Le troisième volume de la saga italienne « L’amie prodigieuse » n’est pas aussi passionnant que les deux livres précédents car il y est surtout question du contexte politique de l’Italie, au début des années 70, d’attentats terroristes et de lutte prolétarienne. Même si beaucoup de critiques saluent la capacité d’Elena Ferrante à mêler l’histoire d’un pays à l’histoire intime, il faut bien avouer que c’est principalement l’intimité des deux amies qui nous intéresse. Nous retrouvons, donc, Elena à la fin de ses brillantes études à Pise. La jeune femme publie son premier roman, inspiré de ses amours de jeunesse, et se prépare à épouser Pietro, un universitaire. De son côté, Lila, jeune maman séparée de Stefano et de Nino, travaille dans une usine de salaison où elle subit du harcèlement. Enzo décide de la prendre sous son aile avec son fils Gennaro. A trois, ils vivent dans un logement médiocre d’un quartier sale et violent de Naples. Elena et Lila se téléphonent sporadiquement mais elles ne se comprennent plus. Secrètement, Elena souhaite parfois la mort de Lila, incapable de surmonter « le vide de sa dérobade ». Même si le roman passionne moins, il n’est pas question d’ennui car rien n’est figé dans cette fiction, à l’image d’une amitié prodigieuse. Tout au long de la lecture, la lectrice s’interroge sur l’identité de celui ou celle qui se cache derrière le pseudonyme d’Elena Ferrante. L’auteure restitue parfaitement un panel d’émotions typiquement féminines liées à la maternité, à la soif de liberté et d’indépendance ou à la passion amoureuse. Elle écrit sans détour, sans concession et dans un langage cru et familier. La justesse des sentiments et des émotions, le style romanesque et l’incroyable diversité des personnages représentent les forces de ce roman addictif. Le mystère Ferrante continue de fasciner autant que sa saga. Bon moment de lecture.
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Madame Pylinska et le secret de Chopin. E-E. Schmitt
Eric-Emmanuel Schmitt est un des auteurs francophones les plus lus et les plus représentés dans le monde, ce qui peut finir par agacer. En ouvrant ce énième roman, la lectrice s’apprête à déchanter. Âgé de vingt ans, Eric se présente chez Madame Pylinska dans l’espoir de se remettre au piano. Subjugué par un souvenir familial et fasciné par Chopin, le jeune homme débute maladroitement son apprentissage. Madame Pylinska va alors lui donner un enseignement musical original : des leçons particulières de vie et d’amour, à la fois poétiques et sensuelles. Ce roman fait partie du « Cycle de l’Invisible », un ensemble de fables, nouvelles et contes de l’auteur sur le thème des spiritualités. Dans ce nouvel opus, Eric-Emmanuel Schmitt nous parle en mélomane passionné et place la musique au-dessus de tous les arts. Virtuose de la plume, cet artiste complet ajoute une note harmonieuse au quotidien en faisant vibrer notre corde sensible. Excellent moment de lecture.
Le nouveau nom. E. Ferrante
Le deuxième tome de la saga d’Elena Ferrante est vraiment passionnant. Elena, la narratrice, raconte sa jeunesse napolitaine en compagnie de Lila, son amie d’enfance, l’épouse de Stefano. Impulsive et instable, Lila décide d’arrêter l’école et travaille à l’épicerie. Sage et réservée, Elena se consacre à ses études et part vivre à Pise. Secrètement, elle rêve d’une histoire d’amour avec Nino. La lectrice se retrouve propulsée à la fin des années soixante, lors d’un été torride et rétro sur l’île d’Ischia. Sous le soleil, les napolitaines passent des vacances trépidantes, pleines de rebondissements. Ce qui rend cette fiction bouleversante, c’est la justesse avec laquelle l’auteure raconte la vie et les sentiments des deux jeunes femmes. Les événements s’enchaînent pour ne jamais laisser place à l’ennui. Finalement, Elena et Lila cherchent, chacune à sa manière, à échapper au déterminisme social de l’époque. La violence quotidienne s’incruste dans la misère. Les flirts, les interdits, les mensonges et les secrets défilent. L’amitié prodigieuse est, cette fois, mise à rude épreuve pour notre grand plaisir de lecture. Bon moment de lecture.
L’amie prodigieuse. E. Ferrante
Si vous souhaitez vous plonger dans une longue saga, voici le premier des quatre tomes publiés par, la mystérieuse auteure italienne, Elena Ferrante. Cette première partie raconte l’amitié entre deux filles napolitaines, de l’enfance à l’adolescence. Elena et Lila sont issues d’un quartier populaire de Naples. C’est d’ailleurs Elena qui est la narratrice de ce roman d’apprentissage, bouleversant de justesse. Elle y raconte son quotidien au sein de sa famille, à l’école et avec ses amis; le temps des premiers émois. Au début des années cinquante, les deux fillettes sont voisines et amies tout en étant différentes l’une de l’autre. Lila est rebelle, malicieuse, farouche, agressive et sauvage. Elena est réservée, intelligente, peureuse et influençable. La diversité des personnages (Fernando Cerullo, Maria Carracci, Madame Oliviero, les frères Solara…) donne une force supplémentaire à cette fiction qui ressemble à un roman autobiographique. La lectrice est frappée par la violence qui fait partie intégrante de la société italienne à cette époque où règne « La Camorra ». Malheureusement, les deux filles côtoient, chaque jour, cette violence dans les familles, chez les voisins, dans la rue et à l’école. Elena Ferrante nous livre, ici, deux portraits de femmes émouvants ; deux femmes unies par une amitié prodigieuse. Bon moment de lecture.
Souvenirs de la marée basse. C. Thomas
Une journée réussie pour Chantal Thomas (à ne pas confondre avec la styliste Chantal Thomass !) est une journée de plage. Dans ce joli roman, l’auteure évoque avec grâce les étés des premières sensations, la magie de l’enfance et des rencontres sur le sable. Il est beaucoup question de filiation, de féminité, d’amitié et de liberté dans cet hommage aux rivages d’Arcachon; paradis perdu. Au présent et à la première personne du singulier, Chantal Thomas fait revivre sa famille française et ravive sa relation d’enfant unique avec des parents immatures. Le père disparaît trop tôt. La mère et la fille partagent le culte de l’eau et de l’océan. Dans un style infiniment poétique, Chantal Thomas compose un roman aux multiples tonalités. La petite fille revient à la source, retrace son sillage, sauve de l’oubli une mémoire. Bon moment de lecture.
Couleurs de l’incendie. P. Lemaitre
Pierre Lemaitre nous offre la suite de son roman « Au revoir là-haut » (Prix Goncourt 2013, Prix Roman France Télévisions 2013…), le deuxième volet d’une trilogie française épatante. Après un succès certain en librairie et l’excellente adaptation au cinéma du premier volet, la lectrice s’empresse de retrouver les personnages de cette fiction géniale. Le roman a le mérite de pouvoir se lire indépendamment mais ce serait vraiment dommage. En effet, Pierre Lemaitre nous entraîne dans une fiction palpitante où il est question de trahison, de vengeance, d’amour et de désillusion. Inspiré par son maître, Alexandre Dumas, l’auteur interpelle ses lecteurs et réserve un défilé de rebondissements ; une vengeance digne du Comte de Monte-Cristo. Nous retrouvons, donc, Madeleine Péricourt, en février 1927, à l’enterrement de son père. Grande bourgeoise, Madeleine est à la tête de la fortune familiale. Héritière, à une époque où les femmes ont peu de droits, elle élève seule son fils unique, Paul. Malheureusement exposée à la cupidité des hommes, Madeleine est soudainement ruinée et déclassée. Sa vengeance sera sublime, digne des plus grands romans. Grâce au film d’Albert Dupontel, « Au revoir là-haut », le visage de Madeleine s’anime au cours de la lecture sous les traits d’Emilie Dequenne. Paul, personnage éminemment attachant, se révèle sensible et touchant ; Léonce intrigue, Vladi interpelle, Solange étonne…Derrière les mots, la lectrice ressent l’enthousiasme contagieux de Pierre Lemaitre qui, par la maîtrise de son écriture, son ingéniosité et son humour, procure un plaisir de lecture inégalable. Excellent moment de lecture.
Les loyautés. D. De Vigan
Delphine De Vigan est une auteure attachante en phase avec notre société. En ce mois de janvier, elle publie un roman choral, sombre, différent des précédents. Il est question de quatre anti-héros dont Hélène, une enseignante dans un collège parisien. Le comportement d’un élève, Théo, l’interpelle et ranime les tourments de son enfance. Théo cache un secret bien trop lourd pour son jeune âge. Il partage sa souffrance avec Mathis dont la mère, Cécile, se méfie… Sensible et curieuse, Delphine De Vigan parle avec justesse des blessures silencieuses de l’enfance en cherchant à nous interpeller sur les thèmes de la maltraitance, la solitude, le divorce, l’alcoolisme…. Malgré une grande maîtrise de l’écriture, la lectrice regrette cette voix qui racontait si bien « Rien ne s’oppose à la nuit » ou « Une histoire vraie ». La fin ouverte offre une liberté que certains lecteurs ne pourront pas apprécier.
Alma. J. M. G. Le Clézio
Jean-Marie Gustave Le Clézio, Prix Nobel, nous offre dans ce dernier roman émouvant, un merveilleux hommage à l’île Maurice dont sa famille est originaire. Deux histoires s’y croisent, deux narrateurs, deux voix. Aventurier comme l’écrivain, le premier narrateur s’appelle Jérémie Felsen. En quête de ses origines, il débarque à Maurice sur les traces du fameux dodo, l’oiseau emblématique de l’île. La seconde voix est celle d’un clochard créole et lépreux, Dominique alias Dodo, un homme pour qui le temps se conjugue toujours au présent. Personnage misérable et poétique, Dodo révèle toute la compassion de l’écrivain pour les laissés-pour-compte et les esclaves de l’île. Alma sera le point commun des deux narrateurs, le domaine familial des « Felsen ». Au fil des pages, il est question de vie et de mort mais aussi de mémoire et d’oubli. La lecture, puissante, ressemble à un voyage inoubliable sur l’île à la découverte de son histoire, de sa langue, de sa faune, de sa flore… Comme personne, Le Clézio parle admirablement de la beauté de cette île propice à l’amour mais aussi du ravage des cultures, de l’irrémédiable déboisement, de la disparition du dodo….de mondes disparus. Bon moment de lecture.
Mistral perdu ou les événements. I. Monnin
Le nouveau roman d’Isabelle Monnin est un portrait de femme. La narratrice nous raconte son enfance et sa jeunesse, en France, aux côtés de son inséparable petite sœur ; dans un monde où tout change sauf Michel Drucker. Issue d’une famille de gauche, Isabelle Monnin revient sur sa propre histoire, ses joies, ses chagrins et sur ces événements qui ont bouleversé la France. Si vous êtes un(e) enfant des années 1970, le début du livre vous replongera automatiquement dans vos propres souvenirs avec, en bande son, des tubes nostalgiques (Mistral gagnant, Mon enfance, Hello papa tango charlie, Génération désenchantée…) . Entourée de ses fantômes, Isabelle Monnin puise au fond d’elle même des images, des sensations, des odeurs, des souvenirs partagés avec sa sœur qu’elle ne nomme jamais. A la fois générationnel et intime, le récit bouleverse comme une déclaration d’amour. Comment les événements percutent une vie? Dans un style caractéristique de son métier de journaliste, Isabelle Monnin nous dévoile son microcosme dans une France qui ne cesse de l’interpeller. Bon moment de lecture.
La Serpe. P. Jaenada
Petit coup de gueule au sujet de ce roman volumineux (640 pages). En reprenant le mystère du triple homicide du château d’Escoire, en octobre 1941, Philippe Jaenada promet de se lancer dans une enquête romanesque. Son idée de départ séduit la lectrice : « écrire un roman policier, un truc sanglant, résoudre une énigme… » d’autant plus que les éloges de la presse, et l’attribution du Prix Fémina, désignent ce roman comme un incontournable. La lecture s’annonce comme une partie de Cluedo passionnante à propos de l’énigmatique assassinat où, l’écrivain et haut fonctionnaire, Georges Girard trouva la mort aux côtés d’Amélie Girard et de Louise, la bonne de la famille. Rapidement, les soupçons se portent sur le fils de Georges, Henri, seul survivant au château et unique héritier. Grâce à ses recherches, l’auteur nous éclaire un peu plus sur la personnalité de ce fils capricieux. Malheureusement, au fil de la lecture, la lectrice déchante. Les digressions permanentes de Philippe Jaenada agacent. Il faut attendre la page 170 pour entrer dans le vif du sujet. L’auteur lui même passe son temps à s’excuser : « C’est trop long ce passage? » L’enquête pourrait réellement être captivante mais l’auteur passe une bonne partie du roman à épiloguer sur l’affaire Pauline Dubuisson, objet d’un précédent roman. Il n’est pas, ici, question de remettre en question le talent de Philippe Jaenada. Certains diront même que ces digressions sont la marque de fabrique de l’auteur ; son style. Malheureusement, pour la lectrice, « La Serpe » est une longue enquête, trop anecdotique, dépourvue de suspense. Philippe Jaenada termine en indiquant dans ses remerciements : « …à ceux qui referment « La Serpe » ici : merci d’avoir lu jusqu’à la fin. » Dont acte.
Tiens ferme ta couronne. Y. Haenel
Au tout début du roman, un doute s’installe. De quoi s’agit-il exactement ? Jean, le narrateur, vit seul dans un petit appartement de la Porte de Bagnolet, à Paris. Il tente de convaincre des producteurs du génie de son scénario « The Great Melville ». Mais, Jean ne persuade personne lorsqu’il explique qu’il y visite « l’intérieur mystiquement alvéolé de la tête de Melville » ; pas même la lectrice. Alors, Jean se met en tête de présenter son scénario à Michael Cimino, le grand réalisateur. Par chance, il arrive à le rencontrer à New-York. A cet instant, le roman de Yannick Haenel se métamorphose en une comédie féroce ; la lectrice ne le lâche plus. L’auteur nous parle avec justesse de la recherche de notre vérité avec une obsession pour le cinéma. Sur le point d’être expulsé, Jean passe ses journées à regarder, en boucle, le film « Apocalypse Now » en se grisant de vodka. Derrière ce profil de « loser », le narrateur se révèle touchant, intelligent, sentimental. Indéniablement, Yannick Haenel séduit par son humour, sa poésie, son audace. Excellent moment de lecture. Prix Médicis 2017.
Souvenirs Dormants. P. Modiano
Patrick Modiano (prix Nobel de littérature, 2014) publie un nouveau roman qui pourrait s’intituler « Le temps des rencontres ». Cependant, si vous n’êtes pas adepte de l’auteur, je vous conseille de lire, d’abord, un roman plus ancien (« Un Pedigree » ou « Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier ») afin de comprendre son écriture. Patrick Modiano poursuit, ici, son travail de topographe en puisant dans ses « souvenirs dormants ». Jean, le narrateur, a quatorze ans lorsqu’il fugue. Il fréquente des individus bizarres et suit la trace de six femmes dans le Paris d’antan. D’ailleurs, tout au long du roman, Jean se remémore des noms, des lieux, des voix, des événements…Les inconditionnels de l’auteur retrouveront, avec plaisir, l’atmosphère singulière de son oeuvre dont l’axe central est la mémoire. Grâce à des fragments de souvenirs, Patrick Modiano compose le puzzle de sa vie en y ajoutant quelques pièces supplémentaires. Excellent moment de lecture.
Bakhita. V. Olmi
Véronique Olmi raconte, dans cette biographie romancée, le parcours exceptionnel d’une femme noire qui sera, finalement, déclarée sainte par Jean-Paul II. Enlevée à l’âge de sept ans dans son village du Darfour, Bakhita subit toutes les humiliations et les souffrances d’une esclave : battue, violée, assoiffée, tatouée, marchandée… Finalement, la jeune femme est vendue au Consul d’Italie à Khartoum et sa vie change radicalement. En Italie, Bakhita découvre la foi et la liberté. Particulièrement inspirée par son personnage, Véronique Olmi restitue, avec talent, un destin en nous éclairant sur une époque. Le chemin de croix de la religieuse, son amour pour la vie et ses lointains souvenirs rendent cette lecture émouvante. Excellent moment de lecture. Prix Fnac 2017.
The girls. E. Cline
Paru en poche, ce roman génial sur la fragilité de l’adolescence mérite le détour par une librairie. Mais qui sont « les filles » ? Emma Cline a choisi, en filigrane, les filles de la secte de Charles Manson ; celles qui assassinèrent la comédienne Sharon Tate et quatre de ses amis dans une maison californienne, en 1969. Evie Boyd, la narratrice, se souvient de sa jeunesse et du divorce de ses parents. A la même époque, Evie se dispute avec son amie d’enfance et traîne avec une bande de filles. Captivée par Suzanne, femme fragile sous l’emprise du leader de la communauté, Evie va transgresser certains tabous… Emma Cline captive la lectrice par son style et son habilité à décrire les mécanismes de la séduction et de l’emprise. Une tension règne ; le pressentiment d’une tragédie. Excellent moment de lecture.
Trois Ex. R. Detambel
August Strindberg fait partie des auteurs suédois les plus illustres; l’un des pères du théâtre moderne. A son époque, Strindberg se révèle à travers ses œuvres (La chambre rouge, Mademoiselle Julie…) comme un misogyne, hyper sensible, névrosé mais génial. Régine Detambel s’intéresse, ici, à la vie conjugale de l’écrivain en se glissant dans la peau de ses trois ex-épouses: Siri, Frida et Harriet. Chacune évoque la souffrance du couple et un mariage systématiquement saccagé par la jalousie, la paranoïa et l’alcool. Malgré le talent de Régine Detambel, la lectrice erre dans ce récit qui ballotte entre le « il » et le « je ». Le style, vif et rythmé, amplifie la violence d’un texte empreint de colère et condamne définitivement un auteur controversé.
Mercy, Mary, Patty. L. Lafon
Le dernier roman de Lola Lafon revient sur le kidnapping de Patricia Hearst (Patty), jeune fille issue de l’establishment, enlevée par un groupuscule révolutionnaire américain (SLA), en 1974. Ce groupe gauchiste, constitué de jeunes Américains issus de la « middle class » , avait pour leitmotiv: « écraser l’insecte fasciste qui se nourrit du peuple » . Le groupe tue, braque et affole l’Amérique. Patricia reste introuvable malgré les recherches. Peu à peu, à travers le contenu des messages envoyés à ses parents, il apparaît que Patricia épouse la cause de ses kidnappeurs et participe même à des braquages. Stupéfaite, l’Amérique s’interroge: lavage de cerveau ou rejet de son milieu? Lola Lafon imagine une femme américaine, professeure d’université, qui se voit chargée de rédiger un rapport pour l’avocat de Patricia. Installée provisoirement dans les Landes, Gene Neveva engage la jeune Violaine afin de travailler sur ce dossier énigmatique. Si le choix narratif déroute au début du roman, le thème passionne la lectrice et le côté rebelle de Lola Lafon transparaît tout au long de son analyse. L’auteure dénonce les idées toutes faites en nous poussant à la réflexion. Elle effleure également deux autres cas de femmes kidnappées et désobéissantes (Mercy et Mary). Reste une certaine frustration devant l’impossibilité d’apporter une réponse définitive à ce processus de radicalisation qui résonne régulièrement dans notre actualité. Bon moment de lecture.
Summer. M. Sabolo
J’ai choisi le dernier roman de Monica Sabolo pour débuter ma rentrée littéraire 2017. A la fois poétique et métaphorique, cette fiction se présente sous la forme d’un thriller. L’épigraphe, la citation d’Arthur Rimbaud, donne la note et nous entraîne dans les profondeurs du Lac Léman. Dès la première page, Benjamin, le narrateur, raconte ses rêveries lors d’une séance chez un psychanalyste: « Dans mes rêves, la surface luit comme un miroir coupant, ou une dalle de verre. L’eau semble glacée et chaude à la fois. J’ai envie de plonger, d’aller voir; mais les poissons sont noirs, les plantes se déploient comme des tentacules. Des filaments souples, luisants, qui se balancent dans le courant… » Benjamin cherche toujours des réponses à l’absence de sa sœur, Summer, disparue 24 ans plus tôt. Issue d’un milieu bourgeois, tout semblait pourtant sourire à cette jeune beauté de 19 ans. Monica Sabolo nous invite, avant tout, dans un univers; l’atmosphère sombre et aqueuse des bords du Lac Léman. Dans la première partie du roman, la lectrice se retrouve aux côtés de Benjamin, enlisé dans sa quête de vérité, face à l’attente et l’impossibilité d’avancer. Finalement, l’inattendu insuffle une dose de suspense dans ce roman sur l’absence, les mensonges et les non-dits. Bon moment de lecture.
Le bureau des jardins et des étangs. D. Decoin
Voici un roman rare à la fois érotique, poétique et sensuel. Didier Decoin nous propose un étonnant voyage au Japon à l’époque Heian; nos cinq sens en éveil. Katsuro et son épouse, Miyuki, vivent heureux de la pêche dans une maison modeste du village de Shimae. Réputé comme étant le meilleur pêcheur de carpes, fournisseur des étangs sacrés de la cité impériale, Katsuro s’aventure un peu plus loin dans le lit de la rivière où il trouve la mort. Après avoir veillé le corps de son homme, Miyuki décide d’honorer la prochaine commande du « bureau des jardins et des étangs » et d’entreprendre, seule, le voyage jusqu’à la ville impériale d’Heiankyo. L’expédition se transforme en véritable périple pour la jeune veuve, habitée par le souvenir de son mari. Chaussée de sandales de paille, la courageuse jeune femme marche courbée sous le poids de sa palanche; exposée aux dangers et croyances de son époque. En chemin, Miyuki va croiser toute la beauté et la laideur du monde. Arrivée au Palais de l’Empereur, Miyuki est introduite, malgré elle, dans un concours de parfums…Didier Decoin nous parle magnifiquement du couple et de l’amour qui dure après la mort dans cette fiction finement ciselée. Par sa puissance poétique, ce roman semble avoir été construit dans l’esprit d’un haïku japonais. Excellent moment de lecture. Prix des Lecteurs de L’Express/BFMTV.
Histoire du lion Personne S. Audeguy
Amis de la cause animale, voici un roman singulier qui relate la vie d’un lion entre 1786 et 1796. Sur une piste du fleuve Sénégal, un jeune africain orphelin, nommé Yacine, trouve un lionceau abandonné à l’ombre d’un baobab. Yacine adopte le petit félin et décide de l’appeler « Kena » ce qui signifie « Personne » dans la langue de sa tribu; référence à Ulysse dans l’Odyssée. Jean-Gabriel Pelletan, directeur de la Compagnie royale du Sénégal, va finalement recueillir Yacine et « Personne ». Sous son toit, le lionceau grandit et devient l’inséparable compagnon du chien de la maison: Hercule. Ensemble, les deux animaux sont expédiés, en bateau, vers la Ménagerie Royale de Versailles. En 1788, Jean Dubois, naturaliste représentant de la Ménagerie, accueille « Personne » et Hercule au port du Havre. La drôle de petite troupe rejoint à pied la capitale dans une ambiance troublée. Symbole universel du pouvoir, le lion « Personne » devient l’objet de débats. Pour les riches, le lion est une distraction. Pour les autres, une bouche à nourrir inutilement. Le transfert de tous les animaux de la Ménagerie de Versailles vers le Jardin des Plantes, transforme le lion « Personne » en une attraction courue. Stéphane Audeguy désigne le lion comme personnage principal de ce conte qui traite du statut des animaux au XVIIIème siècle. Au fil des premières pages, la vision poétique de la beauté de l’Afrique sauvage, proposée par l’auteur, émerveille. Bien conscient de l’impossibilité de se mettre à la place d’un lion et de lui donner la parole, l’auteur évoque le destin d’un félin domestiqué parallèlement à l’histoire de France. Stéphane Audeguy conte, avec talent, la mutation des jardins d’agrément en parcs zoologiques. Excellent moment de lecture. Prix Wepler 2016. Prix Littéraire de la Fondation 30 millions d’amis 2016.
AGATHA. F. Deghelt
Tout le monde connaît Agatha Christie, l’auteure anglo-saxonne la plus lue après Shakespeare (4 millions de livres vendus par an!). Pourtant, le grand public ignore un épisode énigmatique de sa vie personnelle: la mise en scène de sa propre disparition pendant dix jours. Décembre 1926: Agatha Christie disparaît mystérieusement en laissant sa voiture abandonnée en pleine campagne. Le mari d’Agatha est rapidement accusé de meurtre car la police enquête et découvre sa double vie. Que s’est-il passé dans la tête de la reine du polar? Avec une certaine élégance, Frédérique Deghelt se glisse dans la peau de la célèbre romancière pour nous livrer son interprétation. Dans un tête-à-tête avec la lectrice, la narratrice évoque longuement la perte de sa mère, la trahison de son grand amour et son incapacité à écrire. Cachée dans un hôtel chic du Yorkshire, où elle est inscrite sous le nom de la maîtresse de son mari, Agatha rencontre quelques personnages qui vont la pousser dans sa réflexion. Cette fiction romantique, très réussie, passionne et interpelle. L’auteure s’interroge judicieusement à propos de la frontière entre la fiction et la réalité. Avec succès et sur un air de musique folk, Frédérique Deghelt nous replonge dans l’atmosphère surannée d’un grand hôtel. Excellent moment de lecture.
Article 353 du Code Pénal. T. Viel
Voici le dernier roman de Tanguy Viel dont le titre peut induire en erreur. Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’un extrait du code pénal! En bon Breton, Tanguy Viel nous embarque, du côté de Brest, dans une fiction désespérément drôle. Martial Kermeur a été arrêté par la police après avoir passé par dessus bord Antoine Lazenec, lors d’une sortie en mer. Que s’est-il passé? C’est ce que le jeune juge d’instruction tente de comprendre en interrogeant le quinquagénaire meurtrier. D’emblée, l’atmosphère du roman fait penser à l’excellent film de Claude Miller: « Garde à vue » . Dans le bureau confiné du juge, Martial Kermeur s’interroge et se laisse aller aux confidences. Comme dans les précédents romans de l’auteur, les paysages maritimes ressemblent aux états d’âme du narrateur. Avec habilité, Tanguy Viel se glisse dans la peau du personnage principal. Dans un langage simple et imagé, Martial Kermeur exprime sa détresse; un enchaînement de circonstances malheureuses sur fond de crise industrielle. Tanguy Viel dose parfaitement son cynisme pour nous offrir des instants d’ironie. Un roman court et bouleversant sur l’intime conviction. Lecture Coup de Cœur! Grand Prix RTL-Lire 2017.
Lointain. M. Modiano
Le talent est-il héréditaire? Marie, la fille du Prix Nobel de Littérature (2014), nous propose un joli roman où le passé et le présent s’entrecroisent. La narratrice se souvient de sa rencontre avec un jeune écrivain américain et d’une tournée théâtrale à travers l’Europe. Pour la lectrice, il est difficile de ne pas comparer l’écriture du père et de la fille car certaines similitudes stylistiques sautent aux yeux. Comme dans les romans de Patrick Modiano, la fiction est construite sur l’évocation de souvenirs; la narratrice se tourne vers le passé pour chercher des traces. La part autobiographique est également perceptible. En effet, Marie Modiano est une artiste, à la fois comédienne et chanteuse, qui se base sur ses souvenirs de tournées pour construire son roman. Ici aussi, la narratrice se perd dans différents lieux, rues, villes…Enfin, nous retrouvons les thèmes prédominants de la solitude et d’une histoire d’amour malheureuse. Ses similitudes n’enlèvent rien au talent de Marie Modiano. Son écriture est délicate, poétique, mélancolique…L’auteure nous propose un univers, un climat singulier qui lui est propre. Le titre « Lointain » évoque la distance dans le temps mais aussi l’arrière de la scène au théâtre. Bon moment de lecture.
Les Années Solex. E. de Boysson
A l’instar de sa couverture, le dernier roman d’Emmanuelle de Boysson est une fiction pleine de fraîcheur. « Les Années Solex » symbolisent, ici, l’adolescence, la soif de liberté et les premiers émois d’une jeune française en pleine période « yéyé ». Juliette, l’héroïne du roman, a quatorze ans lorsqu’elle fait la rencontre de Patrice; inoubliable premier amour. Amoureuse et espiègle, Juliette va braver les interdits et se rebeller contre son milieu bourgeois pour s’émanciper. Sur un air nostalgique, Emmanuelle de Boysson nous fait revivre l’atmosphère colorée des années 70: la couleur menthe à l’eau, les tubes du juke-box, la mode hippie, les pages tâchées de « Mademoiselle âge tendre » … Ce joli roman d’émancipation, aux allures de journal intime, touchera particulièrement un lectorat féminin mélancolique. Bon moment de lecture.
Les Cygnes de la Cinquième Avenue. M. Benjamin
Dans le New York des années 50, les femmes de la haute société étaient surnommées « Les cygnes de la Cinquième Avenue » . Aux yeux du monde, ces femmes incarnaient l’élégance, la beauté, la puissance… et portaient des noms célèbres comme Vanderbilt, Stuyvesant ou Roosevelt. Parmi ces cygnes, Babe Paley se distinguait des autres grâce à son style. Mariée au magnat de la presse, Bill Paley, Babe mène une vie de femme superficielle, inaccessible et trompée. Sa rencontre avec l’écrivain prodige Truman Capote va bousculer sa vie. Fasciné par la jet set, Truman accède au cercle très fermé « des Cygnes de la Cinquième Avenue » grâce à Babe. Régulièrement, il côtoie ces femmes gracieuses mais aussi leurs histoires familiales et leurs secrets. Grâce à son style caméléon, Mélanie Benjamin se glisse, avec talent, dans la peau de ses personnages pour dresser un portrait impitoyable de la jet set new yorkaise. Auteure décomplexée, elle redonne également vie au personnage de Truman Capote, homosexuel immature et cynique. Entre fiction et réalité, le conte de fée va malheureusement virer au tragique. Bon moment de lecture.
Le vertige des falaises. G. Paris
Quelque part le long des côtes de l’Afrique, imaginez une île sur laquelle se dresse une maison d’architecte; un palais de verre bâti sur des falaises. Le décor du dernier roman de Gilles Paris est planté; un univers visuel singulier où la lectrice aime se promener. Comme dans ses livres précédents, Gilles Paris a le don de se mettre à la hauteur d’une enfant de 9 ans. Marnie, ce personnage attachant, a le défaut de coller trop souvent ses oreilles aux portes de la maison et son œil aux serrures. Son jardin secret est plein de mystères et d’herbes hautes dans lesquelles elle aime se rouler. En compagnie de Jane, sa confidente, Marnie se promène dangereusement au bord des falaises. Deux femmes veillent sur l’adolescente effrontée: sa mère Rose et sa grand-mère Olivia. Pourtant, Marnie n’a déjà plus beaucoup d’illusions. La maladie, le malheur et la violence n’épargnent pas la famille Mortemer. Les hommes, non plus, n’échapperont pas à leur destin. Dans ce roman choral, empreint de poésie et de sensibilité, chaque personnage donne sa version des faits. Au fil des pages et des émotions, Gilles Paris lève le voile sur les mystères de cette étrange famille. Bon moment de lecture.
Trois saisons d’orage. C. Coulon
Cécile Coulon est une jeune auteure française talentueuse. Dans son dernier roman, elle nous raconte une histoire puissante et crée un climat singulier. Nous sommes au XXème siècle, dans un village français: « une pierre cassée au milieu d’un pays qui s’en fiche. » Dans ce monde rural baptisé « Les Fontaines » , trois générations d’hommes vont se succéder. André, un jeune médecin, quitte Lyon et ouvre un cabinet au village, près des ouvriers et des paysans. Tombé sous le charme d’une vieille maison, à l’est du massif des « Trois-Gueules » , il s’y installe et coule des jours heureux en compagnie de son fils Benedict. Quelques années plus tard, Benedict épouse la belle Agnès dont il aura une fille prénommée Bérangère. A l’école du village, Bérangère fréquente Valère, un fils de paysans. Amis puis amoureux, les deux adolescents s’aiment au grand jour. Les familles se connaissent, s’apprécient. Au fil des pages, la lectrice redoute une issue tragique; une tragédie classique. Cécile Coulon entretient remarquablement le suspense. Et, au moment où le rythme semble ralentir, un événement vient tout bouleverser. La nature reprend toujours ses droits. Très bon moment de lecture.
Attachement féroce. V. Gornick
Devenu culte aux Etats-Unis, ce roman (1987) autobiographique, consacré aux relations mère-fille, est aujourd’hui disponible en français. En s’appuyant sur toutes sortes d’anecdotes et de souvenirs de jeunesse, à New-York, Vivian Gornick décortique sa relation complexe avec sa mère juive. Lucide, Vivian évoque cette mère toute puissante et charismatique; son attachement féroce. Les voisins et voisines de l’immeuble du Bronx défilent, au fil des pages, pour nous offrir un univers de portraits attachants et souvent drôles. Il est question, ici, d’amour, de féminisme, d’éducation, d’identité, de liberté…Vivian Gornick rend un vibrant hommage à sa mère mais également à la ville de New-York, toile de fond de ce roman universel. Excellent moment de lecture.
La Sonate à Bridgetower. E. Dongala
Amis mélomanes, voici un roman passionnant à propos de George Bridgetower, un très jeune violoniste, de couleur, qui a séduit l’Europe à la fin du 18ème siècle. Élève du grand compositeur Haydn, l’enfant prodige se produit sur les scènes de Bruxelles, Paris puis en Grande Bretagne avant de rejoindre l’Autriche, son pays d’origine. Avec talent, Emmanuel Dongala sort de l’oubli ce jeune musicien mulâtre en nous le présentant dans le contexte historique de son époque où se croisent des célébrités comme le chevalier de Saint Georges, Lavoisier, Dumas, Olympe de Gouges… Avec surprise, nous découvrons une élite africaine, souvent métisse, qui évoluait dans les cours européennes de l’époque. Il est, ici, question de la condition noire mais aussi des prémisses du féminisme en Europe. De retour en Autriche, George se liera d’amitié à Beethoven qui lui dédiera une sonate (Sonata Mulattica), avant de changer d’avis. Un roman d’apprentissage précieux pour les amoureux du classique. Excellent moment de lecture.
La Cache. C. Boltanski
Christophe Boltanski dresse, ici, un portrait original de sa famille. Comme dans une partie de Cluedo, la lectrice découvre les pièces en enfilade d’un hôtel très particulier de la rue de Grenelle. Derrière une belle façade, la famille Boltanski mène une vie bourgeoise, à la fois foutraque et bohème. Christophe, le petit-fils, nous présente Myriam alias sa mère-grand fantasque; Etienne son grand-père mystérieux et leurs enfants: Jean-Elie, Christian et Luc (père de Christophe). Chaque membre de cette famille d’intellectuels partage un héritage de névroses. D’où provient cette angoisse incessante, cette peur de l’autre, des maladies, de la nourriture? Tout au long du roman, le petit-fils fait le chemin à l’envers pour tenter d’expliquer: l’exil du grand-père juif, le déracinement, la première guerre mondiale puis la seconde, sa reconversion au catholicisme et cette fameuse cache de l’hôtel particulier. Dans un style empreint de mélancolie et de sincérité, Christophe Boltanski raconte un tas d’anecdotes familiales, des détails drôles (ou pas), des chapitres de son enfance entre les murs de cette étrange maison, plans à l’appui. En qualité de grand reporter, Christophe Boltanski maîtrise son sujet, s’épanche, s’égare parfois. Beaucoup de passages captivent la lectrice, comme l’hommage flamboyant à sa mère-grand, mais d’autres lassent. Bon moment de lecture. Prix Femina 2015.
Les Vies de Papier. R. Alameddine
Pour moi, recevoir un livre est un cadeau. Et pour vous? Si la réponse est positive, vous êtes, peut-être, un grand lecteur ou une grande lectrice comme la narratrice du roman: Aaliya, 72 ans. Habitante de Beyrouth, cette femme solitaire revient sur les chemins sinueux de ses lectures, évoque ses auteurs préférés, ses nombreuses traductions et sa propre initiation à la musique classique. Sur un air de Chopin, Aaliya se souvient de sa librairie ouverte en pleine guerre quand elle se sentait vivante au milieu du chaos de Beyrouth; enfuie en littérature. Dans son grand appartement, au milieu de ses vies de papier, elle revit ses illusions, ses déceptions tout en se désolant de la perte du mystère en littérature. Confrontée à sa mère et à sa propre vieillesse, Aaliya s’interroge sur sa vie de femme isolée dans une ville en constante évolution. Dans ce roman truffé de citations et d’humour, Rabih Alameddine nous invite à la réflexion à propos du temps qui passe, de la famille, de la condition féminine en Orient…Un portrait de femme singulier; un roman profondément intelligent. Excellent moment de lecture. Prix FEMINA Etranger 2016.