Si vous cherchez une lecture singulière, publiée en édition « Livre de Poche », voici le troisième roman de Donatella Di Pietrantonio. L’auteure nous plonge dans une fiction qui se déroule en Italie, dans les années 70. Après avoir passé une enfance tranquille et bourgeoise, une adolescente découvre qu’elle a été adoptée. Enfant unique, elle est finalement rendue à ses parents biologiques et perd ses repères. L’adolescente vit mal cet abandon et peine à s’adapter à sa famille biologique, nombreuse, pauvre et sans états d’âme. Grâce à sa sœur, Adriana, l’héroïne va finalement réussir à s’adapter à son nouveau milieu. Loin des mensonges et des secrets familiaux, « celle qui est revenue » découvre l’amitié et l’amour filial. Ce récit d’apprentissage bouleverse et rappelle l’univers de la tétralogie d’Elena Ferrante « Une amie prodigieuse ». Bon moment de lecture. Prix Campiello 2017.
Archives de l’auteur : Sophie Marie Dumont
Les douleurs fantômes. M. Da Costa
J’ai découvert tardivement Mélissa Da Costa à travers son joli roman « Les lendemains ». Malheureusement, son dernier roman « Les douleurs fantômes » ne m’a pas autant enthousiasmé. Pourtant, il faut reconnaître le talent et l’imagination de cette auteure française ; elle sait raconter des histoires même si celle-ci est trop longue. Ambre est le personnage principal de la fiction. La jeune femme n’a plus donné signe de vie à son groupe d’amis depuis sa rupture avec Tim. Un jour, Rosalie contacte Ambre suite à l’absence prolongée de son mari Gabriel. Cinq ans après leur dernière conversation, Ambre rejoint son amie Rosalie pour la consoler. De retour dans la ville d’Arvieux, Ambre revoit son ex petit ami, Tim, en couple avec un certain Anton. Evidemment, les souvenirs rejaillissent et la vie d’Ambre se retrouve chamboulée. Bon moment de lecture.
Archie. A. Cardyn
Ce petit roman plaira aux lecteurs et lectrices les plus sensibles car il y est question de résilience. Notre narrateur s’appelle Archie, un garçon né d’une mère toxicomane et d’un père absent. Placé en institution, Archie écrit des poèmes à sa mère et cherche à la revoir au moment de l’adolescence. Assoiffé de liberté, Archie va ensuite faire sa valise et quitter l’institution pour marcher sur le sentier des douaniers en Bretagne. Après des centaines de kilomètres, il espère rejoindre une école démocratique ; un pas vers sa liberté. Mais au moment de sa naissance, une sage-femme nommée Madeleine avait veillé sur son berceau. Tout en marchant sur le sentier face à la mer, Archie découvre les carnets de Madeleine ; ses confidences et ses secrets. La plume d’Alia Cardyn est à la fois poétique et émouvante. En nous racontant l’histoire d’Archie, cette auteure belge déploie une palette d’émotions dont certaines touchent au cœur. Bon moment de lecture.
Long week-end. J. Maynard
Joyce Maynard est une auteure américaine à succès. La lecture de son best-seller « Là où vivaient les gens heureux » ne m’avait pas fait grand effet. Sur les conseils d’une amie, j’ai ensuite acheté un autre roman de la même auteure : « Long week-end ». Cette fois, nous sommes sur la côte Est des Etats-Unis ; l’été 87. A quelques jours de la rentrée scolaire, un garçon et sa mère font des courses. L’adolescent est le narrateur du roman et se prénomme Henry. Dans un rayon de supermarché, Henry rencontre Frank qui lui demande de l’aide car il est blessé. En réalité, Frank vient de s’évader de prison et il va passer le long week-end du Labor Day chez Henry qui habite avec sa mère, Adèle. Joyce Maynard a eu la bonne idée d’écrire cette fiction du point de vue d’Henry car cela procure une certaine fraicheur au roman. Pour notre plaisir de lecture, l’adolescent de treize ans livre ses sentiments et toutes ses émotions. Il aborde plusieurs thèmes dont le divorce de ses parents, ses premiers émois et son amour pour Adèle, cette mère fragile et instable. Pendant six jours, Frank, Henry et Adèle vont vivre un singulier huis clos ; une expérience inoubliable. Excellent moment de lecture.
Le mystère de la femme sans tête. M. Leroy
Voici une fiction perturbante. L’auteure belge, Myriam Leroy, retrace la terrible histoire de Marina Chafroff, une femme russe qui vivait en Belgique pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est en se promenant au cimetière d’Ixelles que l’auteure découvre la tombe d’une jeune femme. Lorsqu’elle se penche sur la pierre de granit sombre, c’est le mot « décapitée » qui la bouleverse totalement. Sur internet, le visage lumineux de cette « femme sans tête » lui apparaît. Obsédée par Marina, l’auteure décide alors de retracer sa vie pour mieux comprendre son terrible destin ; Marina s’est dénoncée suite à un attentat rue Marnix, en 1941. Dès le début de son enquête, Myriam Leroy bute sur le doute : comment une si petite femme a t-elle pu attaquer un soldat nazi ? « Le mystère de la femme sans tête » plane tout au long de la lecture. Ce livre a pourtant le mérite de nous rappeler une histoire oubliée, celle d’une femme qui s’est sacrifiée pendant la guerre, à Bruxelles. D’après la lectrice, Myriam Leroy va trop loin lorsqu’elle nous parle de la famille toute entière de Marina. De plus, les allers-retours dans le temps pèsent au cours de la lecture. Finalement, même si le sujet chamboule la lectrice, la fiction est loin de convaincre.
Les lendemains. M. Da Costa
Grâce à une amie, j’ai découvert le deuxième roman de Mélissa Da Costa. Dès les premières pages, cette auteure française nous happe en nous coupant le souffle. Amande est l’héroïne de ce roman singulier et bouleversant. Suite au décès inopiné de son mari et de son bébé, la jeune femme s’isole dans une maison en Auvergne, au milieu de la nature. Au plus mal, Amande ne voit pas la vie s’épanouir au jardin et rejette le chat qui rôde autour de la maison. Mais un jour, intriguée par des annotations de l’ancienne propriétaire, Amande tente de redonner vie au potager et reproduit même quelques recettes. Lorsque la fille de l’ancienne propriétaire récupère des affaires dans la maison, Amande se lie d’amitié avec Julie. Sans le savoir, Julie va contribuer à sa reconstruction en aidant Amande à se projeter dans un futur. Si, chez mon libraire, j’ai trouvé le roman de Mélissa Da Costa classé dans la catégorie « feel good », je tiens à préciser que cette fiction n’est pas légère. Au contraire, véritable hymne à la renaissance et à la nature, ce roman captive et interpelle la lectrice jusqu’à la dernière page. Excellent moment de lecture.
Guetter l’aurore. J. Printzac
Ce roman nous replonge dans la période sombre de la Seconde Guerre Mondiale, en France. Tout commence en 2022, lorsque Deborah rentre vivre chez sa mère, après une rupture amoureuse. Dans la maison, Esther, la grand-mère de Deborah, séjourne également. Cette dernière perd de plus en plus souvent la tête, confond sa petite-fille avec une certaine Clara. Qui est Clara ? Intriguée, Deborah se décide à en savoir plus à propos du passé de sa famille juive. Quel a été le parcours de la famille Brodsky, réfugiée au pied des Pyrénées, pendant la guerre ? Deborah repart sur les traces de ses proches, découvre la grande maison délabrée de Saint-Girons et des lambeaux d’histoire. Adolescente, Esther était la fiancée de Marius. Qu’est-il devenu ? Finalement, Clara était la meilleure amie d’Esther. Rebelle, la jeune fille s’était engagée dans un mouvement de Résistance. Malheureusement, des collabos semaient la terreur à Saint-Girons. Avec force, Julie Printzac évoque la jeunesse et les convictions de ces français, prêts à sa battre pour leur pays. Entre fiction et documentaire, Julie Printzac restitue une histoire familiale bouleversante ; une histoire qu’elle porte en elle. Bon moment de lecture.
L’énigme de la stuga. C. Grebe
Camilla Grebe est une écrivaine suédoise qui a déjà connu le succès grâce à plusieurs de ses livres : « Un cri sous la glace », « L’ombre de la baleine », « L’archipel des larmes » et « Le journal de ma disparition ». Douée et perspicace, Camilla Grebe nous entraîne, ici, dans un thriller familial long mais efficace. Gabriel, le père de famille, est un écrivain reconnu en Suède. Editrice, Lykke est son épouse et la mère de jumeaux adolescents (Harry et David). A l’occasion de la fête de l’écrevisse, la petite famille décide d’organiser un dîner dans leur jolie maison suédoise. Parmi les invités, Bonnie est l’amie d’enfance des jumeaux. Au bord du lac, les adolescents s’amusent jusqu’à tard dans la nuit. Au petit matin, Lykke est réveillée par la musique qui résonne encore dans la stuga ; la cabane où dorment les trois adolescents. Mais lorsqu’elle arrive à pénétrer dans la stuga, elle découvre une scène de crime où repose le corps sans vie de Bonnie. A part les jumeaux, qui avait accès à la stuga ? Le cauchemar commence pour la famille mais Lykke va tout entreprendre pour reprendre sa vie en main. Inspirée par « Le mystère à huis clos », Camilla Grebe construit, avec brio, son thriller ponctué d’allers-retours dans le temps. Sang et encre se mélangent dans cette fiction singulière où le monde de l’édition sert de décor. Bon moment de lecture. Grand Prix des Lectrices du « Elle ».
Fuir l’Eden. O. Dorchamps
Sur les conseils de ma libraire, j’ai découvert ce roman singulier qui offre une palette d’émotions. La couverture du livre représente L’Eden, une cité brutaliste de la banlieue de Londres où règne la violence. Dans cette barre d’immeuble en béton, Adam vit avec ses parents et sa petite sœur, Lauren. Le père, surnommé « l’autre » par Adam, frappe allègrement la mère de famille. Un jour, la mère disparaît en laissant, derrière elle, une lettre. D’après « l’autre », elle serait partie en Espagne avec son amant, abandonnant le foyer. Adam et Lauren encaissent, survivent dans la cité en compagnie de ce père alcoolique et brutal. Toujours à court d’argent, Adam fait la lecture à une dame aveugle qui lui sert de mère de substitution. Jusqu’au jour où Adam sauve de justesse une jeune fille sur le quai de l’express. Alors, l’amour devient une quête pour Adam, un adolescent fragile, sensible et attachant. Auteur franco-britannique, Olivier Dorchamps nous embarque totalement dans ce roman social. Son univers singulier accapare l’attention de la lectrice qui retrouve le style de Bruno Masi et la misère sociale des films de Ken Loach. Au fil de cette fiction contemporaine, l’espoir surgit parfois entre les lignes. Excellent moment de lecture. Prix des lecteurs de la Maison du Livre. Prix Louis-Guilloux.
Joseph Kessel. Y. Courrière
Cette biographie mythique est à nouveau disponible en librairie. Ami et confident du grand écrivain, Yves Courrière y décrit l’itinéraire compliqué de Joseph Kessel, né dans une famille juive russe. Au début du XXème siècle, la famille de Joseph s’installe en France, à Nice puis à Paris. Au cours de son enfance, le futur écrivain se passionne pour un grand roman français : « Les trois Mousquetaires ». Adolescent, Joseph se fait appeler « Jef » et arpente les rues d’un Paris qui éveille sa curiosité. Elève à la Sorbonne, il s’affirme comme acteur de théâtre et auteur au moment où le premier conflit mondial éclate. Une première œuvre littéraire, écrite à seize ans, révèle sa sensibilité d’écrivain. Mais en pleine guerre des Balkans, Joseph se passionne pour les grands reportages de presse. Trop jeune pour pouvoir s’engager, il devient brancardier dans un hôpital de guerre. Parmi les soldats blessés, Joseph découvre la souffrance, la mort mais aussi l’amour dans les bras d’une infirmière… En partant sur les traces du lion, Yves Courrière raconte la vie trépidante, riche et mouvementée de Joseph Kessel. Dans le détail, il retrace le parcours exceptionnel du romancier prodige au fil de l’histoire du XXème siècle. Bon moment de lecture.
Mon mari. M. Ventura
Chaque lectrice retrouvera une part d’elle même dans ce premier roman très réussi. Amoureuse folle de son mari, la narratrice nous raconte sa vie quotidienne et son obsession pour son homme ; du lundi au dimanche. Depuis quinze ans, l’héroïne s’inquiète en permanence pour son mariage, vit dans l’angoisse d’une éventuelle séparation malgré un amour partagé. En cachette, elle accède à la messagerie de son époux, note dans un carnet les comportements suspects, ses réflexions et ses doutes. Pour notre plaisir de lecture, cette traductrice et mère de deux enfants, joue un rôle sans discontinuer. Inspirée par le sentiment amoureux, Maud Ventura s’amuse à caricaturer la dépendance féminine et la passion, à l’extrême. Jubilatoire, ce roman à suspense se lit avec délice. Excellent moment de lecture. Prix du premier roman.
Un été français. Ch. Moguérou
Christian Moguérou est né à La Rochelle, au cours de l’été 1968. Dans ce roman dense, il nous parle de cette haute saison où la plage grouille de monde, juste avant l’heure de l’apéro. Pieds nus dans sa cabane du Cap-Ferret, le journaliste dévore tant de livres qu’ils sont devenus des meubles à force d’exister. Face au Bassin, le voici qui écrit à propos de ses étés passés en France. Au fil des pages, l’auteur livre ses souvenirs d’enfance, évoque le vestige de ses amours et la trace de ses amis dans le sable en attendant la venue de Louise, Luigi et Gabriel. Erudit, l’auteur se réfère continuellement à la littérature, cite Henry Miller, Lawrence Durrell, Christian Bobin et tant d’autres. Artiste sensible, il fait aussi référence à de nombreux films et une bande-son singulière. A la fois inspiré et passionné, ce narrateur contemporain nous offre une réflexion sur ce que représente l’été français des juilletistes et des aoûtiens en s’appuyant sur sa propre définition. Pour la lectrice, ces mots baignés de soleil dégagent une certaine poésie. Au détour des phrases, elle imagine parfaitement une fin d’été face à ce Bassin qui hésite entre grisaille chinée et soleil timide. Le cœur entre deux rives, Christian Moguérou s’égare souvent au cours de son épopée estivale, laisse dérouler son imagination fertile pour notre plaisir de lecture. Amoureux des femmes et épicurien, il dévore la vie en espérant que l’été se souviendra de lui. Bon moment de lecture.
Le goût du crime. M. et E. Roux
Avez-vous le goût du crime ? Passionnés par les faits divers depuis l’adolescence, Emmanuel et Mathias Roux ont analysé le pouvoir d’attraction des affaires criminelles. Au cours de leur fascinante enquête, ils retracent, en détail, des affaires qui ont définitivement marqué l’opinion publique : le petit Grégory, Xavier Dupont de Ligonnès, Jonathan Daval, l’énigme de Chevaline, la disparition du docteur Godard etc…En se basant notamment sur les thèses de Roland Barthes, Emmanuel et Mathias Roux analysent le mécanisme du passage à l’acte en évoquant les troubles de la causalité. Un certain attachement à la vérité pousserait le grand public à s’intéresser à un crime pour essayer de le comprendre en reconstituant les causes ; donner du sens au mal. Existe-t-il un destin de criminel ? Dans cet ouvrage, les auteurs font l’autopsie d’une dizaine de grandes affaires non résolues, en rappelant les faits, l’enquête, les indices et en détaillant les grands moments du procès. Les auteurs abordent également la notion de mythe car, depuis le XIXème siècle, le crime a pris la suite du mythe. Grâce à l’essor de la presse et de ses rubriques consacrées aux faits divers, certaines affaires criminelles sont devenues une source d’influence créatrice (Stendhal, Flaubert, Giono…). En allant toujours plus loin dans l’analyse, les auteurs font le lien entre la figure du héros et celle du hors la loi, sorte d’antihéros. Finalement, les criminels interpelleraient nos consciences : sont-ils humains? Non humains ? Sont-ils des monstres ? Afin d’éclairer les passions que suscitent les affaires criminelles, Emmanuel et Mathias Roux puisent, avec brio, dans l’anthropologie, la philosophie, la psychanalyse et l’histoire. Bon moment de lecture.
La vie des plantes. E. Coccia
Cet essai captivant a été publié en 2017 et nécessite une certaine concentration pour tout assimiler. Emanuele Coccia est un philosophe italien qui écrit en français. Etudiant dans un lycée agricole, le philosophe a longtemps étudié les plantes ; un monde végétal négligé par les hommes. Malgré les différences évidentes entre l’homme et la plante, le souffle les rassemble. En s’appuyant sur les études de nombreux biologistes, Emanuele Coccia défend sa thèse d’une métaphysique du mélange : grâce à l’occupation des plantes sur terre, les animaux et les hommes ont réussi à vivre dans l’atmosphère (pas seulement la terre) en respirant l’oxygène produit par les plantes ; le lieu du mélange. Au cours de sa réflexion, le philosophe détaille les caractéristiques des plantes : de la feuille à la racine en passant par la fleur. Comme Goethe l’avait déjà annoncé, la feuille est la partie la plus importante de la plante qui permet la photosynthèse. Ensuite, les racines représentent le cerveau des plantes. Elles sont à la fois terrestres et aériennes. Enfin, la fleur représente la raison et le sexe ; une semence qui est une force. Pour poursuivre l’existence, la fleur est l’organe qui s’ouvre au monde et donc au mélange. D’après le philosophe, la terre est un corps céleste, une partie du cosmos qui vit grâce à l’énergie du soleil. Pour lui, respirer signifie s’immerger dans le monde et faire émerger le monde par notre souffle. L’atmosphère est finalement le monde où tout dépend du reste ; un mélange universel. Excellent moment de lecture.
Métamorphoses. E. Coccia
Emanuele Coccia est un brillant philosophe italien. Sa réflexion sur les Métamorphoses se nourrit des œuvres de biologistes dont Darwin. Publié pendant la pandémie de Covid-19, cet essai a résonné d’une manière particulière. Construit en courts chapitres, le livre part de la fascination d’Emanuele Coccia pour la métamorphose d’une chenille en papillon : deux êtres apparemment disparates. Pourtant, malgré leurs différences, la chenille et le papillon partagent bien une même vie. La vie est ce qui passe d’un monde à l’autre, ce qui nous anime tous. Toute espèce naît d’une métamorphose, la relation qui unit le vivant au minéral mais aussi les bactéries, virus, plantes et animaux ; un phénomène de continuité de l’espèce. L’exemple de la naissance vient magnifiquement illustrer sa théorie. Pendant neuf mois, l’enfant est le corps et le même souffle que sa mère. Donner naissance à un enfant, transforme notre expérience en potentiel d’un point de vue anatomique et culturel. Au fil de la lecture, Emanuele Coccia nous invite à regarder le rapport entre les individus, les espèces et Gaia, la terre ; suivre le vivant dans sa continuité. D’après le philosophe, nous sommes tous une même vie, la métamorphose de la chair infinie du monde. Bien qu’enrichissant, cet essai nécessite une certaine concentration afin d’en saisir tout le sens. Bon moment de lecture.
125 et des milliers. S. Barukh
Au fil des pages de ce livre imposant, 125 personnalités racontent 125 féminicides : des femmes assassinées par un conjoint violent. En France, un féminicide a lieu tous les deux jours et demi soit 125 victimes par an. Dans le monde, une femme est tuée toutes les 11 minutes par un proche ; une pandémie de l’ombre. Afin de construire la trame du livre, l’écrivaine Sarah Barukh a retrouvé les familles de victimes pour récolter leurs précieux témoignages. Grâce à leur talent, 125 personnalités ont ensuite esquissé un portrait, tenté de donner un visage à chaque victime. Delphine Horvilleur, Julie Gayet, Andréa Bescond, Isabelle Carré, Leïla Slimani et d’autres célébrités ont accepté d’écrire des textes souvent déchirants, à propos de ces femmes si joyeuses, dévouées et généreuses avant leur mort. A travers ces textes, la lectrice imagine la vie de ces filles, de ces femmes, de ces mères. Elle ressent aussi la douleur, l’impossible deuil et la souffrance des familles. Il existe des points communs à ces féminicides dont le crime de possession. Le nombre de féminicides qui sont commis dans les territoires d’outre-mer est vraiment inquiétant. Sous emprise, Sarah Barukh a elle-même quitté un conjoint violent. Son parcours nous éclaire et nous permet de mieux comprendre les conditions de l’emprise. Au fil des pages, Sarah Barukh questionne des experts comme des avocats, des médecins, une philosophe mais aussi sa propre mère pour essayer de comprendre le mécanisme de l’emprise dans notre culture, la violence envers les femmes et les moyens qui sont mis en place dans notre société patriarcale. Grâce à l’aide d’une association, Sarah Barukh détaille comment et quand quitter un conjoint violent. Incontournable en ce qui concerne les féminicides, ce livre offre des pistes de compréhension et fait l’effet d’un miroir lorsque des femmes racontent le terrible destin d’autres femmes. Excellent moment de lecture.
Blizzard. M. Vingtras
Marie Vingtras a reçu une multitude de prix littéraires pour ce premier roman choral efficace. Nous sommes en Alaska, la tempête de neige se prépare. Benedict a allumé un feu dans la cheminée, il est seul dans la maison qui craque et gémit. La femme qui s’occupe de son fils, Bess, est sortie avec le petit. Mais Bess a lâché sa main quelques instants et l’enfant a disparu dans le blizzard. L’alerte est vite donnée et les proches de Benedict se lancent à la recherche du garçon en raquettes et motoneige. Rapidement, une course contre la mort s’engage. Alors que le blizzard souffle, quatre personnages s’expriment à tour de rôle. Chacun dévoile son passé, sa vérité et quelques secrets. Le style de la fiction est incisif et maîtrisé. Les phrases sont courtes car l’auteure cherche d’abord à raconter. Puis, au fil de courts chapitres, le rythme s’accélère. Le suspens est pourtant maintenu jusqu’à la fin même si les éléments distillés, tout au long de l’intrigue, sont abondants. Ce huis clos à ciel ouvert se révèle digne d’un thriller nord-américain où les thèmes de la culpabilité et de la paternité émergent. Bon moment de lecture.
Cerveau et Nature. M. Le Van Quyen
Directeur de recherche à l’Inserm, Michel Le Van Quyen a déjà publié des ouvrages qui traitent du cerveau. Le neuroscientifique s’interroge, ici, à propos de l’impact de la nature et de sa beauté sur le fonctionnement de notre cerveau. En effet, l’auteur démontre à quel point nous avons besoin de la beauté du monde, au sein d’environnements naturels différents, pour bénéficier d’une bonne santé mentale. Au moment des confinements, liés au Covid, l’auteur a mis en évidence le fait que les populations urbaines étaient plus souvent exposées aux troubles de l’humeur comme l’anxiété et la dépression. Pouvoir regarder un arbre ou un jardin depuis une fenêtre d’hôpital, augmenterait la rapidité de guérison. D’après l’auteur, la nature est une source continuelle de joie et de fascination ; une expérience polysensorielle (odeur, vision…) qui augmente notre immunité. Par sa beauté et son calme, le vivant a de nombreuses vertus dont le pouvoir d’accaparer notre attention en bloquant nos pensées négatives et les ruminations inutiles. Depuis quarante ans, les Japonais préconisent « les bains de forêt » car se promener dans les bois permet de lutter contre le stress, apaise notre cerveau et regénère notre corps grâce à des effets anti-inflammatoires. La vue et l’expérience de la mer nous permettent également de nous connecter au vivant. Ecouter les sons marins et flotter à la surface de l’eau relaxent notre cerveau en nous renvoyant à des souvenirs in utéro. Loin d’un simple décor, la nature réside au plus profond de nous. Sortons, il est encore temps d’en profiter ! Bon moment de lecture.
Le chemin de sel. R. Winn
Il y a deux bonnes raisons d’acheter ce livre : passer un bon moment de lecture, façon « feel good », et contribuer au nouvel avenir de Raynor et Moth Winn. En effet, après avoir fait un mauvais investissement, ce couple de cinquantenaires gallois perd tous ses biens et la jolie maison où leurs deux enfants ont grandi. A la même période, Moth apprend qu’il est atteint d’une maladie incurable. Que faire ? Où aller ? Fusionnels, Raynor et Moth choisissent de ne pas devenir un fardeau pour leur famille. Ensemble, ils décident de parcourir plus de mille kilomètres sur le sentier côtier du sud de l’Angleterre, bordé de broussailles. Au moment d’enfiler les sacs à dos, le périple commence pour ce couple attachant de sans abri. Faire du camping sauvage n’est pas de tout repos car il faut parfois monter la tente alors que le vent souffle ou que la pluie tombe sur les falaises. Mais le paysage se révèle souvent magnifique à l’aube et la vue sur la mer réconfortante. Pour se nourrir, le couple fait systématiquement cuire des nouilles dans un petit réchaud, gère l’eau potable, recompte la monnaie avant de voler des barres chocolatées. Chaque jour, les amoureux fréquentent un commerce afin de bénéficier d’eau chaude gratuite pour leur thé. A chaque étape, Raynor constate la présence d’autres sans abri et partage ses opinions. Grâce à la plume poétique de Raynor, la lectrice suit ces éternels amoureux sur le chemin de sel, ce sentier où ils croisent d’autres promeneurs mais aussi toutes sortes d’animaux, papillons et oiseaux. En se confrontant au vivant, Raynor et Moth ressentent une palette d’émotions : la faim, la peur, le froid, la chaleur, le désespoir et quelques joies. Tout au long du récit, la lectrice est à leur côté, à la fois inquiète et compatissante. Heureusement, certaines rencontres vont changer leur destin. Miraculeusement, après des mois de marche sur cette terre rocailleuse, Moth va se sentir mieux. Quel est le réel pouvoir de la marche et de la nature ? Excellent moment de lecture.
Corps de femmes, incarner son féminin.
Stéphanie Honoré a eu la bonne idée d’assembler les témoignages de dix femmes et de deux hommes afin d’évoquer le corps féminin. Chacun, chacune, apporte une dimension nouvelle au corps de la femme, cet objet de désir, victime d’agressions. Au premier chapitre de ce livre choral, Lucie témoigne des nombreuses difficultés de la femme contemporaine, celle qui cherche sa place dans une société favorable aux hommes. Adepte de la médecine traditionnelle indienne, Emmanuelle évoque sa maternité et son corps multiple : corps berceau, corps coquille, corps de vie ; corps des miracles. Sage femme, Maï décrit l’incroyable force des femmes qui souffrent dans leur corps au moment et après l’accouchement. Puis, Maï livre sa propre expérience de la maternité. Après les attentats de Paris, Sophie témoigne de la peur qui a habité son corps mais également de sa souffrance corporelle liée à une forme d’endométriose. A la veille de la cinquantaine, Sophie lève le voile sur sa ménopause et ses nombreux effets. Sénologue, Dominique évoque les seins des femmes et le cancer qui touche cet élément singulier de l’anatomie féminine. D’autres témoignages évoquent encore ce corps poétique, résidence de nos émotions. Finalement, lever des tabous (ménopause, règles) et évoquer la féminité contribuent à libérer la parole. C’est, aux yeux de la lectrice, le grand mérite de ce livre. Bon moment de lecture.
Je suis née au son du violon. B. Flye Sainte Marie
Cette biographie romancée nous invite à découvrir le portrait d’une violoniste française méconnue, pourtant célèbre au 19ème siècle : Camille Urso. Avec talent, Bénédicte Flye Sainte Marie nous raconte la vie de cette musicienne et sa brillante carrière aux Etats-Unis. Grâce à une riche documentation, la lectrice découvre les mœurs d’une époque, son univers musical et quelques artistes dont certains belges. Mais l’auteure a l’intelligence d’évoquer la condition des femmes et les nombreux obstacles rencontrés par Camille, à son époque. En choisissant le violon, la virtuose a fait face aux préjugés de certains hommes pour qui cet instrument était trop « viril ». Féministe et femme de caractère, la musicienne a ensuite mené un combat pour faire embaucher les femmes artistes dans les orchestres au même titre que les hommes. Finalement, grâce à ses convictions, Camille Urso a facilité l’accès à des générations de jeunes femmes aux Conservatoires et dans les écoles de musique. La lectrice se demande alors pourquoi Camille Urso a été si vite oubliée ? D’après l’auteure, la musicienne féministe a été victime de « mentrification », ce phénomène qui tend à rendre invisible les femmes à travers l’Histoire. Au fil de son ouvrage, Bénédicte Flye Sainte Marie redonne une place à la musicienne prodige, la sort de son anonymat pour notre plaisir de lecture. Avant de signer cette biographie, Bénédicte Flye Sainte Marie dénonce certains archaïsmes qui persistent dans le monde musical français (seulement 6% des chefs d’orchestre et un quart des solistes sont des femmes). Finalement, à la manière de Camille Urso, Bénédicte Flye Sainte Marie s’indigne, dénonce et mène son combat de féministe pour une meilleure parité. Bon moment de lecture.
La Californie. B. Masi
C’est le ton du roman qui donne une saveur singulière à cette lecture. Bruno Masi nous raconte l’adolescence désenchantée de Marcus, né de père inconnu. La fiction se déroule dans une cité balnéaire française entre mer et béton. La mère, Annie, est partie depuis quelques temps, laissant Marcus et son demi frère, violent, seuls dans un appartement miteux. Sous le soleil des vacances, Marcus s’ennuie, s’amuse avec son copain Virgile, embrasse une fille et rêve de la Californie en regardant les voitures passer sur l’autoroute. La solitude, l’ennui et l’abandon sont les thèmes de ce roman très touchant et bien écrit. Bruno Masi raconte le temps des premières fois pour Marcus, ce garçon délaissé qui garde, au plus profond de lui, l’espoir de retrouver sa mère. La lectrice aime l’atmosphère particulière des années 80 et une bande son familière qui ravivent souvenirs et émotions. Prix Marcel Pagnol. Excellent moment de lecture.
Du temps de ma splendeur. A. Djian
Ne vous fiez pas à la quatrième de couverture du premier roman d’Aurélie Djian. Loin du roman moralisateur, cette fiction traite avec un certain humour d’une relation mère-fille-grand-mère. Au cours de son éducation, la narratrice se retrouve tiraillée entre ces deux modèles : une mère qui règne en Reine (son prénom) et Rose, une grand-mère aimante. Méditerranéenne, juive séfarade, Reine est une ancienne beauté, blessée par un divorce humiliant dont elle ne se remettra jamais. Dans une ambiance post divorce chaotique, la narratrice grandit aux côtés de cette mère toxique qui refuse de vieillir. Blessée, la narratrice trouve du réconfort auprès de Rose, sa grand-mère protectrice, romantique et bienveillante. Malgré le divorce, la fille maintient une relation avec son père. Son amour pour sa fille, ses confidences et son désarroi face à la maladie touchent la lectrice. Belle comme sa mère, la narratrice va ensuite collectionner les amants dont beaucoup d’hommes mariés. Certaines lectrices se retrouveront dans ce roman aux accents biographiques. Le style d’Aurélie Djian est singulier et touchant ; sa plume semble imbibée par une forme de sincérité. Ce qui réjouit la lectrice, ce sont notamment les longues listes poétiques qui se rapportent à ses amours mais qui, parfois, déroutent la lecture. Teinté de cynisme, ce roman d’apprentissage retrace, avec originalité, une éducation sexuelle et sentimentale. Excellent moment de lecture.
Bluff. D. Fauquemberg
Bluff est une ville portuaire située sur l’île du sud de la Nouvelle Zélande. Les éditions « Folio » ont d’ailleurs eu la bonne idée d’indiquer cet endroit reculé sur une carte du monde. Le roman de David Fauquemberg est une immersion totale dans l’univers des marins pêcheurs, au large des terres appartenant aux Maoris. Inspiré, l’auteur nous raconte l’histoire d’un Français qui embarque à bord d’un bateau de pêche appartenant à Rongo Walker. Ce vieux patron pêcheur est secondé par un tahitien nommé Tamatoa. A bord du « Toroa », le frenchie écoute ces hommes de la mer évoquer la vie des anciens, les voies de navigation, les étoiles, les poissons et les oiseaux. Il y est question d’amour de l’océan, de la beauté des paysages côtiers, de l’histoire d’un peuple faite de légendes, de croyances et de ces navigateurs qui jadis épousaient l’océan à bord de leurs pirogues pour se laisser guider par la vague. Toujours sur le pont, Rongo Walker tente une expédition : une pêche miraculeuse de langoustes. Pourtant, le loup de mer sait qu’il risque gros car la tempête approche. Passionné et passionnant, le roman de David Fauquemberg est une aventure poétique, un dépaysement bluffant. Excellent moment de lecture. Prix Livre & Mer Henri Queffélec 2018. Prix Gens de mer- Étonnants Voyageurs 2018.
Vivre vite. B. Giraud
Brigitte Giraud vient de remporter le prestigieux Prix Goncourt grâce à ce récit qui se lit à toute vitesse. Vingt-ans après la disparition de son mari, Claude, dans un accident de moto à Lyon, Brigitte Giraud refait l’histoire, décortique la mécanique du drame pour enfin tenter de comprendre. A la recherche de la vérité, Brigitte Giraud a choisi de construire son récit sur la base de différentes hypothèses, des « si », des questions restées sans réponse. Et si la narratrice avait téléphoné à Claude la veille ? Et si Claude n’avait pas pris la moto sans autorisation ? Et si elle avait eu un portable ? Au fil des pages, la lectrice entre dans la vie de ce couple ressuscité, passionné de musique, à une époque où internet n’existait pas. Au cours de sa lecture, la lectrice découvre le personnage de Claude, ce qu’il aimait, ce qu’il écoutait, sa dernière journée ; un compte à rebours macabre. L’écriture de Brigitte Giraud semble familière, passionnante et émouvante dans sa quête de sens, de signes du destin suite à la perte de l’être cher. Malgré la multitude de petits détails, l’auteure livre avec pudeur ses sentiments, sa culpabilité et son incommensurable chagrin. Finalement, chaque lectrice pourrait être cette narratrice ; une femme frappée par le drame. Par sa façon de superposer l’imaginaire au réel, Brigitte Giraud nous offre un récit intime qui résonne. Excellent moment de lecture. Prix Goncourt 22.
Le lac au miroir. O. Lefranc
Connaissez-vous Bali ? Dans ce premier roman, Odile Lefranc crée un univers à la fois singulier et exotique qui plaît à la lectrice. Hannah Springer est la narratrice de cette fiction bien construite qui fait voyager de Bali, à Paris en passant par l’Allemagne. Avec talent, Odile Lefranc entremêle le passé et le présent tout en entretenant un certain suspense. Suite à une relation compliquée avec sa mère Magda, Hannah a claqué la porte de l’appartement familial, à l’âge de dix-huit ans. Vingt-ans plus tard, en vacances à Bali, Hannah apprend le décès brutal de sa mère et décide de se rendre illico à Paris. En effet, il est grand temps pour Hannah de reconstituer le passé familial, comprendre ses origines, découvrir enfin le nom de son père. En pénétrant dans l’appartement parisien, Hannah se souvient avec émotion d’un tableau qui a disparu au cours de son enfance : « Le lac au miroir ». Cette jolie toile est une œuvre de Walter Spies, un peintre allemand exilé à Bali, un siècle plus tôt. En enquêtant en Allemagne, Hannah va alors découvrir un lien avec le peintre, le passé trouble de son grand-père et les secrets bien gardés de sa défunte mère. Au fil des pages, Odile Lefranc rend un bel hommage à Walter Spies, reconstitue sa vie mouvementée sur l’île volcanique. La lectrice se passionne pour la quête de vérité d’Hannah, son besoin de réparer et son désir de femme. Grâce à la poésie qui se dégage du roman, la lectrice entrevoit la beauté de l’île de Bali, sa lumière et ses paysages d’où s’élève le son du gamelan. Bon moment de lecture.
La ville des vivants. N. Lagioia
Certains livres laissent des traces, ils nous hantent quelques temps après leur lecture. L’ouvrage de Nicola Lagioia en est le parfait exemple. Directeur du salon international du livre de Turin, l’auteur a enquêté sur le meurtre sordide de Luca Varani à Rome, en 2016. En choisissant la fiction, Nicola Lagioia reconstitue le mécanisme d’un drame affreux, un assassinat commis par deux jeunes hommes oisifs dans une ville en pleine déchéance. Fruit d’un long travail de documentation qui se compose de pièces judiciaires, témoignages, écoutes et recherches, cette fiction va jusqu’au bout de l’enquête, au-delà du procès. Au cours de son travail journalistique, l’auteur cherche le point de rupture, l’instant où tout a basculé lors d’une soirée arrosée entre copains sous cocaïne. De son côté, la lectrice est bouleversée par la violence de l’assassinat et l’absence de mobile des deux protagonistes qui, par ce crime atroce, se condamnent eux même. Tout au long de la lecture, la lectrice ressent l’onde de choc, l’incompréhension de trois familles et de toute l’Italie. Captivé par ce fait divers, Nicola Lagioia ne lâche sa plume à aucun moment et chasse l’ennui. Bien construit, la fiction, qui s’apparente à un document, passionne tout en offrant une palette d’émotions. Bon moment de lecture.
GPS. Lucie Rico
Le dernier roman de Lucie Rico nous propulse dans une autre dimension. C’est d’abord l’originalité de cette fiction qui surprend la lectrice. Voici le pitch : journaliste de faits divers au chômage, Ariane traîne chez elle sans grande motivation. Le jour où Sandrine l’invite à ses fiançailles, elle partage avec son amie sa position GPS afin de l’aider à trouver l’endroit. Mais, au lendemain des fiançailles, Sandrine disparaît mystérieusement. Grâce à sa géolocalisation, Ariane va suivre désespérément son amie en scrutant le petit point rouge sur l’écran de son portable. Ecrit à la deuxième personne du singulier, ce roman est décidemment très différent d’un roman classique. Malgré elle, Ariane devient spectatrice d’un polar dédié aux outils de technologies modernes comme le GPS, Google Maps, Street View ou Timelapse, en bouleversant allégrement notre rapport espace-temps. Au-delà de cet univers virtuel, Ariane éprouve des sentiments, des émotions sincères pour Sandrine ; un impossible deuil. Si au début de la lecture un doute s’installe, le roman finit par emporter la lectrice grâce à l’humour, la singularité et le cynisme de Lucie Rico. Finalement, cette fiction à suspense a le grand mérite de nous questionner à propos du monde virtuel et de ses limites. Prix Wepler 2022. Bon moment de lecture.
Etienne Daho, A Secret Book. S. Coma
Sous les branches du sapin de Noël, j’ai trouvé cette magnifique biographie d’Etienne Daho. L’auteure, Sylvie Coma, est une journaliste et amie du chanteur pop depuis leurs années de lycée à Rennes. La lectrice est conquise par ce livre grand format, son joyeux graphisme, le choix de la typographie et les innombrables illustrations. Sur les airs de « la notte », les pages se tournent avec l’envie d’en savoir plus à propos de ce garçon discret qui a grandi devant un juke-box en Algérie avant d’atterrir brutalement en France. En 1985, le succès éclate puis se poursuit avec « Pop Satori » qui le propulse chef de file de la pop française. De photos personnelles aux photos officielles en passant par des documents privés et des télégrammes colorés, la lectrice plonge un peu plus profondément dans l’univers particulier de l’artiste dont elle découvre l’histoire personnelle et les thèmes de prédilection. Fan inconditionnelle, la lectrice aime tourner les pages de cette biographie avant d’écouter les albums de son adolescence, sans jamais se lasser. Excellent moment de lecture.
961 heures à Beyrouth. R. Sekiguchi
Cette auteure japonaise propose un livre étonnant à propos de son séjour à Beyrouth en 2018, avant la révolution d’octobre 2019 puis l’explosion du 4 août 2020. Ryoko Sekiguchi nous offre donc « un livre de la veille » ; un ouvrage de cuisine mais aussi une mémoire, « l’archive des cinq sens » d’une époque et un portrait de la ville. Les 321 plats correspondent à des observations, des fragments de vie, car en réalité il y a peu de recettes. Grâce à son point de vue, la lectrice devine les odeurs, les couleurs, le goût des ingrédients comme le zaatar, les feuilles de mloukhiya, le sésame et des plats comme le kebbeh, le mfataka ou le tabbouleh. Au fil des pages, son regard bienveillant, ses comparaisons avec les villes de Paris et Tokyo ainsi que la profondeur de ses réflexions rendent la lecture agréable. Par coïncidence, le chiffre 961 correspond à l’indicatif téléphonique du Liban. Un petit livre plein d’humanité et de curiosité. Bon moment de lecture.