Voici un petit roman efficace qui nous emmène loin, le long de côtes libyennes. Seyoum est un trentenaire, un passeur de migrants sans pitié, qui remplit des embarcations précaires en direction de Lampedusa. Narrateur de ce roman coup de poing, Seyoum est, en réalité, un homme brisé par la dictature. A la fois cruel, désenchanté et suicidaire, le passeur n’a plus une once d’espoir en lui. Un soir, il se décide même à embarquer parmi les désespérés…Avec brio, Stéphanie Coste choisit ses mots pour offrir, en version poche, un premier roman bouleversant, malheureusement proche de notre actualité. Bien construite, parfaitement rythmée, cette fiction puissante, imprégnée de violence et d’atrocité, tient la lectrice en haleine. Alors que tout paraît incroyablement sombre, au fil de la lecture, il est aussi question d’humanité et d’amour. Excellent moment de lecture. Prix de La Closerie des Lilas, Prix littéraire du barreau de Marseille, Prix du Premier Roman du Chambon-Sur-Lignon.
Archives mensuelles : mars 2022
Philosophie de la maison E. Coccia
Emanuele Coccia nous offre, ici, une vision philosophique de la maison sous toutes ses formes : appartement, chambre d’hôtel, grotte, palais… Il faut dire que pendant la pandémie, la ville a disparu au profit de la maison car le confinement nous a confronté à notre « chez soi »; un endroit du monde. Au fil des pages, le philosophe italien nous donne des clés pour mieux appréhender cet espace-temps, notre rapport aux objets et aux autres, sous un toit. Pour Emanuele Coccia la maison est une entité morale bien plus que physique ou architecturale, c’est un petit monde qui assure notre bonheur ; un sas entre nous et les autres. D’après lui, ce qui rend habitable la maison, ce n’est pas l’ossature mais les agencements d’objets et les transformations que nous entreprenons pour pouvoir y vivre. En nous parlant de domestication entre les choses et les personnes, l’auteur nous livre son expérience des lieux mais aussi son rapport à l’écriture, ce qui est passionnant : « L’écriture permet à la vie de ne jamais appartenir à personne, de demeurer une éternelle vagabonde. » Excellent moment de lecture.
La carte postale. A. Berest
Suivre une enquête est souvent passionnant, c’est une bonne manière de happer un lectorat. Dans ce « roman vrai » d’Anne Berest, il est question d’une enquête qu’elle mène en compagnie de sa mère, suite à la découverte d’une carte postale anonyme, reçue vingt ans auparavant. Sur cette carte représentant l’Opéra Garnier, figurent les quatre prénoms d’ancêtres déportés et assassinés à Auschwitz durant la Seconde Guerre mondiale. Les recherches pour retrouver l’auteur(e) de la carte postale permettent aux lecteurs de comprendre l’histoire familiale des Rabinovitch, leurs parcours, leurs unions et leurs destins retracés méticuleusement sur une période de cent ans. Durant trois ans, la narratrice questionne sans cesse sa mère, fait des démarches, rencontre des témoins de l’époque. A travers cette quête, Anne Berest s’interroge également à propos de son identité juive, à propos de transmission et de la notion de déplacement. Au cours de la lecture, la lectrice est surprise par la densification du récit et de son réalisme. Anne Berest n’épargne aucun détail et bouleverse tout au long de ce travail de mémoire. C’est justement cette clairvoyance et cette détermination, à mener l’enquête jusqu’au bout, qui tiennent la lectrice en haleine. Bon moment de lecture. Prix Renaudot des lycéens 2021.