Paul Lynch est un écrivain irlandais singulier. Dans ce roman, il déploie tout son talent pour nous offrir un personnage féminin rare et touchant. Nous sommes en Irlande, en 1845, au temps de la grande famine qui laissera dans son sillon plus d’un million de morts. Pour fuir cette misère, Grace, 14 ans, quitte son village et se retrouve sur les routes en compagnie de son petit frère Colly. Déguisée en garçon et pleine de courage, Grace affronte le froid, la vermine, la faim mais aussi la peur. Sur leur chemin, ils vont croiser des hommes mais aussi la mort et quelques fantômes. Paul Lynch nous plonge littéralement dans une époque miséreuse où tous les coups sont permis. Véritable roman d’apprentissage, Paul Lynch excelle dans sa façon de nous faire ressentir, au plus profond de nous, cette époque noire où passe un rayon de lumière. Bon moment de lecture.
Archives mensuelles : avril 2021
L’un L’autre. P. Stamm
Peter Stamm est un auteur Suisse-Allemand qui a déjà remporté plusieurs prix littéraires. Dans ce nouveau roman, c’est sa façon de décrire un cheminement, sur un ton particulier, qui séduit la lectrice. Astrid, Thomas, et leurs deux jeunes enfants, vivent dans une bourgade suisse. Tout semble bien se passer pour la petite famille qui rentre de vacances au soleil. Au crépuscule, le couple prend paisiblement l’apéritif. Astrid s’absente quelques minutes à l’intérieur de la maison. Dehors, Thomas disparaît dans le paysage vallonné. Commence, alors, un chemin d’errance pour ce père de famille. Paumé, Thomas improvise, se réfugie dans un camping désert, passe la nuit dans une cabane, croise des chasseurs, des bergers… Avec talent, Peter Stamm nous plonge au cœur d’une nature montagnarde faite de chemins de randonnées où apparaissent des lacs, des cols, des valons et quelques villages accrochés aux pentes escarpées. La lectrice observe la nouvelle vie de Thomas mais aussi celle d’Astrid qui se retrouve démunie face à l’absence. Retranchée dans son déni, la mère de famille ne perd pourtant jamais espoir. Il est question, dans ce roman à suspense, du couple, de la solitude, de la disparition et du lien qui unit les êtres. Excellent moment de lecture.
Le Consentement. V. Springora
Le premier livre de Vanessa Springora vient de paraître en poche après un succès retentissant. Ce récit bouleversant retrace les mécanismes d’une relation sous emprise qui a débuté trente ans auparavant. Vanessa a quatorze ans lorsqu’elle tombe amoureuse d’un célèbre écrivain français quinquagénaire, pédophile et éphébophile ; Gabriel Matzneff. En 1985, Vanessa grandit sans père, aux côtés d’une mère qui évolue dans un microcosme littéraire parisien. La jeune fille est précoce, à la fois mature et naïve. Séduite par l’écrivain, elle se lance à corps perdu dans une relation qu’elle suppose sublime. Ni ses parents divorcés, ni les plaintes anonymes déposées à la police n’arriveront à la protéger de ce prédateur qui a laissé une empreinte indélébile dans sa vie de femme. Sans jamais le nommer, elle décrit ce séducteur, manipulateur et menteur qui n’avait aucun scrupule à coucher sur le papier ses relations pédophiles (« Les moins de seize ans » …). Au moment où leur relation se dégrade, Vanessa le quitte, déprime, rate de justesse ses études. L’emprise physique devient psychologique lorsque Matzneff la harcèle, la poursuit, lui écrit des lettres d’amour…Ce livre d’introspection permet de lever le voile sur le tabou d’une société permissive, à une époque de déni, et de nous interpeller à propos de l’âge du consentement. Excellent moment de lecture. Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2020. Prix Jean-Jacques Rousseau 2020.
L’inconnu de la poste. F. Aubenas
Les faits-divers passionnent le public depuis longtemps. Après quelques films, séries et romans reprenant des affaires célèbres, Florence Aubenas a choisi de s’emparer du mystère de « L’inconnu de la poste ». Le 19 décembre 2008, la postière de Montréal-la-Cluse, Catherine Burgod, ouvre son agence. A 8h37, Catherine se prépare un café et envoie un sms à une amie. A 9h05, deux clients entrent dans la poste et la découvrent assassinée, poignardée, baignant dans une marre de sang. Que s’est-il passé ? Consciencieusement, Florence Aubenas retrace l’enquête en n’omettant aucun détail. L’ex-mari de la postière est soupçonné ainsi qu’un acteur marginal du cinéma français, Gérald Thomassin, qui devient le suspect numéro un. Meilleur espoir masculin pour son rôle dans le film de Jacques Doillon « Le petit criminel », l’acteur venait d’emménager juste en face du bureau de poste et passait ses journées à boire et se droguer. Dix ans après les faits, le nom d’un nouveau suspect apparaît soudainement dans le dossier. La veille du procès d’assises, Florence Aubenas a rendez-vous avec Gérald Thomassin mais celui-ci disparaît mystérieusement. Florence Aubenas nous offre le portrait d’une France rurale, une vallée d’usines de plastique peuplée de désœuvrés. Grâce à son style littéraire, la journaliste nous embarque totalement et maintient le suspense. Au fil des pages, la lectrice retrouve tous les ingrédients d’un bon polar : un crime, un décor, des personnages et de multiples rebondissements. Excellent moment de lecture.
Betty. T. McDaniel
Ce roman américain est un ovni qui célèbre le pouvoir de l’imaginaire. Dans un style fabuleusement singulier, Tiffany McDaniel raconte la vie de Betty Carpenter, surnommée « la petite indienne ». En marge de la société, la famille Carpenter s’installe avec ses huit enfants dans une maison maudite de l’Ohio, au milieu des années 50/60. Grâce à son père, guérisseur cherokee, Betty va vivre une enfance poétique, bercée par les mots, les légendes et croyances paternelles. C’est bien le personnage du père qui est central dans cette fiction car l’auteure nous le présente comme un être attachant, aimant et pur. C’est lui qui va enchanter l’existence de ses enfants en vivant au plus près de la nature, en jonglant avec les mots et quelques tours de magie. Petite métisse, Betty grandit dans la pauvreté et découvre la cruauté, le racisme et la violence du monde extérieur mais aussi de terribles secrets de famille. Et c’est à travers l’écriture que Betty va se confier, se libérer de ses secrets en parlant de la souffrance des femmes et plus spécifiquement de celle de sa mère. Par son regard, Tiffany McDaniel nous parle des démons qui hantent l’Amérique rurale. Cette fresque familiale pourrait bien être un classique mais son prix le rend inaccessible à de nombreux lecteurs (26 euros). Roman coup de cœur. Prix du roman Fnac 2020.