bras de Fergus, son professeur d’anglais, qu’elle se console, découvre la tendresse et l’amour. Plus âgé, Fergus est malheureusement marié et père de famille. A la fin de l’été, au moment de la séparation, les amoureux décident de continuer à s’écrire. Pourtant, les lettres d’amour de Liv Maria vont rester sans réponse. En poursuivant sa vie nomade, au fil de ses rencontres, la jeune femme va, malgré elle, s’enfermer dans le piège du mensonge. C’est une fiction pleine de rebondissements, de coïncidences et de drames que nous propose Julia Kerninon ; un roman philosophique qui continue d’interpeller la lectrice. Bon moment de lecture.
Ohio. S. Markley
Voici un roman choral décapant à propos de la jeunesse américaine du Midwest. Dès l’incipit, l’auteur foudroie la lectrice, donne le ton. Dans l’Ohio, c’est autour d’un cercueil vide que se rassemblent les habitants de New Canaan : le cercueil du soldat Rick, tué pendant la guerre en Irak. En 2013, quatre copains trentenaires se croisent dans la ville décadente de leur enfance. Au sein de ce grand espace désindustrialisé, chacun évoque son parcours, ses attentes ; sa façon de régler ses comptes. Au fil du temps et de la mémoire, les souvenirs s’entremêlent de trahisons, les secrets émergent peu à peu et confèrent au roman des allures de polar. Stephen Markley a trempé sa plume dans l’encre noire afin d’écrire cette fiction empreinte de justesse, d’émotions et de révélations. Ses personnages sont puissants, leurs récits marqués par la cruauté, la violence, les abus sexuels et la drogue. Avec talent, l’auteur rend son constat, déploie une palette d’émotions et de références pour mieux nous éclairer à propos de cet état de l’Ohio et de sa jeunesse déboussolée ; l’échec du rêve américain. Bon moment de lecture. Grand Prix de Littérature Américaine 2020.
Le passeur. S. Coste
Voici un petit roman efficace qui nous emmène loin, le long de côtes libyennes. Seyoum est un trentenaire, un passeur de migrants sans pitié, qui remplit des embarcations précaires en direction de Lampedusa. Narrateur de ce roman coup de poing, Seyoum est, en réalité, un homme brisé par la dictature. A la fois cruel, désenchanté et suicidaire, le passeur n’a plus une once d’espoir en lui. Un soir, il se décide même à embarquer parmi les désespérés…Avec brio, Stéphanie Coste choisit ses mots pour offrir, en version poche, un premier roman bouleversant, malheureusement proche de notre actualité. Bien construite, parfaitement rythmée, cette fiction puissante, imprégnée de violence et d’atrocité, tient la lectrice en haleine. Alors que tout paraît incroyablement sombre, au fil de la lecture, il est aussi question d’humanité et d’amour. Excellent moment de lecture. Prix de La Closerie des Lilas, Prix littéraire du barreau de Marseille, Prix du Premier Roman du Chambon-Sur-Lignon.
La carte postale. A. Berest
Suivre une enquête est souvent passionnant, c’est une bonne manière de happer un lectorat. Dans ce « roman vrai » d’Anne Berest, il est question d’une enquête qu’elle mène en compagnie de sa mère, suite à la découverte d’une carte postale anonyme, reçue vingt ans auparavant. Sur cette carte représentant l’Opéra Garnier, figurent les quatre prénoms d’ancêtres déportés et assassinés à Auschwitz durant la Seconde Guerre mondiale. Les recherches pour retrouver l’auteur(e) de la carte postale permettent aux lecteurs de comprendre l’histoire familiale des Rabinovitch, leurs parcours, leurs unions et leurs destins retracés méticuleusement sur une période de cent ans. Durant trois ans, la narratrice questionne sans cesse sa mère, fait des démarches, rencontre des témoins de l’époque. A travers cette quête, Anne Berest s’interroge également à propos de son identité juive, à propos de transmission et de la notion de déplacement. Au cours de la lecture, la lectrice est surprise par la densification du récit et de son réalisme. Anne Berest n’épargne aucun détail et bouleverse tout au long de ce travail de mémoire. C’est justement cette clairvoyance et cette détermination, à mener l’enquête jusqu’au bout, qui tiennent la lectrice en haleine. Bon moment de lecture. Prix Renaudot des lycéens 2021.
Madame Hayat. A. Altan
Journaliste renommé en Turquie, Ahmet Altan a été prisonnier politique pendant quatre ans. Du fond de sa cellule, privé de liberté, il a pris sa plume pour écrire ce roman lumineux. Dès la première page, la lectrice fait la connaissance du narrateur, un jeune Turc nommé Fazil. Au moment du décès de son père, Fazil découvre brutalement que sa vie a changé. Colocataire d’un appartement occupé par des étudiants pauvres, un travesti et un poète rebelle, Fazil poursuit ses études en lettres et obtient une bourse. Fauché, le jeune étudiant trouve un boulot de figurant dans une émission de télévision. Là, il rencontre Madame Hayat, une quinquagénaire sensuelle et libre qui lui ouvre la voie de la réflexion amoureuse. En sa compagnie, Fazil découvre de nombreux petits bonheurs, une autre existence, d’autres réalités. Ensuite, Fazil tombe sous le charme de Sila, une étudiante en lettres de son âge avec laquelle il vit une histoire d’amour parallèle. Suite aux rafles de la police et aux terrifiantes bastonnades, Sila propose à Fazil de s’exiler au Canada afin de mener une vie nouvelle et sereine. Tiraillé entre son amour pour Madame Hayat et la jeunesse de Sila, Fazil est confronté à un choix. Ahmet Altan nous offre un roman d’amour magnifique qui interpelle la lectrice. Au fil des pages, sa réflexion à propos du rôle des écrivains et des critiques littéraires vient enrichir la fiction. En poussant les murs de sa cellule, Ahmet Altan propose un roman poignant, un formidable hymne à l’amour qui nous parle de liberté. Prix Transfuge du Meilleur Roman européen 2021. Prix Femina étranger 2021. Excellent moment de lecture.
Là où le crépuscule s’unit à l’aube. M. Dédéyan
Le nouveau roman de Marina Dédéyan est un voyage au pays de son cœur : la Russie. Quelques années après le décès de sa grand-mère adorée, l’écrivaine décide de partir sur les traces de ses ancêtres, rassembler les pièces du puzzle familial. Nous voici à Riga, au 19ème siècle, dans un paysage de forêts, lacs et rivières. L’héroïne du roman est l’arrière-grand-mère de l’auteure : Julia, une jeune ouvrière qui confectionne des fleurs en tissu dans une fabrique. Renvoyée injustement, Julia décide de rejoindre sa sœur à Saint- Pétersbourg et tire un trait sur son passé. Là-bas, la jeune femme rencontre William Emmanuel Brandt, l’un des plus beaux partis de Russie, proche de la famille impériale. Subjugué par le regard gris de Julia, son naturel et sa beauté désarmante, William ne la quitte plus. A l’image de leurs premiers pas sur la patinoire de la Neva gelée, ils s’élancent dans l’intimité d’un couple malgré la différence sociale. Avec talent, Marina Dédéyan retrace le parcours de ses ancêtres sans oublier l’histoire de la Russie et de l’Europe, en toile de fond. Attachante, l’écrivaine choisit consciencieusement ses mots, convoque le passé à travers ses nombreuses lectures, touche du doigt l’émotion. Inspirée, bercée par le folklore, les contes et légendes russes, elle nous offre une fresque familiale captivante où l’on croise Pouchkine, Pagnol, Dumas, Fabergé, Nabokov…A sa façon, Marina Dédéyan fleurit magnifiquement les tombes de ses ancêtres ; la mémoire de son patrimoine familial recomposée. Excellent moment de lecture.
L’éternel fiancé. A. Desarthe
Le roman s’ouvre sur une déclaration d’amour d’un petit garçon à une fille : « Je t’aime parce que tu as les yeux ronds. » Ce jour-là, la petite fille répond négativement à cette déclaration. Pourtant, cette scène la marquera pour le restant de son existence. Tout au long de sa jeunesse heureuse, de sa vie d’épouse et de mère, la narratrice repense à ce garçon ; Etienne. D’ailleurs, à plusieurs occasions, elle croisera le chemin de celui qui est devenu, à ses yeux, « l’éternel fiancé ». Et elle se demande : quelle serait sa vie aux côtés d’Etienne ? Au fil de cette fiction mélancolique, le thème du temps qui passe se révèle central. La lectrice suit ces deux destins tout en s’identifiant à la narratrice et à son époque. Au cours de la lecture, la musique classique s’impose. Grâce au Quatuor en Mi Majeur de Fanny Mendelssohn, Agnès Desarthe donne une intensité, une singularité et une profondeur à son émouvant récit. Bon moment de lecture.
Le retour. A. Enquist
Cette auteure néerlandaise nous propose de découvrir la vie de James Cook, célèbre explorateur du 18ème siècle, à travers le regard de son épouse. Bien documenté, le roman permet d’imaginer la vie des marins à bord d’un navire, à cette époque. Sur la terre ferme, Elizabeth attend le retour de son mari explorateur et capitaine. Durant son absence, elle subit ses grossesses, accouche, perd des enfants, entretient la maison…A chaque retour de James, Elizabeth se prépare à l’accueillir pour reconstruire un lien avec lui malgré ses longues absences. A noter que les récits de voyage de James sont passionnants. Ils nous éclairent à propos de découvertes, rencontres exotiques et contrées lointaines. Si la vie de cette femme au 18ème siècle passionne au début du roman, il faut bien avouer qu’il y a des longueurs et peu de suspense au fil de la lecture. Pourtant, la lectrice ressent de la compassion pour cette femme dont la vie repose sur les ambitions d’un époux versatile. Délaissée, Elizabeth subit les drames, espère un retour tout en ravalant son chagrin. Bon moment de lecture.
Il est des hommes qui se perdront toujours. R. Lighieri
Terminons l’année 2021 par un coup de cœur. Rebecca Lighieri (alias Emmanuelle Bayamack-Tan) publie un roman qui prend aux tripes. Nous voici dans les tours de la cité Artaud, à Marseille, au milieu des années 80. Entourés de parents drogués, Karel, Hendricka et leur petit frère Mohand vivent une enfance fracassée dans un appartement crasseux. En grandissant, et malgré la souffrance psychique et physique, les trois enfants vont tenter de vivre le plus « normalement » possible. Karel et Hendricka ont la beauté pour eux et comptent bien s’en servir. Auprès des gitans, Karel trouvera du réconfort, de l’amitié et Shayenne, son unique amour. Devenue une actrice célèbre, Hendricka vivra dans un milieu de paillettes, soutenant ses frères, loin de Marseille. Légèrement handicapé, Mohand a toujours été désigné comme le « gogol » de la famille par un père qui le rejette et sème la terreur autour de lui. Pendant ce temps, Loubna, la mère, reste impuissante face à la maltraitance de son mari ; incapable de protéger ses enfants. Peut-on vraiment échapper au schéma familial ? Dans un style fluide, l’auteure n’épargne pas son lectorat lorsqu’elle emploie un langage cru pour décrire de nombreuses scènes de sexe et de violence. Comment anticiper les séquelles d’une enfance traumatisée par le manque d’amour, les sévices et la misère ? « La seule chose qui dure toujours, c’est l’enfance quand elle s’est mal passée. » Truffé de références musicales, ce roman sombre n’est absolument pas destiné à « faire rêver ». Bien construite, la fiction comporte même une dose de suspense. Les personnages sont bouleversants de justesse et provoquent une avalanche d’émotions au cours de cette lecture coup de cœur.
La plus secrète mémoire des hommes. M. M. Sarr
Ce roman imposant nous raconte la quête d’un jeune écrivain sénégalais, obsédé par un ouvrage publié en 1938. En effet, Diégane a découvert un roman mythique et maudit qui l’interpelle : « Le Labyrinthe de l’inhumain ». A l’époque, l’auteur de ce texte avait été qualifié, par la presse, de « Rimbaud nègre ». Accusé de plagiat, l’auteur avait déclenché le scandale avant de mystérieusement disparaître. Fasciné par ce texte, Diégane va s’évertuer à trouver un rapport entre l’histoire du roman et la vie de son auteur. Avec ferveur, Diégane décrit ses nuits d’angoisses, de lecture, d’interrogations et de rencontres avec d’autres jeunes auteurs africains. Au cours de sa quête, de nombreux voyages le mènent de Paris à Dakar en passant par Amsterdam et l’Argentine. Les thèmes de l’exil, de la puissance de la littérature, de la famille, de la trahison et de l’amour parcourent ce roman dense, écrit par un auteur passionné et exigeant. Chaque mot semble avoir été choisi, pesé, afin de raconter l’histoire de cet auteur maudit et de sa famille au cours du XXème siècle. Pour sa part, la lectrice est captivée par la profonde réflexion qui traverse cette œuvre même si la structure polyphonique du texte déroute, parfois, au cours d’une lecture qui demande une attention soutenue et soulève une question cruciale : écrire ou ne pas écrire. Bon moment de lecture. Prix Goncourt 2021.
Les jours heureux. A. de Clermont-Tonnerre
Le dernier roman d’Adélaïde de Clermont-Tonnerre est une réussite. La lectrice découvre le monde du cinéma français, un milieu qui mène la grande vie loin du train-train quotidien et, donc, qui fait rêver. Dans ce roman contemporain, les personnages de fiction semblent bien réels, proches de nous, souvent attachants. Il y a d’abord, Edouard Vian et Laure Brankovic qui forment un couple flamboyant de producteurs et réalisateurs. Edouard et Laure se déchirent régulièrement pour mieux se retrouver. Ensemble, ils ont un fils, Oscar, un beau scénariste de 29 ans. La mère et le fils vivent une relation fusionnelle. Lors d’une énième rupture avec Edouard, Laure livre, à son fils, un secret : sa maladie incurable. Edouard ne doit pas savoir. Ce dernier vient d’ailleurs de rencontrer une jeune femme Russe, Talya, avec laquelle il vit une histoire d’amour. Oscar va alors tout mettre en place pour que le couple de ses parents se reforme…avant le drame. Au cours de la lecture, c’est la quête d’Oscar qui passionne. Dans cette fiction bien construite, il est question d’amour filial, de passion, de violence politique, de manipulation…Bon moment de lecture.
Chevreuse. P. Modiano
Le dernier roman de Patrick Modiano se lit comme on boit du petit lait. Toutefois, si vous n’avez jamais lu un ouvrage de cet auteur français, il vaudrait mieux débuter votre lecture par un autre roman comme « Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier » de manière à mieux le cerner. Les romans de Modiano sont des quêtes de vérité, des cheminements dans le labyrinthe de la mémoire afin de retracer les pistes du passé. Dans « Chevreuse », le personnage principal se nomme Jean Bosmans, une référence aux origines flamandes de Patrick Modiano. En compagnie de Martine et Camille, Jean visite une maison dans la vallée de Chevreuse. Curieusement, Jean se souvient avoir vécu dans cette même maison lorsqu’il était enfant. Troublé, l’homme tente de reconstituer le puzzle de son passé alors que la frontière entre la fiction et la réalité se révèle ténue. La lectrice aime particulièrement déambuler dans le Paris des années cinquante au milieu des souvenirs. Au fil des pages, Patrick Modiano fait résonner les mots, les expressions : « Jouer sa dernière carte », « Couper les ponts » ou « On est de son enfance comme on est d’un pays ». Roman coup de cœur.
La papeterie Tsubaki. O. Ito
Si vous avez envie d’une lecture poétique et apaisée, voici un roman zen qui se déroule au pays du soleil levant. Ogawa Ito nous conte la vie d’une jeune écrivaine public, Hatoko, installée dans un village japonais non loin de Tokyo. En reprenant la papeterie de sa grand-mère décédée, Hatoko ne s’attendait pas à rédiger des lettres de rupture surprenantes, de nombreuses cartes de vœux, des mots d’adieu ou de condoléances après le décès d’un singe. Dans cet univers singulier, Hatoko croise toutes sortes de personnages ; des histoires touchantes. Au fil des saisons, la lectrice suit le quotidien de la jeune femme et ses moments partagés, comme des confidences, avec Madame Barbara. Ogawa Ito excelle dans sa manière d’évoquer l’art de la calligraphie, le choix d’un papier, le choix des mots, d’un plat, d’un thé…Il est question de partage, d’amour et de tendresse dans ce joli roman nippon qui permet de renouer avec certaines traditions. Bon moment de lecture.
La définition du bonheur. C. Cusset
Catherine Cusset nous propose de suivre le destin de deux femmes sur quatre décennies ; le mouvement d’une vie dans le temps. Née dans les années soixante, Clarisse est une jeune Parisienne qui a connu l’abandon et le viol. Passionnée d’Asie, la jeune femme voyage, poursuit sa vie de femme jusqu’à rencontrer un homme, un grand amour. De son côté, Eve est une Française qui vit à New-York avec son mari et ses enfants. Pour cette femme forte, la notion d’adultère paraît assez floue. Au début du roman, la lectrice se sent un peu perdue, ballotée entre les deux récits. En contrepoint, l’auteure propose deux portraits de femmes dans lesquels la lectrice s’identifie parfois tant il y a d’évènements et de personnages secondaires. Au fil des pages, la lectrice suit ces vies parallèles jusqu’à la rencontre des deux héroïnes. A travers ce roman, Catherine Cusset propose une certaine définition du bonheur malgré une fin tragique. Bon moment de lecture.
L’impératrice des roses. B. Pécassou
Cette fiction sentimentale et romanesque se déroule en France, au 19ème siècle. Bernadette Pécassou met en scène une femme peintre, au temps de Rosa Bonheur. Alba grandit dans la pauvreté auprès d’une mère célibataire. A cette époque, l’art se définit encore au masculin et Alba se bat pour vivre de son talent : des tableaux représentant exclusivement des roses. Surnommée « L’impératrice des roses » , Alba rencontre le succès et un homme mystérieux dont elle tombe éperdument amoureuse. Pour écrire ce roman, Bernadette Pécassou s’est vraisemblablement inspirée de la vie de Madeleine Lemaire et de Blanche Odin. Bien documentée, l’auteure nous raconte le combat des femmes artistes, au 19ème siècle. Facile à lire et centrée sur les sentiments, cette fiction à l’eau de rose joue avec nos émotions. Bon moment de lecture.
Canoës. M. de Kerangal
Maylis de Kerangal est une auteure française talentueuse qui publie un ensemble de nouvelles dans son dernier ouvrage. A priori, la lectrice apprécie peu ce puzzle de récits, préférant les fictions comme beaucoup d’autres lecteurs. Cependant, les premières nouvelles concernent son expérience américaine, lorsqu’elle habitait dans le Colorado, et le charme opère dès les premières pages. Grâce à son style, l’auteure installe ses personnages, crée un univers singulier qui captive. Maylis de Kerangal écrit tellement bien qu’il est difficile de ne pas chercher une linéarité dans ses récits, essayer d’assembler les pièces du puzzle américain. Malheureusement, à partir de « Nevermore » (p105), toutes les nouvelles, qui concernent la voix et sa tessiture, font décrocher la lectrice. Celle-ci se retrouve perdue, nostalgique de la Ford Mustang verte, du décor des Rocheuses, du magasin de pierres, du petit Kid…un roman qui semblait prometteur. Bon moment de lecture.
Où je suis. J. Lahiri
Jhumpa Lahiri est une romancière américaine, originaire du Bengale, qui a déjà été récompensée par plusieurs prix dont le Pulitzer. « Où je suis » est un roman en pièces détachées qui se rattachent à la narratrice. Cette femme, sensible et mélancolique, exerce le métier de professeur de lettres. La quarantaine, célibataire et sans enfants, elle nous confie ses émotions, ses pensées, son cheminement intérieur. La toile de fond du roman est une ville italienne, un décor qui enchante la narratrice : les rues, la piscine, le parc, le bar…Bien entourée, elle raconte son quotidien, ses amitiés, ses voisins et cet homme marié qui l’intrigue et dont elle pourrait être amoureuse. « Délicatesse » est le premier mot qui surgit quand la lectrice découvre le style singulier de Jhumpa Lahiri. Tout en donnant du relief à la banalité, l’auteure semble avoir choisi ses mots comme les couleurs d’un tableau. Excellent moment de lecture.
Toutes les familles heureuses. H. Le Tellier
Hervé Le Tellier est l’auteur du surprenant roman : « L’Anomalie », Prix Goncourt 2020. Cependant, cet auteur français a publié d’autres romans dont ce récit très personnel au sujet de sa famille dysfonctionnelle. Avec humour et cynisme, il raconte le désamour de sa mère, ses crises de folie, l’absence de son père, la place du beau-père…Hervé Le Tellier se livre complètement, raconte sa fuite à l’adolescence, son incompréhension face au couple étrange de ses parents. Avec pudeur, l’auteur fait le portrait des membres de cette famille bizarre. Au fil des pages, il s’autorise à écrire à propos de sa place d’enfant unique, évoque ses amours, ses chagrins et ses colères ; son passé dans le 18ème arrondissement de Paris. Bon moment de lecture.
La mère morte. B. De Caunes
Benoîte Groult était une journaliste française, écrivaine et figure du féminisme. Face à l’évolution de la maladie d’Alzheimer, sa fille Blandine décide de prendre la plume pour raconter le dernier chapitre de la vie de sa mère. Par amour, Blandine va organiser la fin de vie de Benoîte Groult. Au début du livre, Blandine raconte le quotidien chaotique de cette mère sénile sur un ton tragi-comique. Au cours de la lecture, la lectrice hésite entre le rire et les larmes. Mais un évènement tragique surgit au milieu du récit : la mort de Violette, la fille de Blandine, dans un accident de voiture. Blandine est foudroyée par ce drame. Au fil des pages, l’auteure raconte comment, grâce à sa propre mère et à sa petite fille, elle a traversé cette épreuve terrible. Pour la lectrice, ce livre poignant est une vraie leçon de vie. Bon moment de lecture.
Le pays des autres. L. Slimani
En s’inspirant de l’histoire de ses grands-parents, Leïla Slimani nous entraîne au Maroc, dans les années cinquante. Mathilde, jeune Alsacienne, tombe sous le charme d’un marocain venu libérer la France à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Amoureuse, la jeune française épouse Amine et lui donne deux enfants. Ensemble, ils s’installent dans une ferme près de Meknès. Le bonheur n’est pourtant pas au rendez-vous. Petit à petit, Amine se révèle autoritaire et les désillusions s’accumulent dans ce pays assoiffé d’indépendance. Comme à son habitude, Leïla Slimani excelle dans sa manière de créer des personnages et dans sa façon de nous conter une histoire. Il se dégage une force, une audace et une certaine simplicité dans son écriture. Pour la lectrice, ce voyage dans le passé, dans cette culture, représente un excellent moment de lecture.
Belle Greene. A. Lapierre
Ce roman historique est la promesse d’un bon moment de lecture sous un parapluie ou sous un parasol. Alexandra Lapierre nous livre, ici, l’histoire d’une femme américaine au destin exceptionnel, amoureuse et experte en livres anciens. Nous sommes à New-York, au début des années 1900. Une jeune femme, prénommée Belle, devient la bibliothécaire du milliardaire J.P. Morgan puis directrice de la Morgan Library. Puissante, cette femme blanche cache un incroyable secret : ses origines afro-américaines. Souvenons-nous de l’implacable règle de « la goutte unique » qui obligeait chaque citoyen à déclarer un ancêtre africain car un seul suffisait à donner naissance à une lignée de gens de couleur sur le sol d’une Amérique raciste. C’est, donc, ce lourd secret que Belle Greene va s’évertuer à protéger tout au long de sa vie. Saluons, ici, l’incroyable travail de recherche effectué par Alexandra Lapierre pour écrire ce formidable roman, un magnifique portrait de femme. Excellent moment de lecture.
La commode aux tiroirs de couleurs. O. Ruiz
Olivia Ruiz est une chanteuse française, une artiste qui publie un premier roman à succès. Cette fiction colorée débute au moment où les Républicains espagnols ont quitté l’Espagne Franquiste (1939). La lectrice suit Rita, la grand-mère de la narratrice, surnommée « l’Abuela ». A sa mort, sa petite-fille hérite d’une mystérieuse commode aux multiples compartiments. En ouvrant chaque tiroir, la narratrice va dénicher des objets ; des secrets de famille. A travers cette jolie fable, Olivia Ruiz nous parle des femmes de sa famille, de désir, d’héritage et d’amour. Cet hommage coloré, agréable à lire, révèle le talent de conteuse d’Olivia Ruiz. Bon moment de lecture.
Héritage. M. Bonnefoy
Miguel Bonnefoy vient de recevoir le Prix des Libraires 2021 pour ce roman qui ressemble à un conte : au 19ème siècle, la famille Lonsonier abandonne le Jura, et ses vignes infestées par le phylloxéra, pour tenter sa chance au Chili. Muni d’un seul cep de vigne, le patriarche retente sa chance sur les terres andines. Cette histoire d’exil et de transmission, qui se déploie sur quatre générations, est faite de rencontres et de rebondissements, d’abord à cause des guerres puis de la dictature chilienne. Les pages qui décrivent les tortures, les blessures, sont d’un réalisme stupéfiant. Avec talent, Miguel Bonnefoy raconte cette saga familiale dont les personnages marquent la lecture. Cependant, la lectrice n’a pas été captivée par cette fiction empreinte de cruauté, d’imaginaire et de fantastique. Le seul fragment lumineux de cette fiction repose sur le personnage de Thérèse, une ornithologue dans l’âme qui compose une volière à la fois exotique et poétique. Sa fille Margot rêvera, elle aussi, de pouvoir voler…
ARIA. N. Hozar
Ce roman dense nous emmène en Iran, du côté de Téhéran. A travers le destin singulier d’une enfant, Nazanine Hozar décrit trois décennies de l’histoire de son pays (1953-1980). Par une nuit d’hiver, Behrouz, un chauffeur de l’armée, trouve une petite fille abandonnée, la recueille et la prénomme Aria. Mais la femme de Behrouz, Zahra, ne supporte pas cette petite fille aux yeux bleus et la maltraite. Finalement, au cours de sa vie, Aria va connaître trois figures maternelles. Après les mauvais traitements de Zahra, c’est une riche veuve qui va l’adopter et l’éduquer ; lui offrir un avenir. Enfin, une mystérieuse femme, Mehri, lui donnera les clés de sa vérité. Ce roman intense est une saga passionnante, portée par une femme dans un pays en désuétude. Au fil des pages, la lectrice découvre le mécanisme de la société iranienne, les différents quartiers de Téhéran et les spécificités de la culture persane…jusqu’à ce que la Révolution éclate. Bon moment de lecture.
Ce genre de petites choses. C. Keegan
Dans ce court récit, Claire Keegan revient sur le scandale irlandais des « blanchisseries de la Madeleine ». L’auteure trace le portrait d’un homme ordinaire qui va porter secours à des mères célibataires, exploitées par des religieuses. En cet hiver 1985, Bill Furlong part livrer du bois et du charbon au couvent du « Bon Pasteur ». En poussant une porte, l’artisan découvre une jeune femme grelottante qui a, visiblement, passé la nuit dans la réserve à charbon. Courageux, Bill va s’opposer aux usages en cherchant à connaître l’identité de ces misérables blanchisseuses au service du couvent. En revenant sur ces faits particulièrement douloureux, Claire Keegan nous parle d’émotions enfouies et de compassion. Bon moment de lecture.
Grace. P. Lynch
Paul Lynch est un écrivain irlandais singulier. Dans ce roman, il déploie tout son talent pour nous offrir un personnage féminin rare et touchant. Nous sommes en Irlande, en 1845, au temps de la grande famine qui laissera dans son sillon plus d’un million de morts. Pour fuir cette misère, Grace, 14 ans, quitte son village et se retrouve sur les routes en compagnie de son petit frère Colly. Déguisée en garçon et pleine de courage, Grace affronte le froid, la vermine, la faim mais aussi la peur. Sur leur chemin, ils vont croiser des hommes mais aussi la mort et quelques fantômes. Paul Lynch nous plonge littéralement dans une époque miséreuse où tous les coups sont permis. Véritable roman d’apprentissage, Paul Lynch excelle dans sa façon de nous faire ressentir, au plus profond de nous, cette époque noire où passe un rayon de lumière. Bon moment de lecture.
L’un L’autre. P. Stamm
Peter Stamm est un auteur Suisse-Allemand qui a déjà remporté plusieurs prix littéraires. Dans ce nouveau roman, c’est sa façon de décrire un cheminement, sur un ton particulier, qui séduit la lectrice. Astrid, Thomas, et leurs deux jeunes enfants, vivent dans une bourgade suisse. Tout semble bien se passer pour la petite famille qui rentre de vacances au soleil. Au crépuscule, le couple prend paisiblement l’apéritif. Astrid s’absente quelques minutes à l’intérieur de la maison. Dehors, Thomas disparaît dans le paysage vallonné. Commence, alors, un chemin d’errance pour ce père de famille. Paumé, Thomas improvise, se réfugie dans un camping désert, passe la nuit dans une cabane, croise des chasseurs, des bergers… Avec talent, Peter Stamm nous plonge au cœur d’une nature montagnarde faite de chemins de randonnées où apparaissent des lacs, des cols, des valons et quelques villages accrochés aux pentes escarpées. La lectrice observe la nouvelle vie de Thomas mais aussi celle d’Astrid qui se retrouve démunie face à l’absence. Retranchée dans son déni, la mère de famille ne perd pourtant jamais espoir. Il est question, dans ce roman à suspense, du couple, de la solitude, de la disparition et du lien qui unit les êtres. Excellent moment de lecture.