Fukushima. M. Ferrier

Fukushima, récit d'un desastre

Fukushima, un titre qui décourage immédiatement la lectrice. Et pourtant, Michaël Ferrier dissèque ce désastre avec un vrai talent. Il raconte, tout d’abord, le séisme par ce mouvement infime, une fêlure, une craquelure puis le frisson jusqu’à la confusion. L’auteur se présente comme un écrivain, à Tokyo, face à un évènement naturel terrifiant. Beaucoup de poésie, de finesse dans son récit comme un éloge à la vie, à la force et la beauté de la nature malgré la mort. Son écriture est teintée de cynisme, empreinte de révolte, d’humour et d’optimisme. Dans ses digressions tectoniques, Michaël Ferrier donne sa vision des choses et puise dans la littérature de nombreuses références qui viennent enrichir la lecture. Il aborde le rôle de l’écrivain face au séisme: le chroniqueur note et l’empereur conjure. Vient ensuite le tsunami, conséquence du séisme, et ses répercussions: « des milliers de drames minuscules dans la grande tragédie du jour. » Vives critiques par rapport aux incohérences des médias, aux bévues et à la lâcheté des hommes. Le dernier tiers du document est plus rébarbatif mais nous renseigne dans les moindres détails sur le désastre nucléaire de Fukushima: l’irresponsabilité des dirigeants de la centrale, le « bricolage total » en ce qui concerne les dégâts, l’évacuation chaotique des populations et les radiations comme une peste noire. Bien évidemment, le parallèle entre Fukushima, Hiroshima et Nagasaki est établi dans ce document. Michaël Ferrier est, avant tout, amoureux de la vie et de sa femme Jun. Il nous présente ce document tel un haïku, en se référant à la nature et aux saisons tout en traduisant une sensation et en incitant le lecteur à la réflexion. Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.

Des ombres dans la rue. S. Hill

couverture

Un roman policier épais qui laisse perplexe. Bonne traduction, ce qui n’est pas négligeable, mais le livre comprend trop de digressions. Nous suivons l’enquête de Simon Serailler dans la ville de Lafferton en Grande Bretagne. Entre les prostituées étranglées et d’autres femmes disparues, des pistes menant à des impasses et une ville qui vit dans la peur, la lectrice se sent parfois découragée. Le suspens tient pourtant en haleine et c’est là le vrai talent de Susan Hill. Cependant, elle donne une vision bourgeoise de la société anglaise avec d’une part les pauvres prostituées (le mal) et d’un autre côté les notables (le bien). Son style est direct, dramatique avec beaucoup de descriptions. Quant au titre « des ombres dans la rue » il fonctionne en anglais mais se retrouve dénué de son côté mystérieux en français. Sélection Prix des Lectrices du « Elle » 2013.

Laisser les cendres s’envoler. N. Rheims

Nathalie Rheims - Laisser les cendres s'envoler.

Après les très beaux romans maternels de Delphine de Vigan et Amanda Sthers, paraît le tout aussi captivant roman de Nathalie Rheims. Avec lucidité et tendresse, Nathalie Rheims nous livre un très beau texte teinté d’émotions et de férocité dont le thème principal est la défaillance maternelle.  L’auteure nous raconte son enfance et son adolescence comme un conte de fées qui vire au cauchemar. Son style est ciselé, juste parfois cynique mais sans pathos. Elle nous ouvre les portes d’un château enchanté, d’un monde aujourd’hui révolu, d’une dynastie familiale de banquiers réduite en cendres. Nathalie Rheims livre sa part de vérité, ses souvenirs et ses secrets. L’amour maternel est-il vraiment inconditionnel? Même si nous ignorons à quel point ce roman est autobiographique, Nathalie Rheims nous touche au coeur. Beaucoup de compassion pour cette auteure qui apparaît sous un nouveau jour.

Belle famille. A. Dreyfus

Arthur Dreyfus nous raconte, avec conviction, une histoire inspirée de l’affaire Maddie. Il y a quelques années, cette petite fille de trois ans disparaissait au Portugal, en vacances avec ses parents. Il est question, ici, de la famille Macand et de leurs trois enfants. Les premières pages ne passionnent pas mais, très vite, l’histoire s’emballe et nous emporte. Le style de l’auteur est résolumment moderne, original, bourré de références. Il dépeint parfaitement la société actuelle et le quotidien de nos enfants à travers leurs jeux électroniques, leur vocabulaire, leurs états d’âme. L’ écriture est noble, intelligente. L’ amour maternel et la famille constituent l’axe central de cette histoire captivante. Arthur Dreyfus manipule habilement les mots et nous livre la version vraissemblable d’un fait divers qui dérape et agite. Bon moment de lecture. Prix Orange du Livre 2012. Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.

Au lieu-dit Noir-Etang…T.H.Cook

Voici un vrai polar. Août 1926, en Nouvelle-Angleterre dans la ville de Chatham. Henry Griswald, le narrateur, nous conte l’histoire de son adolescence, de sa vie étriquée à Chatham School, l’école dirigée par son père. Arrive un nouveau professeur, Mlle Channing, qui va tout bouleverser sur son passage. Il est question ici de passion secrète, d’adultère, de mensonges et de morts. Henry va découvrir la vie sous un autre angle, complice muet de ce professeur si désirable. Les faits sont lentement distillés parallèlement à la retranscription du procès; un procédé captivant. Mais ce qui séduit ici, c’est le climat que Thomas H. Cook installe en posant délicatement sur sa toîle des couleurs, des tons, des impressions et de multiples références. La description des paysages, notamment, révèle une indéniable intensité, une violence sournoise. La psychologie des personnages est particulièrement soignée. L’atmosphère de ce livre est finalement presque palpable et c’est ce qui le place en haut de la pile. Ecriture poétique; style noir, romantique et tourmenté. Excellent suspense. Sélection prix des lectrices du « Elle » 2013.

L’élimination. R. Panh avec C. Bataille

L'élimination

Document exceptionnel déjà reconnu et récompensé par de nombreux prix. Rithy Panh revient de loin, il revient de l’enfer du régime de Pol Pot, le génocide cambodgien qui a emporté un million sept cent milles personnes dans les années septante. A treize ans, il perd toute sa famille en quelques semaines. Commence alors, pour lui, une vie d’ exode, de camp en camp. Rithy Panh a bien sûr le mérite de retracer sa douloureuse histoire, lui qui est aujourd’hui un cinéaste réputé. Il a, surtout, eu le courage de se confronter au responsable Khmer rouge du centre de torture et d’exécution S21 dans Phnom Penh, Duch, depuis sa prison du tribunal pénal. Rithy Panh prend de la distance par rapport aux faits et arrive à mettre de côté tout esprit de vengeance dans ses interrogatoires. Christophe Bataille l’aide à mettre les mots justes sur son travail. La lectrice ressent sa souffrance lorsqu’il retrace sa terrible enfance. Mais ce qu’il cherche, avant tout,c’est la compréhension de la nature du crime. Comment un homme intelligent peut il répandre autant de mal et de mensonges parmi ses semblables? Comment un tel bourreau peut il faire abstraction de son propre travail de destruction? Ce document est un questionnement qui nous montre l’horreur du Kampuchea démocratique; l’Angkar comme système où l’homme se dissout, tel un élément, dans une organisation. A travers ce récit, « le camarade chauve » nous raconte aussi l’amour de sa mère, de son père, de ses frères et soeurs, la fraternité de ses camarades… Il nous parle également de sa vie en France, de ses lectures et de sa culture. Un document dans la lignée de « Shoa » mais aussi des oeuvres de Primo Levi et d’Elie Wiesel. « C’est le silence qui blesse. Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.

L’art de la simplicité. D. Loreau

L'art de la simplicité

Ce manuel, destiné à simplifier notre vie pour l’enrichir, est paru en 2005. Il fait partie des nombreux livres, dont on parle actuellement, sur l’art de vivre dont « l’art de l’essentiel », « l’art de la joie », « l’art des listes »(même auteure), « l’art de la frugalité et de la volupté » etc…Dominique Loreau est une essayiste française qui vit au Japon où elle a pris des notes pendant plus de vingt ans. Elle aborde, ici, le poids du matérialisme propre au monde occidental face aux sources du bouddhisme zen et les joies du minimalisme. Les thèmes du soin du corps, de la beauté et du plaisir de la frugalité sont évoqués dans une deuxième partie. Certains de ses conseils sont très pertinents pendant que d’autres paraissent poussés à l’extrême surtout en matière d’alimentation. La dernière partie du livre, consacrée au mental, est certainement la plus enrichissante car elle évoque, notamment, l’importance de l’écriture et de la lecture. En refermant le manuel, quelques pages blanches nous donnent la liberté de rédiger « la liste de vos 1000 petits plaisirs ».

Paraphilia. S. Desforges

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Il y a plusieurs sortes de policiers et celui-ci est à placer dans la catégorie « très dérangeant ». Le thème principal, comme l’indique le titre, est la paraphilie càd les comportements sexuels déviants. Oncle Tom souffre de pédophilie. Une chasse à l’homme est ouverte. Le coupable est-il le bon? Si vous êtes parent, comme moi, le livre est évidemment perturbant. Cependant, je remercie Gilles Paris de me l’avoir envoyé car voici un policier différent des autres. « Paraphilia » est le fruit d’un travail à quatre mains, un duo d’auteurs anglais. Ne trouvant pas d’éditeur en Angleterre, ils ont publié eux mêmes, en version électronique, ce policier. Après trois mois, cent cinquante milles exemplaires ont été vendus. C’est un vrai document qui retrace l’évolution de la pédophilie dans notre société et qui se base sur des faits réels. Lecture intense, vrai suspense.

Les larmes noires de Mary Luther. A. J. Mayhew

Les Larmes noires de Mary Luther par Anna Jean Mayhew

Très bon roman américain qui nous rappelle « la couleur des sentiments ». La narratrice est Jubie, une adolescente issue d’une famille bourgeoise blanche composée de quatre enfants. En 1954, en Caroline du Nord, il est question de ségrégation, de haine et d’intolérance mais aussi d’amitié, d’amour, de complicité. Sur un tempo negro spiritual afro-américain, Jubie nous fait partager le quotidien de sa famille, ses vacances, ses amours et ses problèmes personnels. Elle est véritablement attachante, puérile, sensible et livre avec, beaucoup de fraîcheur, un instantané de son époque. Sa bonne noire Mary, à qui elle tient sincèrement, paiera le prix fort de sa différence. Plusieurs drames vont bouleverser la vie de toute la famille tout au long du roman. La lectrice ne s’ennuie jamais; les derniers chapîtres se révèlent riches en rebondissements. Excellent moment de lecture.

La maison de Sugar Beach. H. Cooper

Helen Cooper - La maison de Sugar Beach - Réminiscences d'une enfance en Afrique.

Ce document, qui se lit comme un roman, est une occasion unique de découvrir l’histoire du Liberia. Grâce au ton enjoué et l’auto-biographie de l’auteure, la lectrice découvre ce pays d’Afrique créé au XIXème siècle par des esclaves affranchis d’Amérique. Helene Cooper, descendante des fondateurs du Liberia, a grandi dans le milieu des Congos, l’élite politique du pays. Très agréable à lire, ce récit révèle d’abord une auteure touchante, intelligente, profondément attachée à son pays d’origine. Le coup d’Etat qui a marqué de manière irréversible, la vie de cette Libérienne et de son pays, redonne, au milieu du document, un nouvel élan en nous laissant parfois stupéfaits. Les tonalités, les senteurs, l’amitié et l’amour ainsi que les mots choisis par Helene Cooper laissent transparaître, de manière inégalée, les vraies couleurs du Liberia. Excellent moment de lecture. Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2012, Document.

Loving Frank. N. Horan

En littérature, les livres qui laissent une trace indélébile se comptent sur les doigts d’une main. »Loving Frank » fait partie de cette catégorie. Publié en 2007, ce roman américain est prodigieusement bien écrit. Nancy Horan nous raconte l’histoire adultérine, réellement vécue, de Mamah Bortwick Cheney et  de son architecte Frank Lloyd Wright, au début du 20ème siècle. Défrayant la chronique de l’époque, les amants avaient alors fait scandale en abandonnant leurs conjoints et enfants respectifs pour vivre leur romance au grand jour. De ce magnifique roman se dégage, tout d’abord, une atmosphère, une ambiance, un climat très particulier. Les descriptions du style architectural et le travail de Frank, toujours en harmonie avec la nature, donnent du cachet à cette histoire passionnelle. Superbement bien construit, ce roman débute du point de vue de Mamah en traitant des droits de la femme aux Etats-Unis et en Europe. La psychologie des personnages est méticuleusement analysée et nous éclaire par rapport aux tourments émotionnels, conflits familiaux et les disputes qui se produisent régulièrement au sein du couple. Frank est un artiste excentrique bourré de talent mais peu fiable et dépensier. Mamah est une femme intelligente, amoureuse, qui justifie ses choix « pour vivre au plus près de sa vérité et donner un sens à son existence. » Elle traduira notamment les oeuvres de la féministe suédoise Ellen Key. Ce qui frappe tout au long de la lecture, c’est l’amour inconditionnel qui guide ces deux êtres malgré les obstacles. Le jugement moral, la culpabilité, la solitude, la pression de la société et de la famille sont également des thèmes centraux, au coeur de ce roman. Le dénouement est aussi inattendu que violent ce qui renforce le caractère exceptionnel de cette histoire. Nancy Horan a écrit ce premier roman en découvrant, à Oak Park, la maison des Cheney battie par Frank Lloyd Wright. Elle dit avoir voulu déterrer une histoire enfouie sous une chape de silence. Fabuleux moment de lecture.

Un soir de décembre. D. de Vigan

Un soir de décembre

Ce roman date de 2005. Il clôture la lecture de tous les livres signés par Delphine de Vigan. Le désir est l’axe principal de cette histoire d’homme qui, à quarante-cinq ans, va se mettre en danger. Marié à la femme de sa vie, père de deux enfants et écrivain à succès, il se retrouve fragilisé par l’écriture de son roman mais aussi par une histoire d’amour qui le rattrape comme une bulle d’air remonte à la surface. Sara va  réapparaître dans la vie de Matthieu Brin, dix ans après leur aventure. Delphine de Vigan décrit instinctivement la vie de cet homme perturbé, bouleversé, transformé. Elle dépeint parfaitement ses failles, ses doutes, ses fantasmes et son désir obsessionnel pour les femmes. L’écriture à vif, Delphine de Vigan nous parle d’amour et de sexe avec lucidité et cynisme. Roman moderne écrit par une femme moderne dans une société actuelle et parisienne. Bon moment de lecture.

Les jolis garçons. D. de Vigan

Le roman (2005)  le plus excentrique de Delphine de Vigan où  la relation amoureuse est décortiquée dans trois scenarios probables. Une femme de vingt six ans, Emma, face à trois hommes: Mark, Ethan, Milan dans l’illusion et le fantasme de la rencontre: « ..toujours vient le moment où il faut prendre conscience de l’immense imposture qu’est la rencontre de l’Autre. ». Style caustique, cynique mais aussi caricatural et drôle. Delphine de Vigan apparaît ici délurée comme jamais. Ce roman, très différent des autres, lui vaut d’être actuellement scénariste d’une comédie sur le sexe. Bon moment de lecture.

Au pays des kangourous. G. Paris

Roman tendre au style puéril. Gilles Paris se glisse dans la peau d’un enfant de neuf ans, gâté par la vie mais à qui l’essentiel manque. Simon, élève à Gerson, assiste impuissant à la dépression de son père Paul en l’absence de sa mère Carole, partie « au pays des kangourous ». Complicité touchante entre le père et le fils: « on fait légume ». Humour et esprit. La vie mouvementée de cette famille nous apparaît à travers le regard poétique et infantile que porte Simon sur le monde. Black eyed Peas en bande son. Les yeux gris de Paul retrouveront ils leur couleur feuille? Quelques personnages bienveillants égayent la vie parisienne de cette petite famille: Lola, Fortuné, les sorcières,Raoul, Carlotta, la mystérieuse Lily, Alice et Marianne… Les rêves de Simon qui ponctuent le roman sont parfois trop longuement racontés. Le style enfantin choisi par Gilles Paris pourrait lasser. Il n’en est rien. Gilles Paris fait certainement ressurgir derrière les mots, le petit garçon qui est en lui. Prix Folire 2012.

Les Heures souterraines. D. de Vigan

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En ce beau mois de mai, j’ai eu la grande chance de rencontrer Delphine de Vigan grâce à « Madame Figaro » . En parlant de son meilleur roman « Rien ne s’oppose à la nuit », elle m’a demandé si j’avais lu « les Heures souterraines » (2009). Face à ma réponse négative, Delphine de Vigan a proposé de me le faire parvenir. J’ai été très touchée par sa sensibilité et encore plus étonnée de recevoir son livre gentiment dédicacé. J’ai donc lu « les Heures souterraines »; lacune comblée. Les deux personnages principaux vivent à Paris, une ville que l’auteure désigne comme « ce territoire infini d’intersections où l’on ne se rencontre pas » . Mathilde est veuve, mère de trois enfants, cadre dans un grand groupe. Progressivement, elle est mise au placard par son supérieur et découvre l’entreprise comme un lieu totalitaire. Malgré elle, Mathilde continue d’emprunter quotidiennement  les couloirs souterrains du RER D, dans les entrailles de cette ville oppressante à l’air vicié. Mathilde va y perdre son énergie, son côté conquérant comme sa carte de World of Warcraft  » le défenseur de l’aube d’argent » . Parallèlement, Thibault est médecin urgentiste dans cette capitale étouffante où il soigne des hommes reclus comme des rats dans des appartements miteux. La solitude, le manque d’amour, la fin de vie, le harcèlement au travail et l’écoulement du temps sont les principaux thèmes de ce roman particulièrement bien écrit. Le style de l’auteur est direct, brutal, incisif. La lectrice ressent, derrière les mots, l’angoisse, la colère et la violence : la ville telle une menace. « Les gens désespérés ne se rencontrent pas« . Excellent moment de lecture.

Michel Berger. Y. Bigot

Quelque chose en nous de Michel Berger par Bigot

Voici une biographie à l’américaine. Yves Bigot maîtrise parfaitement son sujet en tant que journaliste, ex patron de Mercury, directeur des programmes mais surtout comparse de Michel Berger, disparu il y a vingt ans. Au premier chapitre, l’auteur justifie ses choix par son amour pour la musique et sa volonté de ne pas prendre parti, ce qui se révèlera parfois intenable. Yves Bigot retrace chronologiquement la vie du chanteur meurtri par l’abandon. L’auteur fait intervenir les commentaires d’artistes et personnalités qui ont côtoyé Michel Berger, de la période yéyé à la controversée période rock pour aboutir à « Rock symphonique » et « Starmania ». Compositeur, parolier, réalisateur, producteur, chanteur, Michel Berger était un boulimique de travail, un intellectuel racé, exigeant, discret et ambitieux qui souffrait d’un manque de reconnaissance. La période Véronique Sanson est largement exposée et ses comportements erratiques nous laissent deviner la souffrance de Michel Berger. France Gall, sa femme et la mère de ses enfants, lui donnera une stabilité, une complicité durant de longues années même si une certaine Béatrice Grimm se glisse dans les dernières pages de la biographie. Ce que nous pouvons regretter ici, c’est cette impression parfois désagréable de nous trouver dans un dîner mondain où l’on se perd dans des détails futiles, trop intimes. Nous n’avons pas de mal à imaginer la malveillance et les rumeurs du show-biz de l’époque. Les longues listes de chansons parasitent la lecture de la biographie. Admettons cependant que ces détails permettent aussi de nous immerger totalement dans le paysage de Michel Berger. Pour finir, la postface de Bayon est malheureusement illisible pour une lectrice novice. Finalement, il faut bien reconnaître que nous avons tous en nous quelque chose de Michel Berger.

Des cailloux dans le ventre. J. Bauer

Des cailloux dans le ventre

Suite à un article élogieux paru dans le magazine « psychologies » (Mai 12), j’ai lu ce roman étranger qui a reçu le prix du premier roman décerné par les libraires indépendants australiens. La famille, la jalousie, la maladie et la mort, le secret, le pardon et la solitude sont les principaux thèmes développés par l’auteur dans ce roman singulier à deux voix: le narrateur à huit et vingt huit ans. Le ventre est bien le siège des émotions ressenties par ce petit garçon tout au long de son enfance de « seulitaire » effrayé par ses sensations: « les sentiments sont méchants ». Ses parents exercent le difficile métier de famille d’accueil. Robert arrive dans cette famille, un petit garçon différent des autres qui va accaparer l’amour de la mère et exacerber la jalousie du narrateur. La vie de cette famille d’accueil va être fracassée par un drame, bouleversant totalement  la vie des personnages. Vingt ans plus tard, le narrateur revient auprès de sa mère et l’accompagne jusqu’au bout de son incurable maladie. La lectrice découvre un homme immature, violent et impulsif. Rongé par la culpabilité, il va pourtant marcher vers sa rédemption. La signification du titre apparaît comme une des clés de l’intrigue. Style imagé, puéril et brutal. Jon Bauer se met parfaitement à la hauteur de son jeune narrateur. Un roman bien construit et surprenant destiné à celles et ceux qui portent encore le fardeau de leur enfance.

Rompre le charme. A. Sthers

Septième roman pour Amanda Sthers, chiffre porte bonheur. La voici narratrice de son roman familial. L’oncle Benoit se suicide lorsqu’elle a six ans. Le demi-frère de sa mère s’est tué, et par ricochet, la mère d’Amanda est devenue une morte vivante avec le coeur « anesthésié ». L’aînée de la fratrie écrit « pour l’enfant de six ans qui voudrait retrouver sa mère ». Divorce des parents, mensonges et trahisons. « Grandir c’est se taire ».  Benoît vient hanter les rêves d’Amanda qui cherche la délivrance. Amanda Sthers rompt le charme morbide en écrivant ce livre douloureux.  Elle fait, notamment, un voyage au pays de l’enfance de sa mère, Viviane, sur ces terres malgaches pleines de rituels. La narratrice protège son jeune frère Noé, violoncelliste, en excorcisant sa peur. La peur de reproduire le shéma. Sauver Noé en « récurant » la famille. L’écriture comme délivrance; le livre comme un électrochoc. Culpabilité de l’auteure, tout au long du roman: « écrire c’est dégoûtant », c’est « fouiller dans les poubelles du coeur ». Les thèmes du mensonge, du secret, de la transmission familiale et du divorce sont omniprésents. A travers ses mots, l’auteure dresse le portrait, sans équivoque, de notre société moderne. Son style est direct, sans concession. Amanda Sthers est une femme libérée, une mère sincère et sensible, clairvoyante et pleine de compassion pour sa maman. La bande son est le témoin des différentes époques clés de cette famille de « zinzin » qui s’aime, se tait, se déchire, se déteste en silence…La lectrice espère, de tout coeur, que ce ne sera, en aucun cas, le dernier livre d’Amanda. Aina.

Jours sans faim. D. de Vigan

Jours sans faim

Le temps passant et le succès de son dernier livre aidant, Delphine de Vigan republie, aujourd’hui, son tout premier roman. Fini les pseudonymes. Patrick Poivre d’Arvor m’a conseillé la lecture de ce livre dont le thème principal est l’anorexie. Il connaît, malheureusement, bien le sujet. Il est question ici de Laure, dix neuf ans, hospitalisée, à la fin des années quatre-vingt, suite à un trouble alimentaire profond. La jeune femme tombe amoureuse de son médecin (docteur Brunel!), son sauveur, le seul qui la rattache à la vie. Sur la voie de sa guérison, elle évolue au sein de l’unité parmi les patients avec qui elle se lie, parfois, d’amitié. A travers ce livre, et pour celles et ceux qui ont adoré « rien ne s’oppose à la nuit », les prémisses du drame familial se tissent: le divorce des parents de Vigan, la dislocation de la famille, le lien fraternel avec sa soeur, les conflits avec son père, la maladie de sa mère. Le ton est aussi virulent que la colère de Laure. Le style appartient à la juvénilité de l’auteur. La bande son caractéristique et les émissions de Canal Plus ou de Michel Drucker, en toîle de fond, nous évoquent une période révolue. Petit à petit, Laure va reprendre confiance en elle et les rennes de sa vie. Elle gardera, à vie, « une cicatrice indolore ». Roman instructif.

Sagan, un chagrin immobile. P. Louvrier

Sagan un chagrin immobile par Louvrier

Pascal Louvrier retrace la vie de Françoise Sagan en analysant méthodiquement chaque période de sa vie. Françoise Quoirez est la cadette d’une famille bourgeoise française, une petite fille gâtée qui perdra son insouciance face aux images brutales de la seconde guerre mondiale. Vive et intelligente, elle se passionne très tôt pour Proust, Rimbaud, Stendhal et publie son premier roman, « Bonjour tristesse », à dix sept ans (1954). Cette androgyne athée, qui fait volontiers l’école buissonnière, va finalement donner un sens à sa vie en écrivant. La biographie décrit sa métamorphose dès son premier succès en librairie. Elle nous renvoie aussi au côté réactionnaire de Sagan, à ses excès, ses drogues, ses dettes, ses amants et ses accidents de voiture. Pascal Louvrier cherche une signification à son attitude et son perpétuel chagrin. Femme et mère, Sagan va lentement s’assagir. Mais, déçue par les hommes, elle cachera son homosexualité. L’auteur a recueilli des témoignages inédits de personnalités et de son fils, Denis. Au fil des pages, l’auteur fait constamment le parallèle entre l’époque de Sagan et la nôtre puis décortique les thèmes abordés dans l’ensemble de son œuvre. Cette biographie enrichissante fait suite au film de Diane Kurys en 2007: « Sagan ». Les biographies, parues précédemment, sont citées en fin d’ouvrage ainsi que « les essentiels » pour les passionnés de l’illustre écrivaine. La biographie a le grand mérite de nous éclairer un peu plus sur l’évolution fulgurante d’un petit génie de la littérature française. Bon moment de lecture.

La revanche de Blanche. E. De Boysson

Un roman historique comme on l’espère et qui nous remémore celui de Françoise Chandernagor avec « l’allée du roi ». Une époque, le 17ème, et des personnages intriguants qui ont parfois existé comme La Montespan, Mme de la Fayette ou Mme de Maintenon.  L’histoire de Blanche de La Motte qui n’a pas connu son père, le Poète Ronan Le Guillou. Abandonnée par sa mère, Blanche va grandir auprès de sa marraine Ninon de Lenclos. Comédienne dans la troupe de Molière puis chez Racine, la jeune femme sera introduite à la cour de Louis XIV dont elle sera la maîtresse et dont elle aura une fille. L’affaire des poisons et les messes noires sont évoqués dans un climat de monarchie absolue. Archi-documenté, ce roman nous replonge avec interêt dans la France du 17ème et ses moeurs de Cour. La psychologie des personnages est particulièrement passionnante. A la fois cocasse et coquin, ce roman se lit avec délectation.

Le premier matin. H. Montardre

Un super petit roman buccolique. Une randonnée où Lucie va croiser le chemin de Jérôme. Un livre aussi vert que sa couverture qui s’adresse aux enfants de 8 à 13 ans. Une nuit de bivouac rapprochera les enfants perdus dans la nature sauvage, juste avant de faire une rencontre tout à fait étonannte. Suspense et petits frissons. Sélection Prix Gulli du roman 2012.

L’accident. A. Aziza

Certaines personnes pensent qu’il ne faut pas écrire à propos d’évènements que l’on n’a pas vécus. Ce livre nous pose la question: peut- on écrire sur n’importe quel sujet? Agnès Aziza a reçu pas mal de critiques négatives par rapport au sujet de son livre. Pour ma part, je trouve qu’il est bien écrit et que, pour un jeune de 8 à 13 ans, sa lecture permet d’appréhender, d’une certaine manière, les réalités de la vie c’est à dire le décès accidentel d’un ado de 15 ans. Bien sûr, tous les accidents de scooter mortels et leurs conséquences émotionnelles ne se produisent pas de la même manière. Mais ce petit livre a le mérite d’exister pour montrer aux jeunes qu’il n’y a pas que des livres d’aventures ou de contes de fées. Sélection Prix Gulli du roman 2012.

Gabriel & Gabriel. P. Alphen

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Un petit bijou littéraire pour enfants de 9 à 13 ans mais aussi pour les parents curieux. Un petit livre symbolique, poétique, fraternel… l’histoire d’une amitié franco-brézilienne entre deux garçons. Pauline Alphen nous fait découvrir le Brézil, sa culture, sa faune, sa flore par son vocabulaire. Un éloge à la vie, au soleil, à la différence. Sélection Prix Gulli du roman 2012. Adorablement bien écrit.

Les Bertignac. P. Eyghar

Prix Gulli du roman 2012! Un roman adapté aux garçons (et aux garçons manqués) de 8 à 13 ans. Un livre d’aventure où le lecteur apprend des réalités scientifiques de manière ludique. Tarko et sa soeurette se retrouvent dans la jungle, poursuivis par des dinosaures…Suspense, frissons et humour caractérisent ce 1er tome très réussi. Tarko s’adresse directement à son lecteur, ce qui plaît beaucoup et facilite la lecture. Le shamanisme a, ici, une place particulière qui donne la touche magique de ce roman singulier. Les couvertures des Bertignac cachent des indices mystérieux que le jeune lecteur s’empresse de déchiffrer. Epais mais efficace! Petit clin d’oeil à Eygalières en passant… Cliquez sur l’interview exclusive de l’auteur ci-dessus pour en savoir plus!

 

Brigitte Bardot, plein la vue. M.D. Lelièvre

 

Brigitte Bardot - Plein la vue

Marie-Dominique Lelièvre idolâtre l’actrice en retraçant son parcours d’enfant bourgeoise, de femme, d’actrice et de mère à ses heures. Nouvel élément pour la lectrice puisque l’auteur dévoile l’amblyopie de Brigitte Bardot qui ne voit donc que d’un oeil. Ceci explique peut-être cela. Marie-Dominique Lelièvre est tellement passionnée par son sujet qu’elle s’égare parfois au cours des pages à la recherche de la véracité d’un détail, d’une anecdote. La lectrice découvre, à travers cette biographie, une femme égocentrique qui n’a pas de limites dans sa vérité et que l’auteur excuse presque systématiquement. La liste de ses amants est aussi impressionnante que celle de Carla. Son travail, ses films et les tournages, dont le livre fait référence, sont interessants car nous renseignent sur la période des années 50-80 en France. L’auteur va jusqu’à tenter de décrire le « style BB » dans un chapitre surprenant. Elle nous parle aussi de l’autre vie de Brigitte Bardot et de son combat pour les animaux. Il y a quelque chose d’étonnement moderne dans cette biographie singulière. Sélection « Madame Figaro » Grand Prix de l’héroïne 2012.

Diane Arbus. P. Bosworth

Diane Arbus, une biographie

Une autre biographie de la photographe mais qui résonne différemment. L’auteur retrace la vie de cette petite fille juive née en 1923 à New York. Une enfance dorée pour Diane, dans sa famille propriétaire des magasins « Russek ». La jeune fille était déjà différente des autres enfants car vive et intelligente, jolie aussi. L’auteur va s’étendre longuement sur cette enfance en apportant différents éclairages. Elle fait notamment le lien entre son travail caractérisé par les « freaks » (monstres) et son attirance pour l’interdit, le différent et la mythologie. Patricia Bosworth nous donne une clé pour mieux appréhender cette photographe, son oeuvre, sa vie, ses amours et son suicide. A noter aussi qu’à travers cette biographie, la lectrice découvre d’autres artistes faisant partie de l’entourage de Diane Arbus. Quelques détails à propos de sa vie de femme et de mère nous renseignent aussi sur son parcours familial chaotique. Son talent ne sera jamais reconnu de son vivant. « Tout est dans la sensation, pas l’émotion » disait la photographe.  Un autre instantanné de cette grande artiste. Sélection « Madame Figaro » Grand Prix de l’héroïne 2012.

Elizabeth, la reine mère. W. Shawcross

Elizabeth, la reine mère

Travail méticuleux presque scolaire de l’auteur qui retrace la vie centenaire de cette reine sujette aux bronchites. A noter que cette biographie est une commande et qu’un doute subsiste au sujet des véritables origines de la reine. Notons, la richesse des détails, la précision des faits et l’humour anglais dans cette biographie. L’auteur décrit le parcours de cette aristocrate qui traversa deux guerres après une enfance idyllique passée à Glamys. La lectrice assiste aux balbutiements de son histoire d’amour avec Bertie (cf « le discours d’un roi) ainsi qu’aux naissances de ses filles. A travers des lettres et témoignages, l’auteur nous fait découvrir les moeurs de la famille royale toute entière. Elizabeth semblait être la reine idéale, proche du peuple. Elle vivait chaque jour comme si demain « elle pouvait rouler sous un gros bus rouge! » C’était la doyenne d’une vie royale bien agitée, remplie de visites officielles et obligations diverses. Derrière ce témoignage, apparaît une femme, une mère, une grand-mère drôle et digne. Sélection « Madame Figaro » Grand Prix de l’héroïne 2012.

Une femme fuyant l’annonce. D. Grossman

Une femme fuyant l'annonce - David Grossman

Grand Prix de l’Héroïne Madame Figaro, 2012, catégorie Roman Etranger.      Roman aussi ardu que le chemin qu’emprunte Ora, accompagnée d’Avram, son amour de jeunesse. Ora fuit l’annonce de la mort de son fils soldat israelien. Cette mère divorcée, vieillissante, va marcher longtemps, en Galilée, en espérant échapper à la terrible nouvelle. Le trajet qu’ils vont parcourir est à l’image de sa vie, parfois magnifique, serein mais aussi douloureux ou semé d’obstacles. David Grossman mêle intimement ses personnages à la faune et la flore des paysages en faisant ressortir le caractère primaire de leurs instincts voir leur bestialité. Ora se retrouve face contre terre lorsqu’elle se remémore sa vie familiale, ses amours et ses fils. Ce roman épais, parfois brousailleux nous aide à mieux comprendre l’impact de la guerre sur le psyché des israeliens.