Ladivine. M. Ndiaye

Marie Ndiaye possède le talent d’écriture. Son livre, particulièrement profond et riche, nous entraîne dans un récit magnifiquement bien écrit. L’auteure introduit cependant une touche de fantastique qui rend le roman complexe et demande une certaine exigence de lecture. Au-delà de la symbolique, l’auteure offre un questionnement pertinent sur les origines, la transmission, l’amour, la famille, la culpabilité…Sans jamais s’ennuyer, la lectrice suit le parcours de trois générations de femmes portées par les évènements de la vie: Ladivine-Sylla est une femme de ménage noire, mère d’une fille nommée Malinka. Le père de l’enfant a disparu à la naissance. Malinka et sa mère vivent dans un deux pièces en banlieue parisienne. La fille ne supporte pas le poids de l’amour maternel; elle a honte de sa mère qu’elle surnomme « la servante » ou « la négresse ». Pour en échapper, elle part à 16 ans du côté de Bordeaux où elle se fait appeler Clarisse et épouse un concessionnaire automobile, Richard Rivière. A son tour, elle a une fille « Ladivine » et se retrouve, quelques années plus tard, quittée par Richard Rivière. Chaque mardi, elle rend visite, en cachette, à sa mère qui ne sait rien de sa vie. Malinka/Clarisse est, ensuite, sauvagement assasinée par un amant. De son côté, Ladivine va épouser un berlinois et aura deux enfants: Annika et Daniel. Ils partent, en famille, dans un pays tropical mais les vacances tournent au cauchemar… Marie Ndiaye explore, avec finesse et justesse, la psychologie humaine de tous ses personnages. La lectrice termine le roman, envoûtée par la puissance de l’écriture. Grand Prix de l’Héroïne « Madame Figaro » 2013.

Le roman du mariage. J. Eugenides

Le roman du mariage par Eugenides

Jeffrey Eugenides est un auteur culte (Middlesex, Virgin Suicides). Il explore, avec brio, ce moment de la jeunesse où les décisions peuvent avoir un impact à long terme dans nos vies. Il est question, ici, d’un triangle amoureux représenté par trois étudiants de Brown University  tiraillés entre la réalité et les théories intellectuelles de la Fac comme « fragments d’un discours amoureux » de Roland Barthes. Madeleine aime Léonard, maniaco-dépressif en proie à l’auto-destruction, qui semble aimer sincèrement Madeleine. L’auteur analyse presque médicalement les aspects de sa maladie mentale et les remèdes préconisés dans les années 80. Mitchell aime Madeleine en secret. Face à sa frustration, il part pour un tour du monde ce qui nous donne des passages réjouissants, spirituels et exotiques. Particulièrement bien structuré, le roman fait l’analyse méticuleuse des émotions, sentiments et comportements des personnages avec humour et une bonne dose de sexe. Le thème du choix est d’importance dans cette intrigue dont la toile de fond est l’Amérique libre de Reagan. Le personnage de Madeleine nous touche par son obstination, et sa naïveté, à vouloir épouser Léonard. Malgré la liberté, l’auteur pose des entraves au bonheur puis donne la possibilité à chacun de se réinventer. « Talking Heads » en bande son, ce livre est aussi le portrait d’une génération aux Etats-Unis. Moment de lecture intellectuel. Grand Prix de l’Héroïne 2013, Madame Figaro.

Le coeur cousu. C. Martinez

Attirée par « les acidulés de l’été » de la collection Folio (jolies pochettes en plastique), je me suis retrouvée face à ce roman qui date de 2007. Après l’épreuve des premières pages, j’ai découvert une oeuvre poétique puissante; incroyablement féminine et harmonieuse. Carole Martinez est indéniablement une conteuse qui sublime l’écriture en effilochant les mots. Frasquita en est le personnage principal et, à travers elle, nous suivons toute la famille Carasco. Cette jeune andalouse, condamnée à l’errance, est issue d’une lignée de femmes qui se transmettent une mystérieuse boîte à couture. L’auteure raconte magnifiquement bien les étoffes, broderies, le bonheur, la cruauté, la mort, les enfants et le monde rural du 19ème siècle en Espagne. Véritable dentellière, Carole Martinez rafistole le monde dans cet hymne à la vie éminemment solaire. Son écriture lumineuse révèle une profondeur remarquable qui donne une atmosphère singulière à ce roman. Les chapitres consacrés à la maladie de José et les combats de coqs regorgent d’une imagination rare propre à l’auteure et à son style. Ma préférence va à la première partie du livre, moins sanglante que la deuxième. A la limite d’un monde onirique, ce conte est un bonheur fait de légendes, de croyances et de mystères, qui nous transporte au loin. Belle surprise! Prix Renaudot des Lycéens 2007. Prix Ouest-France Etonnants Voyageurs 2007. Prix Ulysse de la première oeuvre 2007.

 

L’île des oubliés. V. Hislop

Un livre de poche à glisser dans vos valises. Victoria Hislop nous raconte une saga familiale qui se déroule en Grèce de 1903 à 1957. La lectrice est vite conquise par cette intrigue romanesque très divertissante au style fluide. Livre contre l’exclusion, c’est d’abord un hymne à la Grèce et à la Crète où chaque détail du quotidien nous renseigne sur les moeurs d’une autre époque. « L’île des oubliés », située face à l’île de Plaka, cache un incroyable secret à l’ombre des ruines d’une forteresse vénitienne. En ce qui concerne les personnages, il y a d’abord Alexis, une jeune anglaise d’origine grecque,qui se trouve en plein questionnement intérieur. Elle décide de se rendre en Grèce afin de comprendre pourquoi sa mère, Sophia, a brusquement rompu avec ses racines grecques. Alexis découvre sur place, grâce à une femme nommée Fotini, la destinée tragique de ses aïeules. L’auteure nous raconte, dans cet épais roman, la vie de la famille Petrakis liée à la famille Vandoulakis pour le meilleur et pour le pire. Rebondissements et coups de théâtre garantis. Prix des Lecteurs 2013.

 

Le Planétarium. N. Sarraute

Grâce à l’émission actuelle « une maison, un écrivain » proposée par Patrick Poivre d’Arvor sur France 5, j’ai lu ce roman si particulier. Nathalie Sarraute (1900-1999) est la figure du mouvement du « nouveau roman » qui se caractérise par des monologues intérieurs, juste avant l’action des personnages. Alain Guimier est le personnage principal autour duquel gravitent d’autres personnages comme Gisèle, la tante Berthe ou Germaine Lemaire. Alain Guimier et sa femme Gisèle sont en conflit avec la tante Berthe à propos d’un appartement. La particularité de Nathalie Sarraute est de réécrire une même scène du point de vue des différents personnages afin de comprendre leur motivation respective au-delà des apparences. Elle propose ainsi à la lectrice une certaine ouverture d’esprit. Beaucoup de thèmes touchant à la famille y sont abordés avec finesse et intelligence. Moment de lecture passionnant.

La solitude des soirs d’été. A. Jeanneret

Après la lecture du cinquième roman d’Anaïs Jeanneret, je dois avouer à quel point mes sentiments sont mitigés. La rencontre d’Alda et de Louis, les personnages principaux si différents l’un de l’autre, intrigue et dérange. Louis, le narrateur, est un jeune homme en quête de lui même. Alda le pousse à l’écriture en l’invitant à séjourner quelques jours, avec sa petite amie Lucy, dans la bastide familiale. Pendant ce séjour, qui s’éternise, Louis observe Alda, à la fois captivé et intrigué par cette femme plus âgée que lui. Alda et Lucy sont deux personnages féminins qui font face, comme elles peuvent, à une blessure d’enfance. Ce roman traite du silence, du secret, de la solitude et du temps qui passe. Le thème de l’inspiration littéraire apparaît sous la plume de Louis et la publication de ses premières ébauches, pas toujours captivantes. L’univers de l’auteure est résolument bourgeois, élégant, posé et la lecture est franchement agréable même si d’inévitables clichés et longueurs ponctuent le roman. La Provence, en toile de fond, ajoute de manière indéniable, une note lumineuse. A lire, au bord d’une piscine, du côté de St Rémy de Provence.

Les poissons ne ferment pas les yeux. E. De Luca

Un roman trouvé dans une boîte à trésor d’enfant. Erri De Luca, auteur italien, nous parle, ici, de la mutation de l’enfance vers l’adolescence. Notre narrateur a dix ans et, loin des désirs corporels, il commence à conjuguer le verbe « aimer ». Très poétique, ce petit livre nous emmène sur les plages du sud de l’Italie au moment des vacances estivales. Erri De Luca plante un décor sommaire fait de plaisirs marins et de pêcheurs.  La rencontre du narrateur avec une fillette le propulse, alors, vers une plus grande maturité lui permettant de contempler le monde sans fermer les yeux. Face à la jalousie de trois garçons, il découvrira la cruauté et l’injustice. Loin de son père mais proche de sa mère, le narrateur va se responsabiliser face aux choix familiaux. La place des livres et de la littérature a, tout au long du roman, une importance: « les livres sont la plus forte contradiction des barreaux. Ils ouvrent le plafond de la cellule du prisonnier allongé sur son lit. » La capacité de l’auteur à se glisser dans la peau de ce garçon de dix ans et de décrire sa prise de conscience est tout à fait étonnante. Il dépeint, finement, les doutes, les peurs et les plaisirs de l’enfant lors de ce passage fondateur. Un joli roman, plein de soleil, qui résonne en chacun de nous.

Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013

Pour la seconde fois, me voici lectrice d’un de mes magazines préférés: « Elle » France. Depuis le mois d’août 2012, j’ai lu près de trente livres dans trois catégories: roman, policier et document. Comme vous le savez, je suis jurée littéraire car la lecture fait partie de mes passions. En quoi cela consiste? Après l’envoi d’une lettre de motivation, j’ai reçu trois livres par mois pour lesquels j’ai écrit trois commentaires et attribué des notes à la rédaction du « Elle » . Les 120 lectrices sont désignées par groupes afin d’affiner la sélection. Une fois dans l’année, les lectrices de mon groupe ont reçu six livres dont trois ont finallement été retenus. Idem dans chaque groupe. Ce travail de lectrice est exigeant et demande du temps. Cependant, grâce au « Elle » , je découvre beaucoup de nouveaux auteurs et parfois quelques pépites qui me permettent d’alimenter mon blog régulièrement. Hier soir, la proclamation du 44ème Grand Prix des Lectrices s’est déroulée dans les Salons France-Amériques, avenue Franklin-Roosevelt, Paris-8ème. Les lauréats sont:

Meilleur Roman: Robert Goolrick pour « Arrive un vagabond » (Anne Carrière)

Arrive un vagabond par Goolrick

Meilleur Document:  Rithy Panh et Christophe Bataille pour « L’élimination » (Grasset).

Détails sur le produit

Meilleur Policier: Gillian Flynn pour « Les apparences » (Sonatine).

Détails sur le produit

Voici le déroulement de cette soirée littéraire:

17h10: rencontre entre les lectrices et les lauréats. Je reste près d’une heure en compagnie de Robert Goolrick, un grand monsieur qui est venu spécialement des Etats-Unis pour reçevoir son prix. Il raconte: suite à un licenciement brutal, à la cinquantaine, il se plonge dans l’écriture de son livre « Une femme simple et honnête » puis de « Féroces » un texte autobiographique bouleversant. En ce qui concerne « Arrive un vagabond » , il faut savoir que l’histoire est vraie mais elle s’est déroulée en Grèce il y a quarante ans. Les thèmes de la religion et de l’enfance abusée sont, ici, primordiaux. J’en profite pour poser quelques questions et le félicite à propos de son style que je trouve très poétique. Sourire et remerciement. Une lectrice se propose de nous prendre en photo, je bondis sur l’occasion. Robert Goolrick fait définitivement partie de ma sélection. Ensuite, je reste quelques instants à la table de Christophe Bataille qui parle au nom de Rithy Panh, resté au Cambodge. Ce prix, du meilleur document (cf commentaire blog), récompense son courage d’avoir affronté, une nouvelle fois, son bourreau. En ce qui concerne le prix du policier, je n’ai absolument pas aimé « les apparences » et ne le considère donc pas (cf commentaire du blog).

18h45: photo de toutes les lectrices et des lauréats au pied de l’escalier magistral.

19h00: Séance de dédicace: « Pour Sophie » signe Robert Goolrick. A l’étage, je croise mes copines blogueuses Sophie et Séverine. J’embrasse, ma meilleure lectrice, Nelly et retrouve Nadine, une autre lectrice venue de Marseille.

19h30: L’équipe de la rédaction du « Elle » est très sympa et décontractée. Valérie Toranian et Olivia de Lamberterie prennent la parole et annoncent les lauréats, officiellement, en présence des invités. Ovation méritée pour Robert Goolrick qui fait son discours en français. Christophe Bataille vient chercher son prix et remercie. Gillian Flynn apparaît sur un écran pour manifester sa joie. Deux auteurs américains sont récompensés à Paris: une consécration. Marc Dugain reçoit le Prix des Lycéennes pour son excellent roman « Avenue des géants » (cf commentaire blog).

20h00: Buffet et champagne! Je salue Nathalie Rykiel, Arthur Dreyfus, Augustin, Colombe Schneck, Marc Dugain, Franz-Olivier Giesbert…

21h30: Très chouette soirée en compagnie du « Elle » , de ses lectrices et ses auteurs. Bravo pour cette sélection 2013!

Impossible de grandir. F. Diome

Fatou Diome est une auteure de talent qui traite, ici, de la place des enfants illégitimes dans la société sénégalaise. Le titre m’a, personnellement, beaucoup interpellé et je souhaitais comprendre le parcours de Fatou Diome à travers son inspiration autobiographique. Cependant, ce roman n’est pas à mettre entre toutes les mains car le style métaphorique et le rythme soutenu, des quatre cent pages, sont parfois trop lourds. Ce bouillonnement permanent pourrait lasser certains lecteurs. Ce ne fût pas mon cas. Salie, jeune femme trentenaire, sénégalaise installée en France, est la narratrice. Invitée à un dîner, elle se retrouve subitement confrontée à ses angoisses et ses peurs. Elle se lance, alors, dans une conversation avec l’enfant qu’elle a été, baptisée « la Petite » . Les thèmes traités sont ceux des origines, de l’esclavagisme familial, du respect et de la dignité des enfants illégitimes. Le maillage de réflexions est particulièrement serré; le ton virulent. Salie, dopée au café, règle ses comptes avec sa famille et notamment avec son « tonton despote » : « Devenir adulte c’est faire face aux loups ».  Avec beaucoup d’humour et de verve, Fatou Diome conte son Afrique, l’amour de ses grands-parents, sa douleur et son impossibilité de grandir: « …tremper ma plume dans les plaies béantes et dessiner un autre monde que je voudrais plus doux » . L’exotisme des paysages, du parfum du gonga, des patates douces et des mangues ajoutent une note colorée et épicée à ce roman surprenant. Fatou Diome est une auteure altière, en revendication permanente de sa liberté. La bande son, omniprésente, donne le tempo: « yo solo quiero caminar…tada-tada-tadadan! »

A l’encre russe. T. de Rosnay

Tatiana de Rosnay est, pour moi, une auteure à part entière. J’ai beaucoup aimé « elle s’appelait Sarah » qui méritait vraiment son succès. J’ai lu avec passion  « Boomerang » mais surtout « Rose » un roman qui nous entraînait dans le Paris Haussmannien. Cette auteure est particulièrement douée pour manier ses intrigues. A la suite de « trois jours de soleil » à l’Ile de Ré, je commence, donc, la lecture du dernier roman de Tatiana de Rosnay:  « A l’encre russe ». Pour être honnête, ce livre ne m’a pas plu. Comme une mauvaise rédaction, l’auteure s’éloigne totalement du sujet: la réflexion sur l’identité. Au début du roman, tous les ingrédients sont rassemblés pour que l’intrigue fonctionne: un homme à la recherche de ses racines suite à des révélations. Nicolas Duhamel, notre héros, va donc se lancer sur la piste de ses ancêtres pour notre plus grand bonheur. Au lieu de cela, la lectrice se retrouve embarquée, malgré elle, dans un palace en Toscane, contrainte de subir une intrigue d’une platitude désolante. Les marques de luxe omniprésentes, les passages liés aux réseaux sociaux, les clichés sur les belges, sa réflexion sur le monde de l’édition et, surtout, cette dimension érotique consternante ajoutent à l’ennui. Tatiana de Rosnay nous a habitué à un plus haut niveau de lecture.

La part du feu. H. Gestern

gestern

Au départ, Laurence, une des voix de ce roman chorale, se met à la recherche de son père biologique suite à une révélation tardive. Son enquête débute grâce à la découverte de documents fouillés dans les affaires de sa mère. Ses nombreuses interrogations vont la mener au personnage de Guillermo Zorgen, un militant d’extrême gauche, décédé en 1975, dans des conditions obscures. La rencontre avec différents journalistes, amis de sa mère et anciens membres du réseau, vont permettre à Laurence de retrouver des traces d’un mouvement politique anarchiste, d’après Mai 68. Toute la force du roman repose sur cette enquête qui rythme un récit particulièrement bien structuré. Le style est simple et parfois scolaire. De nombreux articles, poèmes, tracts et lettres parsèment le récit et viennent éclairer la lectrice. Pour justifier cette approche documentaliste, très réaliste, Hélène Gestern dit avoir voulu raconter l’histoire de plusieurs points de vue. En ce qui concerne le titre, « la part du feu », il fait référence à un incendie sur lequel Laurence va enquêter. Mais, la métaphore du feu illustre, aussi, la passion ardente de l’amour et celle de l’engagement. La lectrice regrette justement de ne pas ressentir de manière plus forte l’histoire passionnelle du couple « Sonia-Guillermo ». Ce roman est, avant tout, un livre sur l’engagement tel qu’il pouvait rassembler les individus autour d’une idéologie. La part du feu représente aussi « ce que le feu peut brûler pour sauver le reste ». Comme dans son premier roman (« Eux sur la photo »), il s’agit d’une personne à la recherche d’une autre personne. Sélection Prix « Libraire en Seine » 2013.

Heureux les heureux. Y. Reza

Yasmina Reza a un certain talent pour dépeindre l’âme humaine dont elle semble connaître les bas fonds. Dans ce roman chorale, la lectrice découvre les bribes de vie de dix huit personnages: le patriarche Ernest, le médecin homo Philip Chemla, le couple Toscano au bord de la rupture… A la manière d’un jeu des sept familles, la lectrice parcourt ce roman particulièrement rythmé. Dans un style cynique, Yasmina Reza raconte, avec une bonne dose de dérision, ces morceaux de vie tellement proches de notre réalité de mortels. Ne croyant ni au bonheur, ni au couple, l’auteure détaille l’absurdité de la vie avec humour. « Etre heureux, c’est une disposition. » Un roman, bourré d’émotions, qui ne laisse pas indifférent. Sélection Prix « Libraire en Seine » 2013.

Jane Eyrotica. C. Brontë & K. Rose

Jane Eyrotica - Charlotte Brontë

Premier roman érotique de ce blog. Karena Rose revisite le roman de Charlotte Brontë en lui donnant une dimension sensuelle et sexuelle. La lectrice redécouvre, avec plaisir, ce texte du XIXème siècle qui rencontra, à l’époque, un succès considérable. Jane Eyre est l’héroïne et la narratrice de ce roman. Son enfance malheureuse d’orpheline la condamne, dans un premier temps, à une existence de rêves et de fantasmes. Docile, elle s’abandonne, très jeune, à ses désirs. Ses longues années d’interne à l’Institut Lowood la mène à Thornfield Hall où elle devient gouvernante. Une intrigue amoureuse commence, alors, avec le maître de maison, Mr Rochester. Le roman d’origine est complexe et se base sur plusieurs mythes dont celui de l’exil et du retour. En toile de fond, Charlotte Brontë expose la condition féminine de cette époque, en Angleterre. Karena Rose vient y ajouter une touche érotique et donne, ainsi, une certaine profondeur à l’amour qui unit Jane à Mr Rochester. Pourquoi pas?

Les désorientés. A. Maalouf

Les désorientés, roman

Très beau roman dont l’auteur est un académicien élu en 2010. Amin Maalouf a fui le Liban en guerre pour arriver en France en 1976. Après la publication de nombreux romans, il a obtenu en 2010 le prix « Prince des Asturies » pour l’ensemble de son oeuvre.  Dans « Les désorientés », le narrateur, Adam, est appelé au chevet de son meilleur ami, Mourad. Après trente-cinq ans d’absence, il revient dans son pays natal sans jamais le nommer. Entre nostalgie et désillusion, l’auteur raconte, dans ce roman intimiste, les retrouvailles de ces « désorientés » qui croyaient en un monde meilleur. Les notes et réflexions du narrateur ponctuent le récit et nous éclairent sur le passé des protagonistes mais également sur l’état d’esprit d’Adam durant seize jours. La limpidité du style et la richesse émotionnelle entraînent la lectrice dans une réflexion profonde à propos de thèmes universels: l’enfance, l’amour, la fidélité, l’amitié, la foi, les origines, l’argent, l’avenir du monde…Certains personnages, comme Albert, sont véritablement attachants. A travers l’histoire personnelle de chacun, l’auteur démontre à quel point la vie réserve des surprises; à la fois délicate et cruelle. Un roman qui questionne et offre un lumineux moment de lecture. Coup de coeur! Sélection Prix « Libraire en Seine » 2013.

Arrive un vagabond. R. Goolrick

Robert Goolrick - Arrive un vagabond.

Nous sommes à Brownsburg, une ville paisible de Virginie, au cours de l’année 1948. Charlie Beale arrive au volant de son pick-up, comme un vagabond, chargé de deux valises pleines de matériel de boucher et d’argent. Le talent de Robert Goolrick repose, d’abord, sur la construction de ce roman aux allures paisibles et descriptions bucoliques. Il installe le décor, le cadre de l’intrigue, sereinement. Ses personnages sont des gens simples, noirs et blancs, pieux, honnêtes et bienveillants. L’auteur dépeint, avec justesse, les failles et paradoxes humains de cette tragédie en marche. Charlie va travailler dans la boucherie de la ville et se lie d’amitié avec Alma, Will et leur fils, de cinq ans, Sam. Tout se passe merveilleusement bien au début de ce roman écrit dans un style particulièrement poétique. La lectrice se retrouve à côté de Charlie « ..près du pick-up, dans le noir, dans le chant sonore des criquets et le murmure des papillons de nuit qui faisait comme un friselis dans son coeur… »  Cette atmosphère va pourtant devenir de plus en plus pesante lorsque Sylvan Glass pousse la porte de la boucherie. Sam va devenir, chaque mercredi, l’alibi du couple adultère. Robert Goolrick nous donne la vision de ce petit garçon à qui Charlie demande de préserver le secret, et de mentir, pour mener cette passion à la tragédie et à une enfance fracassée. A travers le personnage de Sylvan, l’auteur traite de la recherche d’identité, des origines, de la légèreté, des apparences. Sylvan est une jeune femme perdue, obnubilée par le cinéma et ses actrices dont elle copie les parures chez sa couturière noire. Elle vit dans ses fantasmes: « …la vraie raison de ses actes était qu’elle préférait le fantasme du film de son imagination à la réalité de Charlie Beale. » Le personnage principal, Charlie, est un garçon simple, habité par la bonté et qui sera la première victime de cette passion dévastatrice. Sam est évidemment le personnage le plus touchant, désarmé face à ce monde d’adultes dont il ne comprend pas encore les codes. Excellent moment de lecture. Suspense et montées d’adrénaline. Coup de coeur! Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013. Prix « Libraire en Seine » 2013.

L’écrivain de la famille. G. Delacourt

Le premier roman de Grégoire Delacourt figurait dans la liste de mes lectures. L’histoire d’une famille, originaire du Nord de la France, racontée par Edouard, fils déclaré « écrivain de la famille » et narrateur de ce roman. En partant des années soixante-dix jusqu’aux années quatre-vingt dix, l’auteur nous replonge avec justesse dans un contexte musical, littéraire, médical et audio-visuel. Edouard raconte, avec sensibilité, ses failles, ses doutes et ses émotions, au fil des pages de ce premier roman clairvoyant. Nous faisons connaissance avec chaque membre de la famille exposé au destin, « c’est la vie qui choisit  « . De Paris à Bruxelles, la lectrice retrouve, grâce à ce roman, ses propres émotions entre rires et larmes. Grégoire Delacourt manie les mots mieux que personne en ne prenant jamais de gants. Il donne, à cette histoire familiale, un ton universel qui lui est propre et qui plaît à un grand nombre de lecteurs. Ce premier roman révèle, sans aucun doute, la genèse de son parcours professionnel d’écrivain et d’homme (enfin) heureux. Bon moment de lecture.

De tempête et d’espoir. M. Dédéyan

Un très beau roman breton qui évoque l’univers des grands navigateurs et des expéditions, entre St Malo et Pondichéry, au XVIIIème siècle. Anne de Montfort, jeune femme orpheline, noble de naissance, cherche désespérément son frère Jean, disparu aux Indes. Commence alors une véritable aventure pour notre héroïne, entrecoupée de pages de son journal intime où elle évoque son voyage à bord d’un navire en partance pour les Indes. Anne est le personnage miroir de cette intrigue qui évoque la place de la femme dans la cité corsaire de St Malo au siècle des Lumières. Beaucoup de personnages secondaires comme Corentin, mère Saint-Yves, Jean-Baptiste ou Soizic sont particulièrement attachants. Ce livre est, avant tout, un véritable hymne à la mer et aux marins: « Il est des couchers de soleil sur les flots infinis plus beaux que le paradis. Le camarade qui veille sur toi mieux qu’un frère et vient te donner à boire quand tu délires de fièvre, une baleine immense qui plonge et tu te sens si heureux d’être tout petit. La liberté, le vent qui siffle à tes oreilles, la fierté de ma famille. Un jour, je commanderai mon propre navire… » Ecrite dans un style ciselé et empreinte de poésie, cette invitation au voyage est fidèle à l’histoire. Ce véritable petit bijou, pour les amoureux de la mer et de la Bretagne, nous renseigne formidablement et nous apparaît telle une peinture marine. La dernière page ne signe pas la fin mais nous invite à lire la suite de l’aventure dans son prochain roman:   « Pondichéry « . A suivre…

Chuuut! J. Boissard

couverture

Un roman grand public qui nous infiltre dans une famille de châtelains français. Producteur de Cognac en Charentes, Edmond de Saint Junien règne, avec élégance, sur sa tribu comme sur ses chais. Le roman est construit en chapitres à deux voix. La première voix est celle de Fine (petite fille d’Edmond et Delphine) qui nous raconte ses états d’âme et sa famille. D’autre part, le parcours de Nils (petit fils d’Edmond et Delphine) nous est conté à la troisième personne du singulier. L’auteure manie parfaitement la plume et l’art de l’intrigue: la fille des gardiens est retrouvée assassinée dans le domaine. Même si le suspense est léger, Janine Boissard arrive à capter notre attention. Les thèmes de l’identité, la famille, le secret, l’amour, la maladie, la trahison sont abordés avec finesse. La lectrice entrevoit, à travers ce roman familial,  un milieu aristocratique empêtré dans ses valeurs ancestrales et ses secrets les plus lourds. L’arbre généalogique des Saint Junien, page 8, présente cette descendance constituée de personnages attachants et complexes. L’enquête pour retrouver l’assassin de la petite Maria réserve assurément bien des surprises mais « chuuut! »…

L’Embellie. A. A. Olafsdottir

Une auteure islandaise qui nous dépayse totalement en nous emmenant à la découverte de son pays, toile de fond de ce roman. L’histoire d’une jeune femme, quittée par son mari, qui part à la recherche d’elle même avec le fils de quatre ans de sa meilleure amie. En voiture, ils vont sillonner cette île noire, et ses paysages lunaires, pour y faire des rencontres improbables. Roman fantasque et drôle abordant des thèmes très actuels: la maternité, le divorce, le désir, la crise, l’enfance, l’amour, l’amitié, le réchauffement climatique etc… La narratrice soumise à la chance, à la malchance et au hasard découvre un nouvel aspect de sa vie près de cet enfant sourd et presque aveugle. Quelques bribes de souvenirs nous éclairent sur son parcours d’enfant, de jeune fille, de femme libre. Beaucoup de fantaisie, d’humour, de poésie définissent un style d’écriture à part. La relation qui se développe, au fil des pages, entre cette femme et le petit Tumi, dans ce contexte naturel si particulier, nous émeut. La publication des recettes du roman, à la fin du livre, démontre la singularité de l’auteure déjà connue pour son premier roman « Rosa Candida ». Bon moment de lecture. Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.

Le siècle de Dieu. C. Hermary-Vieille

La France est un pays que la lectrice ne se lasse pas de découvrir, plus particulièrement à travers son histoire. Ce roman historique se déroule au 17ème et 18ème siècles, du règne du roi soleil au début de la Régence.  Catherine Hermary-Vieille retrace l’histoire de cette France, à la veille de la Révolution, en opposition aux fastes et aux intrigues de la cour de Versailles. Beaucoup de précision dans l’écriture de ce roman dont le travail rigoureux est digne d’une historienne. Catherine Hermary-Vieille nous peint une fresque, entre ombre et lumière, avec un soucis du détail inégalé. La lectrice découvre, sous le prisme de deux destins différents, une période qui a définitivement marqué l’histoire de France. Nous suivons les personnages d’Anne-Sophie et de sa cousine Viviane, toutes deux issues de la haute noblesse Bretonne, en quête du bonheur. Louis XIV apparaît en despote, séducteur vieillissant, terriblement éloigné des besoins de son peuple exsangue. L’amour des hommes et du Divin est un thème d’importance dans ce roman. La plupart des personnages ont réellement existé et l’auteure excelle dans sa façon de nous les représenter à travers l’évolution des modes, de l’Art et des moeurs. Catherine Hermary-Vieille dresse les inoubliables portraits de Madame de Maintenon, Fénélon, Bossuet, Madame de Montespan… En mêlant l’histoire et la fiction, nous voici propulsés dans un incroyable voyage dans le temps.

Un héros. F. Herzog

Félicité Herzog est la fille de Maurice Herzog, vainqueur de l’expédition française partie au sommet de L’Annapurna en 1950. Dans ce roman autobiographique, Félicité Herzog nous raconte sa vérité familiale face à un père désigné comme un héros national:  » Il ne semblait jamais être vraiment redescendu de ce versant sur lequel il se dresse en pleine tempête, tenant à deux mains le drapeau français. » Pour l’auteure, cette ascension repose sur un mensonge à l’origine de la maladie de son frère, Laurent, disparu prématurément. La lectrice découvre la face cachée de Maurice Herzog décrit comme un imposteur, séducteur, arriviste, père défaillant abandonnant son épouse. Loin du règlement de compte, Félicité Herzog a eu le courage de publier son premier roman du vivant de son père, malheureusement inatteignable, peut-être dans un dernier élan d’amour. Elle nous livre, dans un style métaphorique et maîtrisé, sa vision des choses avec une profondeur certaine. La lectrice découvre également, au fil des pages, l’univers d’une grande famille héritière française confrontée à sa mémoire. Beaucoup de lucidité et de maturité dans ce roman imprégné d’amour fraternel. Félicité Herzog ne peut se résoudre à oublier ce grand frère, « un étranger au monde « , compagnon atypique de son enfance. Ce roman, bourré d’émotions, est dédicacé à sa mère, intellectuelle rebelle, pour laquelle elle semble ressentir de la compassion malgré tout. Il n’y a pas de héros dans ce roman mais bien une héroïne: une petite fille qui a grandi et qui cherche, malgré sa colère et sa culpabilité, à décrypter la mécanique familiale dans ses mythes et ses mensonges. Excellent moment de lecture.

 

Home. T. Morrison

null

Après sa venue, en septembre 2012 au Festival Américain de Vincennes, il fallait lire celle qui vient d’être décorée de la « Presidential Medal of Freedom » des mains du Président Obama. Cette auteure noire américaine, Prix Nobel de Littérature en 1993, révèle dans  » Home  » tout son talent en nous emmenant dans le Sud de l’Amérique au milieu des années cinquante. Tel un conte, la nature est, ici, un élément poétique omniprésent. Les deux personnages principaux nous apparaissent, d’abord, enfants dans une situation tragique. La lectrice suit, au cours des chapitres, le parcours de Frank Money, un noir américain, ex soldat en guerre de Corée, à la recherche de sa petite soeur Cee afin de rentrer au pays, son « Home ». Les principaux thèmes abordés sont ceux de la condition des noirs américains, de la ségrégation, du crime, de la violence, de la guerre et de l’amour fraternel. La voix de Frank vient ponctuer le récit pour livrer ses pensées les plus intimes, les plus secrètes. L’écriture de Toni Morrison est tranchante et condensée, d’une formidable densité. Ce roman en boucle impressionne par sa maîtrise. Excellent moment de lecture.

Certaines n’avaient jamais vu la mer. J. Otsuka

Ce roman très féminin se profile comme un document. En retraçant le parcours de la communauté japonaise installée à San Francisco au début du 20ème siècle, Julie Otsuka nous parle du destin de ces femmes mariées par procuration dont l’exil commence par un mensonge. Belle écriture pour décrire la longue traversée et cette magnifique image métaphorique du bateau qui s’éloigne pour avancer vers l’avenir. Sans personnage principal, l’auteure utilise le « nous », tel un choeur, pour évoquer la misérable vie de ces femmes. Ce roman très poétique traite de l’expatriation, de la trahison, de la famille, de la condition de la femme, du travail, de l’humiliation… Beaucoup de jolies listes malgré leurs longueurs. La lectrice se plonge, ici, dans la culture nipponne et se représente parfaitement ces visages, ces voix, leurs souffrances et leurs joies minuscules. Certaines phrases ressemblent à un Haïku: « je vois encore l’empreinte de tes pas dans la boue, près de la rivière. » Ce second roman, de Julie Otsuka, se termine au moment de la seconde guerre mondiale, ce qui constitue le préquelle de son premier roman. Beau moment de lecture. Prix Fémina Etranger 2012. Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.

Le sermon sur la chute de Rome. J. Ferrari

C’est avec un certain retard, et une appréhension certaine, que j’ai, enfin, lu le prix Goncourt 2012. Inspiré de l’homélie de St Augustin, figure tutélaire du livre, Jérôme Ferrari examine à plusieurs échelles ce qui constitue un monde. Il nous présente ses personnages corses dans le tumulte des guerres du 20ème siècle jusqu’à nos jours. Matthieu, fils de Marcel, va finalement abandonner ses études prometteuses pour reprendre le bar de son village natal qu’il idéalise. Libéro va, lui aussi, s’associer à Matthieu pour bâtir ensemble ce qu’ils pensent être le meilleur des mondes. Leur ambition est si profonde et leurs attentes si fortes qu’ils vont finir par s’éloigner l’un de l’autre et se heurter à un monde réel incapable de les combler. Jérôme Ferrari emploie une dimension mystique pour nous évoquer le rapport des hommes au monde dans un style profond et puissant. Son caractère défaitiste n’emporte pas tous les suffrages et, pourtant, il s’agit bien d’un remarquable roman. Référence au philosophe Leibniz et son enseignement sur la cohérence du monde. Ce roman est un monde possible.

Mouche’. M. Lebey

Voici un petit roman détonnant. Avec beaucoup d’humour et dans un style qui n’appartient qu’à elle, Marie Lebey rend hommage à sa maman belge dit « Mouche’ « . La lectrice compatriote se retrouve parfaitement  dans le destin de cette femme qui a vécu sa vie à Paris. Dans la lignée des romans de Nathalie Rheims et de Delphine De Vigan, sans oublier celui d’Amanda Sthers, l’auteure rend hommage, à sa manière, à une femme drôle et cultivée. Beaucoup de poésie et d’émotions au fil des pages de ce roman truffé de précieuses petites listes. Marie Lebey nous fait rire en nous attendrissant: «  Mouche’, y es-tu? M’entends-tu? N’oublie pas, quand tu partiras, de laisser la lumière du couloir allumée. » Lecture coup de coeur!

Comme une bête. J. Sorman

Joy Sorman explore, ici, le monde de la boucherie et l’évolution de la filière de la viande. Etonnement, elle dissèque, avec dextérité, tous les éléments qui constituent cet univers de chair. Pim est le personnage principal de cet hymne à la vache dont il est mordu. Pim va faire sa « révolution bouchère ». Etudiant en CAP boucherie, sa réputation lui vaudra de réussir dans un monde artisanal dur et cruel. Joy Sorman revient, dans ce drôle de roman, au rapport primitif de l’homme à l’animal de boucherie en poussant la lectrice à la réflexion. Elle aborde les thèmes de la culpabilité et de la compassion en revenant, à sa manière, sur les origines de notre société carnivore:  » …alors Dieu dit à Noé: tout ce qui se meut et possède la vie vous servira de nourriture, je vous donne tout cela au même titre que la verdure des plantes. »  A plusieurs reprises, la lectrice se demande comment le roman va réussir à tenir sur un sujet aussi myoglobinique? Et pourtant, le rythme se maintient dans ce livre au style maîtrisé qui a, sous certains aspects, l’allure d’un document. Après lecture, la boucherie n’a plus aucun secret pour la lectrice. Ames sensibles s’abstenir. Un roman à offrir à son boucher. Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.

Je suis la marquise de Carabas. L. Bordes

Lucile Bordes tire avec beaucoup de poésie sur les ficelles de son histoire. A travers ce joli petit roman, elle retrace le parcours de ses ancêtres forains: les fondateurs du Grand Théâtre Pitou. Son grand père, en fin de vie, cachait cette histoire qu’il n’arrivait pas à transmettre. Il était devenu instituteur, lui le dernier acteur de ce tableau familial. La lectrice perçoit derrière les mots, un monde de saltimbanques fait de voyages en roulottes, de costumes et de marionnettes en bois qui s’animent dans de fabuleux spectacles. L’auteure, après une enquête familiale et un travail de documentation, romance la vie de cette troupe et fait des allers retours entre le 19ème et le 20ème siècle. Dans un style ramassé, elle nous raconte le passage de sa famille, sur quatre générations, du Grand Théâtre Pitou au cinéma muet puis au cinéma parlant. Un petit roman qui ouvre les portes d’un monde imaginaire et enchanté. Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.

Le monde à l’endroit. R. Rash

Ron Rash possède réellement son univers propre. Après son formidable livre  » un pied au paradis », le voici qui emmène, à nouveau, la lectrice dans son Amérique en traitant de la question des origines et de l’identité. Le roman se déroule au pied de Divide Mountain dans les Appalaches. L’auteur plante son décor, à chaque chapître, en faisant constamment référence à la nature: la beauté des truites mouchetées, les  rhododendrons,  le vacarme des grillons et des cigales, le chant des oiseaux, les crotales des bois, l’eau de la rivière… Travis Shelton, 17 ans, est le personnage principal du livre qui, confronté aux fantômes du passé, va tenter d’échapper à son destin. L’auteur écrit sans concession pour décrire une Amérique marginale dans un style qui n’appartient qu’à lui. Références surprenantes à Madame Simone Weil, présentée comme témoin de guerre. Ce roman, à suspense, remonte en permanence le temps: de la guerre de Sécession (à travers le journal d’un médecin) à nos jours. Ron Rash, révèle dans ce roman, une vie rude, campagnarde et pleine d’épreuves. Toujours au premier plan, ses personnages masculins sont particulièrement tragiques. Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.

La réparation. C. Schneck

Rentrée littéraire 2012 : Colombe Schneck, « La réparation » (vidéo)

Colombe Schneck est, depuis 2003, mère d’une petite « Salomé ». A travers le choix de ce prénom, l’auteure décide de remonter le temps pour découvrir le drame qui a bouleversé sa famille maternelle lors de la Shoah. Elle s’interroge sur sa légitimité à écrire son histoire et part finalement pleine de doutes sur les traces de sa famille, du ghetto de Kovno en Lituanie aux camps de concentration. Ce « roman-vrai » est, en fait, un document illustré de quelques photos. Le livre est évidemment touchant et légitime. Cependant, la lectrice ressent l’hésitation de l’auteure tout au long de la lecture et regrette un manque de profondeur. Colombe Schneck dégage pourtant, avec grâce, la beauté féminine derrière l’horreur de la guerre. Elle évoque sa mère, ses tantes et leurs enfants avec amour et compassion. Des lettres touchantes et poèmes viennent intensifier la densité du chagrin. Colombe Schneck nous parle avant tout, dans ce cinquième livre, de la force de la vie. Prix Thyde Monnier 2012. Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.

La vérité sur l’Affaire Harry Quebert. J. Dicker

Voici un roman différent; un roman construit « à l’américaine » et dont l’auteur est suisse. Sa jolie couverture est une oeuvre d’Hopper. Ce qui est, d’abord, surprenant pour la lectrice que je suis, c’est de se retrouver dans le contexte de la première élection de Barack Obama et de terminer cette lecture le jour de la réelection du président des Etats-Unis. L’auteur nous entraîne, ici, dans un compte à rebours: l’enquête sur le meurtre de Nola Kellergan dont est accusé, son amant, Harry Quebert. Marcus Goldman, le narrateur, va tenter de démontrer l’innocence de son mentor en enquêtant à Aurora, une ville tranquille en Amérique. Ce livre romanesque, de plus de six cent pages, est un petit bonheur même s’il comporte, évidemment, des longueurs. Les différents scénarios proposés par Marcus Goldman sont systématiquement remis en question et déroutent nos intimes convictions. A travers cette histoire, l’auteur nous parle de notre société mais surtout d’imposture, d’amour et de littérature. Le rôle de l’écrivain y est clairement défini: « Ecrire, cela signifie que vous êtes capable de ressentir plus fort que les autres et de transmettre ensuite. Ecrire, c’est permettre à vos lecteurs de voir ce que parfois ils ne peuvent pas voir. » Le génie de Joël Dicker est d’arriver à téléscoper, avec justesse, différentes époques. Un roman complexe écrit dans un style simple. Prix du Roman de l’Académie Française 2012. Prix Goncourt des Lycéens 2012.