Ce roman très féminin se profile comme un document. En retraçant le parcours de la communauté japonaise installée à San Francisco au début du 20ème siècle, Julie Otsuka nous parle du destin de ces femmes mariées par procuration dont l’exil commence par un mensonge. Belle écriture pour décrire la longue traversée et cette magnifique image métaphorique du bateau qui s’éloigne pour avancer vers l’avenir. Sans personnage principal, l’auteure utilise le « nous », tel un choeur, pour évoquer la misérable vie de ces femmes. Ce roman très poétique traite de l’expatriation, de la trahison, de la famille, de la condition de la femme, du travail, de l’humiliation… Beaucoup de jolies listes malgré leurs longueurs. La lectrice se plonge, ici, dans la culture nipponne et se représente parfaitement ces visages, ces voix, leurs souffrances et leurs joies minuscules. Certaines phrases ressemblent à un Haïku: « je vois encore l’empreinte de tes pas dans la boue, près de la rivière. » Ce second roman, de Julie Otsuka, se termine au moment de la seconde guerre mondiale, ce qui constitue le préquelle de son premier roman. Beau moment de lecture. Prix Fémina Etranger 2012. Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.
Archives de l’auteur : Sophie Marie Dumont
Le sermon sur la chute de Rome. J. Ferrari
C’est avec un certain retard, et une appréhension certaine, que j’ai, enfin, lu le prix Goncourt 2012. Inspiré de l’homélie de St Augustin, figure tutélaire du livre, Jérôme Ferrari examine à plusieurs échelles ce qui constitue un monde. Il nous présente ses personnages corses dans le tumulte des guerres du 20ème siècle jusqu’à nos jours. Matthieu, fils de Marcel, va finalement abandonner ses études prometteuses pour reprendre le bar de son village natal qu’il idéalise. Libéro va, lui aussi, s’associer à Matthieu pour bâtir ensemble ce qu’ils pensent être le meilleur des mondes. Leur ambition est si profonde et leurs attentes si fortes qu’ils vont finir par s’éloigner l’un de l’autre et se heurter à un monde réel incapable de les combler. Jérôme Ferrari emploie une dimension mystique pour nous évoquer le rapport des hommes au monde dans un style profond et puissant. Son caractère défaitiste n’emporte pas tous les suffrages et, pourtant, il s’agit bien d’un remarquable roman. Référence au philosophe Leibniz et son enseignement sur la cohérence du monde. Ce roman est un monde possible.
Mouche’. M. Lebey
Voici un petit roman détonnant. Avec beaucoup d’humour et dans un style qui n’appartient qu’à elle, Marie Lebey rend hommage à sa maman belge dit « Mouche’ « . La lectrice compatriote se retrouve parfaitement dans le destin de cette femme qui a vécu sa vie à Paris. Dans la lignée des romans de Nathalie Rheims et de Delphine De Vigan, sans oublier celui d’Amanda Sthers, l’auteure rend hommage, à sa manière, à une femme drôle et cultivée. Beaucoup de poésie et d’émotions au fil des pages de ce roman truffé de précieuses petites listes. Marie Lebey nous fait rire en nous attendrissant: « Mouche’, y es-tu? M’entends-tu? N’oublie pas, quand tu partiras, de laisser la lumière du couloir allumée. » Lecture coup de coeur!
Blanche-Neige doit mourir. N. Neuhaus
Ce polar, traduit de l’allemand, est riche comme un bavarois. Dans le village d’Altenhain, en novembre 2008, Pia Kirchoff et Oliver Bodenstein mènent l’enquête après une tentative de meurtre sur une femme. A partir de ce fait, une avalanche d’évènements va se produire en cascade, formant une intrigue particulièrement riche en rebondissements. Nele Neuhaus nous entraîne dans une histoire très mouvementée qui trouve son origine dans les meurtres de deux jeunes filles du village en 1997.Tobias Sartorius a été accusé de ces meurtres et a purgé sa peine de prison avant de revenir au village et provoquer la colère de certains habitants. Suspense assuré dans ce polar de 400 pages où l’auteur décrit consciencieusement l’atmosphère étouffante de ce bourg maudit. Si ce polar a remporté un vrai succès outre-Rhin c’est certainement grâce à son caractère identitaire. L’auteure nous parle de l’Allemagne d’aujourd’hui et, en toile de fond, de ses problèmes de société. Les thèmes abordés sont nombreux mais retenons ceux du crime, de la dérive du couple, du mensonge, de la responsabilité, de l’autisme et du désir. Beaucoup de personnages y sont méticuleusement décrits. Certains comme Bodenstein, Pia, Amélie ou Thiers sont attachants tandis que d’autres sont énigmatiques voir versatiles comme Nadja, Claudius Terlinden ou Daniela Lauerbach. Tous les ingrédients d’un bon policier sont rassemblés. Cependant, la lectrice déplore un enchaînement d’évènements trop important rendant la lecture presque indigeste malgré une maîtrise certaine du style. Bon moment de lecture trépidante. Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.
Plaintes. I. Rankin
L’action se passe en Ecosse, dans la région d’Edimbourg, en février 2009. Ian Rankin nous entraîne dans une affaire interne de police en prenant son temps pour déballer tous les éléments de l’enquête. Un polar soft avec une petite dose d’action et une bonne dose de violence et d’espionnage. Une affaire de ripoux dont Malcom Fox, enquêteur au Service des Affaires et Plaintes internes, est le principal personnage et le nouvel héros de Rankin. Lorsque le corps, sans vie, de son beau-frère est retrouvé sur un chantier, les mondes personnel et professionnel de Fox vont s’entrechoquer. La ville est très présente tout au long du polar. L’auteur fait un travail de topographe et se sert d’immeubles et de lieux comme repères. En toile de fond, Ian Rankin aborde, ici, les thèmes de crises économique et immobilière mais aussi de violence conjugale et d’alcoolisme. Les femmes ne sont pas très présentes dans ce monde d’hommes et sont présentées comme des personnages qui subissent. Beaucoup de dialogues dans ce policier à suspense de 475 pages. Bonne traduction. Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.
Comme une bête. J. Sorman
Joy Sorman explore, ici, le monde de la boucherie et l’évolution de la filière de la viande. Etonnement, elle dissèque, avec dextérité, tous les éléments qui constituent cet univers de chair. Pim est le personnage principal de cet hymne à la vache dont il est mordu. Pim va faire sa « révolution bouchère ». Etudiant en CAP boucherie, sa réputation lui vaudra de réussir dans un monde artisanal dur et cruel. Joy Sorman revient, dans ce drôle de roman, au rapport primitif de l’homme à l’animal de boucherie en poussant la lectrice à la réflexion. Elle aborde les thèmes de la culpabilité et de la compassion en revenant, à sa manière, sur les origines de notre société carnivore: » …alors Dieu dit à Noé: tout ce qui se meut et possède la vie vous servira de nourriture, je vous donne tout cela au même titre que la verdure des plantes. » A plusieurs reprises, la lectrice se demande comment le roman va réussir à tenir sur un sujet aussi myoglobinique? Et pourtant, le rythme se maintient dans ce livre au style maîtrisé qui a, sous certains aspects, l’allure d’un document. Après lecture, la boucherie n’a plus aucun secret pour la lectrice. Ames sensibles s’abstenir. Un roman à offrir à son boucher. Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.
Je suis la marquise de Carabas. L. Bordes
Lucile Bordes tire avec beaucoup de poésie sur les ficelles de son histoire. A travers ce joli petit roman, elle retrace le parcours de ses ancêtres forains: les fondateurs du Grand Théâtre Pitou. Son grand père, en fin de vie, cachait cette histoire qu’il n’arrivait pas à transmettre. Il était devenu instituteur, lui le dernier acteur de ce tableau familial. La lectrice perçoit derrière les mots, un monde de saltimbanques fait de voyages en roulottes, de costumes et de marionnettes en bois qui s’animent dans de fabuleux spectacles. L’auteure, après une enquête familiale et un travail de documentation, romance la vie de cette troupe et fait des allers retours entre le 19ème et le 20ème siècle. Dans un style ramassé, elle nous raconte le passage de sa famille, sur quatre générations, du Grand Théâtre Pitou au cinéma muet puis au cinéma parlant. Un petit roman qui ouvre les portes d’un monde imaginaire et enchanté. Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.
Joseph Anton. S. Rushdie
L’autobiographie de Salman Rushdie se lit comme un roman écrit à partir de faits réels. Ce grand auteur, d’origine indienne, avait été condamné à mort en 1989 par l’Ayatollah Khomeiny suite à la publication de son livre: « les versets sataniques ». Il raconte, ici, une décennie de sa vie sous protection policière, à la troisième personne du singulier. L’auteur justifie ce choix non pas par arrogance, mais afin de prendre de la distance avec son passé et l’homme qu’il a été. Très bonne traduction, à peine perceptible. Salman Rushdie a choisi le nom de « Joseph Anton » pour rendre hommage à deux illustres auteurs et à leurs univers: Joseph Conrad et Anton Tchekhov. En effet, pendant toutes ces années d’isolement, Salman Rushdie sera, malgré lui, un homme invisible condamné à gérer, avec intelligence, sa peur pour lui et pour ses proches. C’est un livre sur la liberté d’expression, la solitude, l’exil et l’aliénation d’un auteur qui continue à écrire et à publier malgré la Fatwa. Certains passages, notamment ceux relatant sa protection policière quotidienne, sont véritablement surréalistes. Beaucoup d’humour également, tout au long des sept cent pages comme dans l’épisode de la perruque qu’il part tester, un jour, dans les rues de Londres. Les thèmes de la honte et de l’humiliation ont une place d’importance, ici, et Salman Rushdie ne cache pas ses douleurs les plus profondes. La lectrice découvre, également, son rapport à la vie politique internationale. La France apparaît comme un soutien bénéfique à travers diverses personnalités comme Jack Lang, Isabelle Adjani ou BHL. La franchise et la sincérité rendent l’ autobiographie souvent touchante. Certaines pages semblent extraites d’un journal intime où l’on découvre l’homme, le mari, le séducteur mais aussi le fils, le frère et le père de deux garçons. A travers ces évènements, Salman Rushdie rencontre beaucoup de personnalités et relate beaucoup de faits importants et moins importants. Grâce à ses amis, l’auteur a réussi à vivre et à se cacher malgré l’épée de Damoclès qui persiste au dessus de sa tête. Une autobiographie qui ouvre les portes du microcosme de Salman Rushdie. A réserver aux initiés. Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.
Le monde à l’endroit. R. Rash
Ron Rash possède réellement son univers propre. Après son formidable livre » un pied au paradis », le voici qui emmène, à nouveau, la lectrice dans son Amérique en traitant de la question des origines et de l’identité. Le roman se déroule au pied de Divide Mountain dans les Appalaches. L’auteur plante son décor, à chaque chapître, en faisant constamment référence à la nature: la beauté des truites mouchetées, les rhododendrons, le vacarme des grillons et des cigales, le chant des oiseaux, les crotales des bois, l’eau de la rivière… Travis Shelton, 17 ans, est le personnage principal du livre qui, confronté aux fantômes du passé, va tenter d’échapper à son destin. L’auteur écrit sans concession pour décrire une Amérique marginale dans un style qui n’appartient qu’à lui. Références surprenantes à Madame Simone Weil, présentée comme témoin de guerre. Ce roman, à suspense, remonte en permanence le temps: de la guerre de Sécession (à travers le journal d’un médecin) à nos jours. Ron Rash, révèle dans ce roman, une vie rude, campagnarde et pleine d’épreuves. Toujours au premier plan, ses personnages masculins sont particulièrement tragiques. Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.
Eloge de l’Optimisme. Ph. Gabilliet
Voici un essai qui réconforte. Etant membre de la ligue des optimistes de France, j’ai rencontré Philippe Gabilliet lors du premier diner de la ligue, le 12.12.12. Luc Simonet, un belge à l’origine de la ligue, signe l’avant-propos de cet ouvrage facile à lire. L’auteur revient sur l’origine de cette notion et invite à réfléchir sur notre vision des choses en cette période de crise. Il décrit l’optimiste type et ce qui le différencie fondamentalement du pessimiste dans notre société et dans le monde du travail. L’optimisme est un art de vivre, l’antidote de tous les désespoirs, un état d’esprit à transmettre de manière urgente. A lire et à offrir.
Trois américaines à Paris. A. Kaplan
Alice Kaplan nous livre un beau document à propos de trois femmes américaines devenues légendaires: Jacqueline Bouvier Kennedy, Susan Sontag et Angela Davis. Ce triptyque identitaire nous montre à quel point leur voyage en France a eu une incidence sur la vie de chacune. Jacqueline Bouvier Kennedy était une bourgeoise, esthète et grande éditrice qui a été influencée par la culture française depuis sa naissance jusqu’à sa mort. Susan Sontag, intellectuelle juive et autodidacte, a su se forger une identité après cette expérience déterminante. Angela Davis, de par sa condition d’afro-américaine communiste, a trouvé en France une protection vitale contre le racisme. Grâce à la France, ces trois femmes se sont réconciliées avec elles-mêmes. Alice Kaplan retrace le parcours de chacune en fournissant beaucoup de témoignages et d’anecdotes. Le nombre de références et notes ainsi que le travail de consultation d’archives, par l’auteure, impressionnent. Ce qui frappe, à travers ce document, ce sont les grandes différences qui séparent ces femmes, dès le départ, mais dont le dénominateur commun est l’amour de la France. Elles incarnent les aspirations de trois générations successives de 1949 à 1964. De plus, la lectrice découvre, avec intérêt, tout un pan de la culture et de l’histoire de France et des Etats-Unis. Alice Kaplan expose, avec précision et élégance, l’impact de cette révélation française sur ces trois destins de femmes. Sélection Grand Prix des lectrices du « Elle » 2013.
Les Apparences.G. Flynn
La société américaine est composée de diverses catégories de personnes dont énormément de puritains. Gillian Flynn ne fait absolument pas partie de cette catégorie. Son style est pour le moins brut et salace. Au début de la lecture, ce policier a pourtant toutes les « apparences » d’un bon thriller. En effet, Gillian Flynn joue avec nos nerfs et jongle avec un vrai suspense, il faut le reconnaître. L’idée de départ est bonne et certains chapitres captivent vraiment. Cependant, l’intrigue est beaucoup trop machiavélique et l’histoire définitivement abracadabrantesque. Trop de longueurs dans ce policier, à deux voix, qui ne supporte pas la traduction. L’auteure nous parle avant tout du mensonge et de la désintégration du couple. La fin est à la hauteur du livre: peu convaincante. Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.
Le Pôle Nord en Ballon. E. Pény-Etienne
Elsa Pény-Etienne est la femme du grand explorateur Jean-Louis Etienne. Lors d’un goûter littéraire chez mon amie Delphine, j’ai eu la chance de la rencontrer et de découvrir ses très beaux livres. Elsa relate et illustre, dans celui-ci, la traversée de l’océan Arctique en ballon d’hélium, en avril 2010. Chaque journée d’expédition commence par un détail des paramètres scientifiques susceptibles d’éveiller l’intérêt des enfants (à partir de neuf ans) comme la longitude, latitude, vitesse du ballon, température… quelques mots spécifiques sont également définis. Confronté à toutes sortes d’évènements, Jean-Louis Etienne va réussir cet incroyable exploit. Ces cinq jours mouvementés sont racontés avec passion et précision.Très belles illustrations. Un livre qui peut susciter des vocations!
Le royaume des loups. K. Lasky
Une fiction, d’une auteure américaine, pour les garçons de 9 à 12 ans. L’histoire du louveteau Faolan, abandonné par sa mère et sa meute. Une ourse va le recueillir et une aventure commence. Pas d’ennui, d’après mon fils, et un bon suspense dans ce premier tome (il y en a quatre). La carte du territoire du « royaume des loups » permet au lecteur de bien suivre les traces de Faolan. Vingt-sept chapitres au grand air pour le bonheur de nos petits citadins.
La réparation. C. Schneck
Colombe Schneck est, depuis 2003, mère d’une petite « Salomé ». A travers le choix de ce prénom, l’auteure décide de remonter le temps pour découvrir le drame qui a bouleversé sa famille maternelle lors de la Shoah. Elle s’interroge sur sa légitimité à écrire son histoire et part finalement pleine de doutes sur les traces de sa famille, du ghetto de Kovno en Lituanie aux camps de concentration. Ce « roman-vrai » est, en fait, un document illustré de quelques photos. Le livre est évidemment touchant et légitime. Cependant, la lectrice ressent l’hésitation de l’auteure tout au long de la lecture et regrette un manque de profondeur. Colombe Schneck dégage pourtant, avec grâce, la beauté féminine derrière l’horreur de la guerre. Elle évoque sa mère, ses tantes et leurs enfants avec amour et compassion. Des lettres touchantes et poèmes viennent intensifier la densité du chagrin. Colombe Schneck nous parle avant tout, dans ce cinquième livre, de la force de la vie. Prix Thyde Monnier 2012. Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.
La tête à ToTo. S. Kollender
Sandra Kollender est mère d’un enfant handicapé, atteint du syndrome de West. A travers ce document, qu’elle écrit comme un roman autobiographique, elle invite la lectrice à découvrir sa douleur et son combat. Beaucoup de compassion et d’attendrissement face à cette auteure et les épreuves de sa vie. Dans un style direct et drôle, cynique mais parfois un peu trop féroce, la narratrice décrit sa lutte quotidienne pour l’intégration scolaire de son fils. Un document dont le thème principal est le pouvoir de l’amour maternel. Cette leçon de vie est aussi un cri pour faire évoluer la France et les handicaps: « wake up la France! ». Sélection Grand Prix des lectrices du « Elle » 2013.
La vérité sur l’Affaire Harry Quebert. J. Dicker
Voici un roman différent; un roman construit « à l’américaine » et dont l’auteur est suisse. Sa jolie couverture est une oeuvre d’Hopper. Ce qui est, d’abord, surprenant pour la lectrice que je suis, c’est de se retrouver dans le contexte de la première élection de Barack Obama et de terminer cette lecture le jour de la réelection du président des Etats-Unis. L’auteur nous entraîne, ici, dans un compte à rebours: l’enquête sur le meurtre de Nola Kellergan dont est accusé, son amant, Harry Quebert. Marcus Goldman, le narrateur, va tenter de démontrer l’innocence de son mentor en enquêtant à Aurora, une ville tranquille en Amérique. Ce livre romanesque, de plus de six cent pages, est un petit bonheur même s’il comporte, évidemment, des longueurs. Les différents scénarios proposés par Marcus Goldman sont systématiquement remis en question et déroutent nos intimes convictions. A travers cette histoire, l’auteur nous parle de notre société mais surtout d’imposture, d’amour et de littérature. Le rôle de l’écrivain y est clairement défini: « Ecrire, cela signifie que vous êtes capable de ressentir plus fort que les autres et de transmettre ensuite. Ecrire, c’est permettre à vos lecteurs de voir ce que parfois ils ne peuvent pas voir. » Le génie de Joël Dicker est d’arriver à téléscoper, avec justesse, différentes époques. Un roman complexe écrit dans un style simple. Prix du Roman de l’Académie Française 2012. Prix Goncourt des Lycéens 2012.
Cher Gabriel. H. W. Freihow
Voici un magnifique document, d’un auteur norvégien, qui traite de l’autisme. Cette lettre touchante, d’un père à son fils, est écrite dans un style poétique, bucolique et métaphorique. La nature est, ici, omniprésente. Gabriel nous apparaît tel « Le Petit Prince de St Exupéry », exigeant, entêté, rêveur et naïf, en quête perpétuelle de vérité. L’auteur se questionne par rapport à la maladie de son fils. Il parle en son nom de narrateur mais aussi au nom du couple fragile qu’il forme avec la mère de Gabriel. Un couple qui refuse, avant tout, de capituler face à l’épreuve. Il est question, dans ce document, de l’amour de Gabriel mais aussi de toute l’empathie, la bienveillance et de la compassion ressenties dans l’entourage du garçon. Halfdan Freihow écrit de manière passionnée à son fils cadet pour lui expliquer également à quel point sa maladie entraîne des difficultés. Un père qui va jusqu’à s’excuser de manquer de force et d’énergie face à cet être différent des autres. Poignante définition du chagrin. Traduction imperceptible. Ce document nous captive par toute la beauté et la tendresse qui s’en dégagent. Coup de coeur! Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.
Pourquoi c’est bien, pourquoi c’est mal? J. Boyer
Un livre à lire à partir de 9 ans, seul ou avec un parent. Un ouvrage philosophique qui élève, questionne et amuse. Textes, illustrations, jeux, tests et solutions pour occuper intelligemment nos bambins. Rousseau, Socrate, Nietzsche ou Kant ne seront plus des inconnus pour nos chères têtes blondes. A lire un dimanche pluvieux.
Avenue des Géants. M. Dugain
Un roman captivant, bien construit, qui nous entraîne dans les grands espaces de l’Amérique, en 1963. Marc Dugain retrace le cheminement d’Ed Kemper alias Al Kenner, un personnage réel et tueur en série particulièrement énigmatique. Si ce tueur est totalement dénué d’empathie, l’auteur, de son côté, nous le présente sous un angle qui ne condamne jamais. Au contraire, tout au long du roman, Marc Dugain s’emploie à comprendre cet homme, pourtant intelligent, qui n’arrive pas à s’approprier sa vie et qui s’interroge sans cesse. Le tueur va parcourir les Etats-Unis, perdu dans ce vaste territoire comme dans sa propre vie. Un homme différent, géant et obèse, qui cherche sa place en vain; à cran comme son 9mm. Le style de l’auteur est cynique, métaphorique: « j’étais comme une vaste maison hantée dans laquelle il ne reste qu’un meuble et il me proposait de m’aider à le déplacer dehors pour le brûler. »; son humour noir est particulièrement décapant. Au moment de son incarcération, le tueur et narrateur, découvre la littérature: « la lecture est la plus belle expérience humaine. » Beaucoup de personnages évoluent aux côtés d’Al Kenner, la plupart étonnement naïfs et sympathiques. Le rôle de la mère est crucial dans cette histoire stupéfiante. Les thèmes traités par l’auteur sont: la défaillance parentale, le divorce, l’abandon, le lien filial, la maladie mentale, l’alcoolisme, l’angoisse existentielle, la culpabilité, la confiance, le temps qui passe… Ce roman est aussi l’autopsie de la société américaine, malade et sans avenir, celle des hippies et de la guerre du Vietnam. Le travail qu’Al Kenner mène avec son premier psychiatre est particulièrement précis et nous aide à appréhender la schizophrénie paranoïde. L’auteur nous réserve une fin de roman foudroyante qui désarçonne. Moment de lecture géant. Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.
La décade de l’illusion. M. Sachs
Un trésor, écrit en 1932, trouvé sur une poubelle parisienne. Sacrilège! N’avez-vous jamais rêvé d’être projeté, quelques heures, dans le Paris d’antan? Comme Woody Allen dans « Midnight in Paris », Maurice Sachs nous fait revivre la décade des années 1922 à 1932. Au présent, nous croisons des centaines de personnages: écrivains, artistes, politiques, acteurs, célébrités… Nous dînons « au boeuf sur le toît » en compagnie de Marie Laurencin, Desnos, Aragon ou Maurice Rostand et visitons les maisons de Coco Chanel, Gertrude Stein, Gide…Une des particularités de Maurice Sachs est son caractère humaniste, il décèle toujours nombre de qualités et de vertus chez ses acolytes. Il s’emploie, aussi, à décrire avec authenticité l’oeuvre de chacun et dépeint méticuleusement des quartiers, des lieux, des rues; un monde révolu. Il mêle l’histoire de France à l’histoire de l’Art et laisse, pour notre plus grand plaisir, une trace précieuse. Avec une prédilection pour Jean Cocteau, Jacques Maritain, Max Jacob et Pablo Picasso, ses « grands sorciers », l’auteur nous livre le témoignage d’un spectateur particulièrement attentif à ces exquises années.
Aimer (quand même) le XXIème siècle. J-L Servan-Schreiber
Voici un essai qui peut paraître abrupt au fil des premières pages. Et pourtant, Jean-Louis Servan-Schreiber nous donne sa vision du monde actuel et nous ammène à la réflexion avec conviction. Quelques illustrations drôles et réalistes donnent le ton à chaque début de chapître. Pas mal d’humour et beaucoup de cynisme dans ce livre qui est loin de la leçon de morale. L’auteur fait un constat sans prendre de gants et en étant très au fait des technologies. Jean-Louis Servan-Schreiber est, avant tout, un homme qui vit avec son temps. Il nous parle très justement de l’infidélité de nos sociétés, du virtuel comme nouveau réel, de l’endettement temporel, du changement de l’espace-temps où l’individu doit trouver sa place… Avec poésie, il nous invite à: « ne pas oublier d’aller de temps en temps nous coucher dans l’herbe pour écouter le vent. » L’équation du siècle est, selon lui, à quatre inconnues: la paix, la démocratie, la prospérité et l’écologie. L’auteur livre une clé: « pour aimer ce siècle, il faut trouver un sens et être capable de le considérer avec sagesse. » Beaucoup d’optimisme dans cet essai qui propose une nouvelle « Renaissance ». Moment de lecture constructif.
Tais-toi et meurs. A. Mabanckou
Alain Mabanckou nous plonge dans un polar écrit avec une maîtrise incroyable. Son univers d’immigré congolais naïf, installé à Paris avec de faux papiers, n’appartient qu’à lui. La lectrice se laisse balader dans cette intrigue géniale où il est question d’identité, d’origine, de croyances, de dimension culturelle, de sexe et de combines. Julien Makambo est le narrateur de cette histoire qu’il écrit depuis sa prison de Fresnes. Beaucoup de personnages caricaturaux y évoluent pour notre plus grand plaisir de lectrice: Prosper le Nordiste, Désiré le musicien, Bonaventure le premier agent immobilier parisien noir, Willy le mécanicien, Pedro le fausseur et mentor etc… Ce n’est pas le suspense qui nous tient mais bien le style de l’auteur que nous connaissons déjà. Alain Mabanckou écrit de manière percutante, sans rien masquer. Il n’est pas dupe de notre société et la dépeint, encore une fois, avec humour, cynisme et un réalisme déconcertant. Lui seul raconte le Paris « africain » avec autant d’exotisme. Très bon moment de lecture.
Fukushima. M. Ferrier
Fukushima, un titre qui décourage immédiatement la lectrice. Et pourtant, Michaël Ferrier dissèque ce désastre avec un vrai talent. Il raconte, tout d’abord, le séisme par ce mouvement infime, une fêlure, une craquelure puis le frisson jusqu’à la confusion. L’auteur se présente comme un écrivain, à Tokyo, face à un évènement naturel terrifiant. Beaucoup de poésie, de finesse dans son récit comme un éloge à la vie, à la force et la beauté de la nature malgré la mort. Son écriture est teintée de cynisme, empreinte de révolte, d’humour et d’optimisme. Dans ses digressions tectoniques, Michaël Ferrier donne sa vision des choses et puise dans la littérature de nombreuses références qui viennent enrichir la lecture. Il aborde le rôle de l’écrivain face au séisme: le chroniqueur note et l’empereur conjure. Vient ensuite le tsunami, conséquence du séisme, et ses répercussions: « des milliers de drames minuscules dans la grande tragédie du jour. » Vives critiques par rapport aux incohérences des médias, aux bévues et à la lâcheté des hommes. Le dernier tiers du document est plus rébarbatif mais nous renseigne dans les moindres détails sur le désastre nucléaire de Fukushima: l’irresponsabilité des dirigeants de la centrale, le « bricolage total » en ce qui concerne les dégâts, l’évacuation chaotique des populations et les radiations comme une peste noire. Bien évidemment, le parallèle entre Fukushima, Hiroshima et Nagasaki est établi dans ce document. Michaël Ferrier est, avant tout, amoureux de la vie et de sa femme Jun. Il nous présente ce document tel un haïku, en se référant à la nature et aux saisons tout en traduisant une sensation et en incitant le lecteur à la réflexion. Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.
Des ombres dans la rue. S. Hill
Un roman policier épais qui laisse perplexe. Bonne traduction, ce qui n’est pas négligeable, mais le livre comprend trop de digressions. Nous suivons l’enquête de Simon Serailler dans la ville de Lafferton en Grande Bretagne. Entre les prostituées étranglées et d’autres femmes disparues, des pistes menant à des impasses et une ville qui vit dans la peur, la lectrice se sent parfois découragée. Le suspens tient pourtant en haleine et c’est là le vrai talent de Susan Hill. Cependant, elle donne une vision bourgeoise de la société anglaise avec d’une part les pauvres prostituées (le mal) et d’un autre côté les notables (le bien). Son style est direct, dramatique avec beaucoup de descriptions. Quant au titre « des ombres dans la rue » il fonctionne en anglais mais se retrouve dénué de son côté mystérieux en français. Sélection Prix des Lectrices du « Elle » 2013.
Laisser les cendres s’envoler. N. Rheims
Après les très beaux romans maternels de Delphine de Vigan et Amanda Sthers, paraît le tout aussi captivant roman de Nathalie Rheims. Avec lucidité et tendresse, Nathalie Rheims nous livre un très beau texte teinté d’émotions et de férocité dont le thème principal est la défaillance maternelle. L’auteure nous raconte son enfance et son adolescence comme un conte de fées qui vire au cauchemar. Son style est ciselé, juste parfois cynique mais sans pathos. Elle nous ouvre les portes d’un château enchanté, d’un monde aujourd’hui révolu, d’une dynastie familiale de banquiers réduite en cendres. Nathalie Rheims livre sa part de vérité, ses souvenirs et ses secrets. L’amour maternel est-il vraiment inconditionnel? Même si nous ignorons à quel point ce roman est autobiographique, Nathalie Rheims nous touche au coeur. Beaucoup de compassion pour cette auteure qui apparaît sous un nouveau jour.
Belle famille. A. Dreyfus
Arthur Dreyfus nous raconte, avec conviction, une histoire inspirée de l’affaire Maddie. Il y a quelques années, cette petite fille de trois ans disparaissait au Portugal, en vacances avec ses parents. Il est question, ici, de la famille Macand et de leurs trois enfants. Les premières pages ne passionnent pas mais, très vite, l’histoire s’emballe et nous emporte. Le style de l’auteur est résolumment moderne, original, bourré de références. Il dépeint parfaitement la société actuelle et le quotidien de nos enfants à travers leurs jeux électroniques, leur vocabulaire, leurs états d’âme. L’ écriture est noble, intelligente. L’ amour maternel et la famille constituent l’axe central de cette histoire captivante. Arthur Dreyfus manipule habilement les mots et nous livre la version vraissemblable d’un fait divers qui dérape et agite. Bon moment de lecture. Prix Orange du Livre 2012. Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.
Au lieu-dit Noir-Etang…T.H.Cook
Voici un vrai polar. Août 1926, en Nouvelle-Angleterre dans la ville de Chatham. Henry Griswald, le narrateur, nous conte l’histoire de son adolescence, de sa vie étriquée à Chatham School, l’école dirigée par son père. Arrive un nouveau professeur, Mlle Channing, qui va tout bouleverser sur son passage. Il est question ici de passion secrète, d’adultère, de mensonges et de morts. Henry va découvrir la vie sous un autre angle, complice muet de ce professeur si désirable. Les faits sont lentement distillés parallèlement à la retranscription du procès; un procédé captivant. Mais ce qui séduit ici, c’est le climat que Thomas H. Cook installe en posant délicatement sur sa toîle des couleurs, des tons, des impressions et de multiples références. La description des paysages, notamment, révèle une indéniable intensité, une violence sournoise. La psychologie des personnages est particulièrement soignée. L’atmosphère de ce livre est finalement presque palpable et c’est ce qui le place en haut de la pile. Ecriture poétique; style noir, romantique et tourmenté. Excellent suspense. Sélection prix des lectrices du « Elle » 2013.
L’élimination. R. Panh avec C. Bataille
Document exceptionnel déjà reconnu et récompensé par de nombreux prix. Rithy Panh revient de loin, il revient de l’enfer du régime de Pol Pot, le génocide cambodgien qui a emporté un million sept cent milles personnes dans les années septante. A treize ans, il perd toute sa famille en quelques semaines. Commence alors, pour lui, une vie d’ exode, de camp en camp. Rithy Panh a bien sûr le mérite de retracer sa douloureuse histoire, lui qui est aujourd’hui un cinéaste réputé. Il a, surtout, eu le courage de se confronter au responsable Khmer rouge du centre de torture et d’exécution S21 dans Phnom Penh, Duch, depuis sa prison du tribunal pénal. Rithy Panh prend de la distance par rapport aux faits et arrive à mettre de côté tout esprit de vengeance dans ses interrogatoires. Christophe Bataille l’aide à mettre les mots justes sur son travail. La lectrice ressent sa souffrance lorsqu’il retrace sa terrible enfance. Mais ce qu’il cherche, avant tout,c’est la compréhension de la nature du crime. Comment un homme intelligent peut il répandre autant de mal et de mensonges parmi ses semblables? Comment un tel bourreau peut il faire abstraction de son propre travail de destruction? Ce document est un questionnement qui nous montre l’horreur du Kampuchea démocratique; l’Angkar comme système où l’homme se dissout, tel un élément, dans une organisation. A travers ce récit, « le camarade chauve » nous raconte aussi l’amour de sa mère, de son père, de ses frères et soeurs, la fraternité de ses camarades… Il nous parle également de sa vie en France, de ses lectures et de sa culture. Un document dans la lignée de « Shoa » mais aussi des oeuvres de Primo Levi et d’Elie Wiesel. « C’est le silence qui blesse. Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.
L’art de la simplicité. D. Loreau
Ce manuel, destiné à simplifier notre vie pour l’enrichir, est paru en 2005. Il fait partie des nombreux livres, dont on parle actuellement, sur l’art de vivre dont « l’art de l’essentiel », « l’art de la joie », « l’art des listes »(même auteure), « l’art de la frugalité et de la volupté » etc…Dominique Loreau est une essayiste française qui vit au Japon où elle a pris des notes pendant plus de vingt ans. Elle aborde, ici, le poids du matérialisme propre au monde occidental face aux sources du bouddhisme zen et les joies du minimalisme. Les thèmes du soin du corps, de la beauté et du plaisir de la frugalité sont évoqués dans une deuxième partie. Certains de ses conseils sont très pertinents pendant que d’autres paraissent poussés à l’extrême surtout en matière d’alimentation. La dernière partie du livre, consacrée au mental, est certainement la plus enrichissante car elle évoque, notamment, l’importance de l’écriture et de la lecture. En refermant le manuel, quelques pages blanches nous donnent la liberté de rédiger « la liste de vos 1000 petits plaisirs ».