Il était temps, pour moi, de lire ce roman, à succès, en version poche. Tahar Ben Jelloun nous parle, ici, du couple mais, en aucun cas, de bonheur. En effet, le thème principal de ce roman oriental est bien l’enfer conjugal où se retrouvent enfermés deux individus qui pensaient s’aimer pour la vie. A Casablanca, un grand artiste peintre se remémore sa rencontre, en 1986, avec celle qui deviendra sa femme, la mère de ses enfants. Cloué au lit après un accident vasculaire cérébral, l’artiste donne sa version des faits, persuadé que son mariage est à l’origine de sa déchéance. Le style métaphorique et le caractère Bergmanien de la fiction donnent un ton singulier à la lecture. La première partie: « l’homme qui aimait trop les femmes » est particulièrement aboutie. La seconde partie: « ma version des faits » se présente comme un droit de réponse de la femme. Cette idée originale plaît énormément mais c’est surtout la façon dont Tahar Ben Jelloun raconte qui passionne la lectrice. L’aveuglement de l’amour, l’infidélité, le mensonge, le secret, la frustration, l’origine sociale, la différence culturelle…font partie des nombreux thèmes traités avec intelligence. La lectrice découvre, à travers les chapitres, une très large palette d’émotions avec laquelle l’auteur jongle aisément. Peut être faut il être passé par l’étape du mariage pour apprécier ce roman moral qui questionne. Il en est de même pour l’auteur qui maîtrise, ici, parfaitement son sujet. Excellent moment de lecture.
Archives mensuelles : juillet 2014
Le roman de Louise. H. Gougaud
Ce livre est à la fois un roman et une biographie car il retrace chronologiquement la vie d’une figure emblématique de la Commune, Louise Michel, depuis sa naissance en 1830 jusqu’à sa mort en 1905. Dès les premières pages, l’auteur rend un vibrant hommage à « la vierge rouge », cette militante anarchiste, féministe indomptable. La plume pleine de verve, Henri Gougaud nous emmène sur les barricades de Paris au milieu des bannières et des airs de clairons. Petit bémol: la lectrice se perd parfois dans les cortèges des rues embrumées de poussière. Très tôt, Louise Michel joue à cache-cache avec la mort; elle rêve de tuer Napoléon et sera finalement emprisonnée en Nouvelle-Calédonie où elle enseignera le français aux Canaques. Derrière cet hommage, Henri Gougaud tente de nous présenter son héroïne au plus près de la réalité. Cette femme de conviction, assoiffée de justice sociale, toujours au service des autres, est aussi une femme complexe, sèche et intransigeante. Proche de Victor Hugo, lectrice de Baudelaire et amoureuse de Téophile Ferré, Louise Michel sera, tout au long de sa vie, une femme engagée qui luttera contre la misère du peuple. Grâce à Henri Gougaud, nous redécouvrons un personnage révolutionnaire hors du commun, une femme au destin romanesque. Bonus: les repères historiques, à la fin du livre. Grand Prix de l’Héroïne, Madame Figaro, 2014.
Les enfants de Titaniah. S. Fribourg
J’ai fait la connaissance de Sugeeta, et de son roman jeunesse, lors d’un atelier d’écriture. Ce livre est à l’image de son auteure: loufoque et poétique.D’après mon expérience, il s’adresse aux très bons lecteurs de douze ans. Nous voici sur la planète Titaniah où un incendie ravage l’île du Vieux Chêne. Arrive alors le personnage de Sylvio, un héros de douze ans, qui a la particularité de communiquer avec les animaux et la nature. Débute, alors, une aventure pleine de rebondissements mais aussi de magie, de rêve, de poésie et d’humour. Les nombreux personnages sont singuliers et nous font passer du rire aux larmes, sans lassitude. La plume pleine de virtuosité, Sugeeta nous raconte une histoire très actuelle sur fond de sauvegarde écologique. Bon moment de lecture.
Y. M. Celona
Voici un roman canadien dont le titre « Y » se lit « why? ». Et, il s’agit bien d’un roman en forme de quête et de questionnement. A l’aube de son premier jour, Shannon est abandonnée par sa mère devant les portes d’un YMCA, une association de chrétiens à Vancouver. Depuis sa voiture, un homme est témoin de la scène. Il se prénomme Vaughn et servira de personnage-clé à la fin du roman. Ce qui plaît à la lectrice, c’est d’abord le climat original et l’écriture méthodique de Marjorie Celona. Elle décrit, avec beaucoup de détails, une société moderne et malade, pleine de marques, de commerces et de malbouffe où le temps s’écoule lentement; une ambiance très particulière, glauque et ordinaire mais d’un réalisme saisissant. Les personnages sont, en grande partie, des inadaptés sociaux, des désoeuvrés ou des gueules cassées qui, grâce à leurs imperfections, sont souvent attachants. Shannon est notre narratrice, notre héroïne, et nous la suivons de sa naissance au jour de ses dix-sept ans. Alors que pour la plupart des gens, la vie est faite de nombreuses possibilités, la vie de Shannon est faite de nombreuses impossibilités. Certains ont de la chance dans la vie, d’autres pas; c’est ce que l’auteure souligne tout au long du roman. L’intrigue est judicieusement bien construite car elle retrace la vie de cette jeune fille parallèlement à celle de sa mère Yula. L’héritage maternel, le déterminisme social et la famille dysfonctionnelle sont les grands thèmes traités par Marjorie Celona. De familles d’accueil en famille d’accueil, Shannon va subir la maltraitance, l’abus et, une nouvelle fois, l’abandon. Ce qui frappe, c’est le désordre qui règne dans la vie de Shannon et dans ce roman insolite. Entres les chats, le chien Winkie et les frites du McDo, Shannon se trouve moche: « un Schtroumpf avec un oeil qui foire ». Cette gamine émouvante, pour laquelle nous ressentons beaucoup d’empathie, traîne son mal être et cherche ses origines jusqu’au jour où…un roman borderline, coup de coeur! Grand Prix de l’Héroïne « Madame Figaro », 2014.
La petite communiste qui ne souriait jamais. L. Lafon
Voici un roman singulier qui retrace librement le parcours d’une petite fée roumaine: Nadia Comaneci. Cette petite gymnaste, qui ne souriait jamais, est le produit du système communiste de Ceausescu. A cette époque, la Roumanie est une prison et son peuple crève de faim. Les rationnements, les dénonciations, la surveillance et la peur de la Securitate favorisent pourtant la solidarité et les rassemblements. Après un énorme travail de documentation, l’auteure se lance dans un dialogue imaginaire avec Nadia Comaneci. En quête de vérité, Lola Lafon cherche à saisir l’icône évanescente sans jamais y parvenir. Son écriture acérée épouse la forme du sujet: le corps maîtrisé et le mouvement. Tout au long du roman, la lectrice oscille entre la dichotomie des clichés Est/Ouest. Le talent de Lola Lafon est de nous montrer, ici, toutes les facettes et contradictions de ce bras de fer à travers des images contrastées. L’image de Nadia Comaneci, enfant adulée dans une aura de magnésie, se froisse au fil des pages. La jolie petite fille asexuée ne devait pas grandir; Lola Lafon tente également de comprendre la violence des propos des commentateurs sportifs de l’époque. Finalement, c’est le parallèle entre le parcours de Nadia Comaneci et la révolution roumaine qui passionne. Ce roman est rouge comme le sang des femmes surveillées par la police des menstruations; rouge comme la honte de Nadia dans sa lutte hormonale; rouge comme la lumière des églises illuminant les icônes; rouge comme son rouge à lèvres des soirées d’excès…Bon moment de lecture. Grand Prix de l’Héroïne Madame Figaro, 2014. Prix de la Closerie des lilas, 2014. Prix Littéraire d’Arcachon, 2014. Prix des lecteurs de Levallois, 2014. Prix Ouest-France Etonnants Voyageurs, 2014.
Confiteor. J. Cabré
J’attendais beaucoup de ce livre épais (sept cent pages) qui m’est finalement tombé des mains. Confiteor! Ce roman confession ne s’adresse certainement pas à tout le monde car Jaume Cabré écrit, ici, des morceaux de mémoire sans cohérence évidente et il faut être une très bonne lectrice pour suivre le narrateur au fil des pages. L’auteur nous tutoie, vouvoie, passe du « je » au « il » et nous entraîne dans des récits, des époques (Inquisition, Franquisme, Shoah…) trop variés. La liste des personnages est, elle aussi, bien trop longue. La lectrice se retrouve plongée dans une sorte de chaos épuisant tant l’amplitude du roman est grande. Pourtant, la vie intime d’Adria Ardevol, et de ses parents antiquaires, captive au cours des premiers chapitres. Nous suivons l’histoire, brouillée, de cette famille espagnole depuis les années cinquante jusqu’à nos jours avec un certain enthousiasme et une bonne dose de suspense. Adria est un personnage surdoué et attachant comme son ami Bernat. Sa foi en l’Art est un thème qui passionne comme remède face au mal. L’histoire de son violon Storioni est réellement attrayante et sert de fil rouge à la lectrice, avant de le perdre. D’ autres thèmes sont abordés comme ceux de la culpabilité, du mensonge, du secret, du mal, de l’enfance, de l’amour…dans ce roman démesuré.