Après l’immense succès de « Rien ne s’oppose à la nuit » , Delphine de Vigan n’a rien publié depuis quatre ans. Alors, « D’après une histoire vraie » , est un roman très attendu. En multipliant les effets du réel, la lectrice se retrouve rapidement en position de confidente à l’écoute d’une histoire vraie, singulière. Le personnage principal s’appelle Delphine, romancière française à succès; en plein doute, elle n’arrive plus à produire une seule ligne. Cette mère de deux enfants est en couple avec François (Busnel) un journaliste et animateur d’émission littéraire . Jusqu’ici, la lectrice est persuadée d’être témoin d’une histoire réelle. Ensuite, Delphine tombe dans les griffes d’une certaine L., manipulatrice par excellence. Par ailleurs, elle reçoit des courriers anonymes lui reprochant d’avoir livré en pâture sa famille dans « Rien ne s’oppose à la nuit » . Histoire vraie ou pas? En attendant, ce roman tient la lectrice en haleine. Il y a quelque chose d’intrigant, d’angoissant, dans cette fiction proche du thriller psychologique « Misery » de Stephen King. Souvenez-vous de cette histoire de lectrice américaine qui torture un romancier célèbre pour qu’il ressuscite un personnage. A la première personne du singulier , Delphine de Vigan donne, au compte-gouttes, des indices qui permettent de retracer les mécanismes de cette emprise (séduction, dépression et trahison) mais elle décrit également le processus de création. Dans notre époque de télé-réalité, toutes les interrogations de Delphine qui concernent le travail d’écrivain et le statut de la vérité dans la littérature, interpellent la lectrice. Finalement, Delphine de Vigan brouille les cartes mais s’interroge judicieusement, ce qui donne une certaine profondeur à ce roman très maîtrisé. FIN* Prix Renaudot 2015. Excellent moment de lecture.
Archives mensuelles : septembre 2015
La comtesse des digues. M. Gevers
Ce roman ne fait pas partie de la rentrée littéraire 2015 puisqu’il a été publié en 1931. Marie Gevers est une auteure belge dont le style romanesque est comparable à celui de Daphné du Maurier. « La comtesse des digues » est un roman d’un autre temps, à la fois réaliste et naïf, mais il est, avant tout, un hymne à l’amour, à l’Escaut et à la nature. Comme dans un tableau illustrant la vie des fermiers à la fin du XIXème siècle, Marie Gevers nous plonge, avec talent, dans une époque révolue: celle d’anciens métiers, de vieux estaminets et des rives boueuses de l’Escaut. L’auteure avait la particularité de s’exprimer parfaitement en français tout en vivant en Flandre. Son personnage principal, Suzanne, est, ici, une jeune bourgeoise flamande qui s’exprime en français. Le père de Suzanne meurt alors qu’il était « comte des digues » (Dyckgraef) dans la région du Weert, au bord de l’Escaut. Suzanne rêve alors de reprendre sa place pour gérer les rives du Fleuve. Passionnée par la terre, les éléments, les paysages mais surtout par l’eau, la jeune femme passe ses journées à gérer les digues, les foins et les oseraies. Tiraillée entre deux hommes, elle hésite à se marier. D’un côté le beau Triphon l’attire par sa robustesse et son animalité car il révèle la violence de son désir de femme tout en étant l’incarnation du fleuve. Mais il y a un obstacle: le géant fauve n’appartient pas à sa catégorie sociale. D’un autre côté, Max Larix n’est pas un bel homme mais il est propriétaire, fils de vannier, et partage beaucoup d’intérêts avec Suzanne dont l’amour de la nature. Le cycle des saisons rythme harmonieusement cette fiction poétique particulièrement lumineuse. La lectrice se délecte des magnifiques descriptions de paysages, d’un mode de vie et d’un folklore aujourd’hui disparus. Enfin, quelques mots flamands, aux intonations familières, viennent raviver des souvenirs d’enfance liés à ce plat pays… qui est le mien. Excellent moment de lecture.
Les gens dans l’enveloppe. I. Monnin
Quel projet enthousiasmant! Juin 2012: Isabelle Monnin achète par hasard (même si il n’y a pas de hasard) un lot de photos d’une famille française inconnue. Le portrait d’une petite fille surplombe le tas de polaroids et photographies mal cadrées. Mais qui sont ces gens? Pourquoi n’y a t-il jamais de mère sur ces photos? Isabelle Monnin décide, alors, d’écrire un roman imaginaire à partir d’indices photographiques et se promet de faire, ensuite, son enquête pour retrouver les membres de cette famille. La fiction, composée dans un style aux accents argotiques, nous emmène jusqu’en Argentine. Sous la plume de l’auteure, chaque personnage trouve sa place: Laurence, Serge, Michelle, Mamie Poulet, Raymond…A l’évidence, Isabelle Monnin cherche ses propres racines. Originaire de la même région, du même milieu social et née dans les années 70, comme la petite fille sur la photo, l’auteure réalise un projet généalogique qui lui tient, singulièrement, à coeur. Grâce au clocher de l’église, la famille est vite retrouvée du côté de Clerval dans le Doubs. Mais est il possible de connaître la vérité de chaque membre de cette famille? Les thèmes de la mémoire, du manque, de la souffrance, de l’abandon, de l’enfance et du temps qui passe résonnent dans cette recherche émouvante. Pour la lectrice, le projet artistique est harmonieux. Il passionne et captive même si, en définitive, les résultats de l’enquête déçoivent: une famille ordinaire à l’histoire incroyablement banale. Mais finalement, c’est ce constat qui est intéressant: prendre des gens au hasard et trouver en eux une universalité. Cerise sur le gâteau: le livre s’accompagne d’un CD de chansons écrites par Alex Beaupain et chantées par des membres de la famille anonyme. D’autres titres sont interprétés, avec talent, par Camelia Jordana, Clotilde Hesme et Françoise Fabian. Pour notre grand plaisir, Isabelle Monnin et Alex Beaupain proposent un projet artistique original qui entremêle fiction et réalité. « Ecoutez; ma vie, c’est la vôtre. » George Sand.
Ostende 1936. V. Weidermann
Ostende m’évoque tellement de souvenirs qu’il m’était impossible de passer à côté de ce roman: la plage, les cabines de bain en bois, la digue, les brise-lames, les pêcheurs de crevettes à cheval et leurs cirés jaunes, les thermes, le casino etc…Ma grand-mère me racontait souvent les escapades de son père en compagnie de James Ensor et Léopold III à Ostende. Dans ce roman, Volker Weidermann nous évoque également James Ensor et la boutique de souvenirs de sa famille à quelques rues de la mer du Nord. Au milieu des années trente, beaucoup de personnages illustres, notamment des artistes, séjournaient à Ostende dite « la reine des plages » : Emile Verhaeren, Hermann Kesten, Arthur Koestler, Irmgard Keun, Romain Rolland etc… Deux amis, écrivains juifs autrichiens en exil, vont se retrouver sur la côte belge dans la chaleur de l’été 1936: Stefan Zweig et Joseph Roth. Dans cet univers de villégiature, la relation d’amitié, qui lie ces deux hommes, passionne la lectrice. Avec intérêt, nous suivons leurs conversations, leur correspondance et leurs considérations à propos de l’écriture, de la boisson ou de l’amour. Chacun donne sa vision du monde et évoque ses craintes dans ce terrible climat d’avant-guerre. Mais en voulant publier un « roman vrai » , Volker Weidermann s’attache parfois à des détails anodins qui viennent parasiter la lecture. L’intérêt du roman est de retrouver l’atmosphère intellectuelle des années trente et de deviner la splendeur d’Ostende, avant les bombardements de la seconde guerre mondiale.
Le charme discret de l’intestin. G. Enders
Loin du glamour et des paillettes, voici un best-seller qui traite d’un organe mal aimé et mal connu: l’intestin. Giulia Enders, auteure allemande et doctorante en médecine, a souffert très jeune d’une maladie de peau miraculeusement guérie suite à un changement radical de son alimentation. Au fil du temps, la jeune femme se passionne pour la gastro-entérologie et fait une thèse à l’université de Francfort. D’après ses nombreuses recherches, l’intestin serait notre deuxième cerveau; il jouerait un rôle important en matière de surpoids, dépression, diabète et maladies. Basé sur une bibliographie impressionnante, cet essai pédagogique nous offre l’occasion de mieux comprendre le fonctionnement de notre bas ventre en changeant notre regard sur le fond de la cuvette. Même si le ton de certains chapitres reste scolaire, l’essai mérite notre attention. Giulia Enders nous parle avec humour de guerres intestines, de l’importance des bactéries, des probiotiques et des prébiotiques. D’après son constat, il faut trouver le moyen de favoriser, par notre alimentation, les bonnes bactéries logées dans l’intestin, gage de bonne santé. La soeur de Giulia signe les nombreuses illustrations étonnantes et cocasses.