
Au pays des kangourous. G. Paris

En ce beau mois de mai, j’ai eu la grande chance de rencontrer Delphine de Vigan grâce à « Madame Figaro » . En parlant de son meilleur roman « Rien ne s’oppose à la nuit », elle m’a demandé si j’avais lu « les Heures souterraines » (2009). Face à ma réponse négative, Delphine de Vigan a proposé de me le faire parvenir. J’ai été très touchée par sa sensibilité et encore plus étonnée de recevoir son livre gentiment dédicacé. J’ai donc lu « les Heures souterraines »; lacune comblée. Les deux personnages principaux vivent à Paris, une ville que l’auteure désigne comme « ce territoire infini d’intersections où l’on ne se rencontre pas » . Mathilde est veuve, mère de trois enfants, cadre dans un grand groupe. Progressivement, elle est mise au placard par son supérieur et découvre l’entreprise comme un lieu totalitaire. Malgré elle, Mathilde continue d’emprunter quotidiennement les couloirs souterrains du RER D, dans les entrailles de cette ville oppressante à l’air vicié. Mathilde va y perdre son énergie, son côté conquérant comme sa carte de World of Warcraft » le défenseur de l’aube d’argent » . Parallèlement, Thibault est médecin urgentiste dans cette capitale étouffante où il soigne des hommes reclus comme des rats dans des appartements miteux. La solitude, le manque d’amour, la fin de vie, le harcèlement au travail et l’écoulement du temps sont les principaux thèmes de ce roman particulièrement bien écrit. Le style de l’auteur est direct, brutal, incisif. La lectrice ressent, derrière les mots, l’angoisse, la colère et la violence : la ville telle une menace. « Les gens désespérés ne se rencontrent pas« . Excellent moment de lecture.
Voici une biographie à l’américaine, on ne peut plus exhaustive. Yves Bigot maîtrise parfaitement son sujet en tant que journaliste, ex patron de Mercury, directeur des programmes mais surtout comparse de Michel Berger disparu il y a vingt ans. Au premier chapitre, l’auteur justifie ses choix, son amour pour la musique et sa volonté de ne pas prendre parti, ce qui se révèlera parfois intenable. Il retrace ensuite chronologiquement la vie de ce chanteur meurtri par l’abandon. L’auteur fait intervenir les commentaires d’artistes et personnalités qui ont côtoyé Michel Berger de la période yéyé à la controversée période rock aboutissant à l’écriture de rock symphonique et de Starmania. Compositeur, parolier, réalisateur, producteur, chanteur etc… c’était un boulimique de travail, un intellectuel racé, exigeant, discret et ambitieux qui souffrait de trop peu de reconnaissance. Il est intéressant d’apprendre qu’il a été, tout au long de sa courte vie, omnibulé par la fatalité. La période Véronique Sanson est largement exposée. Les comportements erratiques de la chanteuse nous laissent deviner la souffrance de Michel Berger face à cet amour vain. France Gall, sa femme et mère de ses enfants lui donnera enfin une stabilité, une complicité durant de longues années même si une certaine Béatrice Grimm se glisse dans les dernières pages de cette biographie. Ce que nous pouvons regretter ici, c’est cette impression parfois désagréable de nous trouver dans un dîner mondain entre Pierre Lescure et Yves Bigot se perdant dans des détails futiles ou trop intimes. Nous n’avons pas de mal à imaginer la malveillance et les rumeurs du show-biz de l’époque. Les longues listes de chansons sont également parasitaires dans la lecture de cette biographie. Admettons cependant que ces détails permettent aussi de nous immerger totalement dans le paysage de Michel Berger. La postface de Bayon est malheureusement illisible pour une lectrice novice. Cette biographie est une saga. Il faut bien reconnaître que nous avons tous en nous quelque chose de Michel Berger.
Suite à un article élogieux paru dans le magazine « psychologies » (Mai 12), j’ai lu ce roman étranger qui a reçu le prix du premier roman décerné par les libraires indépendants australiens. La famille, la jalousie, la maladie et la mort, le secret, le pardon et la solitude sont les principaux thèmes développés par l’auteur dans ce roman singulier à deux voix: le narrateur à huit et vingt huit ans. Le ventre est bien le siège des émotions ressenties par ce petit garçon tout au long de son enfance de « seulitaire » effrayé par ses sensations: « les sentiments sont méchants ». Ses parents exercent le difficile métier de famille d’accueil. Robert arrive dans cette famille, un petit garçon différent des autres qui va accaparer l’amour de la mère et exacerber la jalousie du narrateur. La vie de cette famille d’accueil va être fracassée par un drame, bouleversant totalement la vie des personnages. Vingt ans plus tard, le narrateur revient auprès de sa mère et l’accompagne jusqu’au bout de son incurable maladie. La lectrice découvre un homme immature, violent et impulsif. Rongé par la culpabilité, il va pourtant marcher vers sa rédemption. La signification du titre apparaît comme une des clés de l’intrigue. Style imagé, puéril et brutal. Jon Bauer se met parfaitement à la hauteur de son jeune narrateur. Un roman bien construit et surprenant destiné à celles et ceux qui portent encore le fardeau de leur enfance.
Le temps passant et le succès de son dernier livre aidant, Delphine de Vigan republie, aujourd’hui, son tout premier roman. Fini les pseudonymes. Patrick Poivre d’Arvor m’a conseillé la lecture de ce livre dont le thème principal est l’anorexie. Il connaît, malheureusement, bien le sujet. Il est question ici de Laure, dix neuf ans, hospitalisée, à la fin des années quatre-vingt, suite à un trouble alimentaire profond. La jeune femme tombe amoureuse de son médecin (docteur Brunel!), son sauveur, le seul qui la rattache à la vie. Sur la voie de sa guérison, elle évolue au sein de l’unité parmi les patients avec qui elle se lie, parfois, d’amitié. A travers ce livre, et pour celles et ceux qui ont adoré « rien ne s’oppose à la nuit », les prémisses du drame familial se tissent: le divorce des parents de Vigan, la dislocation de la famille, le lien fraternel avec sa soeur, les conflits avec son père, la maladie de sa mère. Le ton est aussi virulent que la colère de Laure. Le style appartient à la juvénilité de l’auteur. La bande son caractéristique et les émissions de Canal Plus ou de Michel Drucker, en toîle de fond, nous évoquent une période révolue. Petit à petit, Laure va reprendre confiance en elle et les rennes de sa vie. Elle gardera, à vie, « une cicatrice indolore ». Roman instructif.
Pascal Louvrier retrace la vie de Françoise Sagan en analysant méthodiquement chaque période de sa vie. Françoise Quoirez est la cadette d’une famille bourgeoise française, une petite fille gâtée qui perdra son insouciance face aux images brutales de la seconde guerre mondiale. Vive et intelligente, elle se passionne très tôt pour Proust, Rimbaud, Stendhal et publie son premier roman, « Bonjour tristesse », à dix sept ans à peine, en 1954. Mélancolique à la lucidité effrayante, sa vie se déclinera en un long désenchantement. Cette androgyne, athée, qui fait volontiers l’école buissonnière va donner un sens à sa vie en écrivant. La biographie décrit sa métamorphose dès son premier succès en librairie. Elle nous renvoie aussi au côté réactionnaire de Sagan, à ses excès, ses drogues, ses dettes, ses amants et ses accidents de voiture. Pascal Louvrier cherche une signification à son attitude odalique et son perpétuel chagrin. Femme et mère, Sagan va lentement s’assagir. Déçue par les hommes, elle cachera son homosexualité, trop loin de ses principes éducatifs. L’auteur a recueilli des témoignages inédits de personnalités, et de son fils Denis, et fait constamment le parallèle entre l’époque Sagan et la nôtre. Il décortique intelligemment les thèmes abordés dans l’ensemble de son oeuvre. Cette biographie enrichissante fait suite au film (présenté comme caricatural par Pascal Louvrier) de Diane Kurys en 2007: Sagan. Les biographies parues précédemment sont citées en fin d’ouvrage ainsi que « les essentiels » pour les passionnés de Sagan. Cette biographie a le grand mérite de nous éclairer un peu plus sur l’évolution fulgurante d’un petit génie de la littérature française.