Le premier roman de Pierre Demarty nous embarque dans un voyage immobile: à Paris, Jean Nochez décide de quitter sa femme et ses deux enfants pour s’installer dans l’appartement d’en face, à leur insu. A noter que notre anti-héros est un homme particulièrement terne, sans surprise. Après son déménagement, il se contente de voyager entre son appartement, son travail et le café « les indociles heureux ». Et c’est, précisément, dans ce café qu’il rencontre notre narrateur. Avec beaucoup de cynisme, ce dernier nous raconte cette histoire improbable avec un flot considérable de détails. Le style singulier de Pierre Demarty est empreint d’humour, de détours et de références. Certains diront qu’il en fait beaucoup trop. Pour sa part, la lectrice aurait souhaité plus de profondeur au niveau de la psychologie des personnages. Pourquoi Jean Nochez fait-il ce choix? Comment sa femme, Solange, vit-elle cette rupture? Pierre Demarty est un écrivain prolixe qui interpelle la lectrice à tout bout de champ en jouant sur les mots et en ouvrant toutes sortes de parenthèses. Un roman aux notes poétiques qui fait appel à une solide culture générale.
Archives de l’auteur : Sophie Marie Dumont
La bibliothécaire. Gudule
Gudule est une auteure belge à succès. « La bibliothécaire » est un roman illustré particulièrement intéressant pour les élèves de 6ème (1ère secondaire) car il débute par un mystère. L’histoire est celle du jeune Guillaume qui observe, chaque soir par sa fenêtre, une voisine âgée. Guillaume remarque également la présence d’une jeune fille qui sort chaque soir dans la rue. Attiré par sa beauté, il décide de la suivre. La jeune fille le conduit, malgré lui, à la bibliothèque et ils font, enfin, connaissance. Guillaume va, ensuite, l’aider dans sa quête du « grimoire ». Toutes sortes de personnages issus de romans comme « Alice au pays des merveilles » ou « les Misérables » vont surgir au cours de la lecture. Gudule donne, ici, une place considérable au fantastique et rend un bel hommage à la langue française. Bon moment de lecture.
Le poison d’amour. E. E. Schmitt
Voici le dernier roman d’Eric-Emmanuel Schmitt, un auteur prolifique qui vit à Bruxelles. Dramaturge, romancier, cinéaste…il publie, début octobre, le second volet de son diptyque sur la passion. Dans « Le poison d’amour » , Eric-Emmanuel Schmitt nous parle des premiers émois amoureux à travers le journal intime de quatre amies, adolescentes. Mais comment croire en l’amour dans une société où les parents se séparent? Au Lycée, Julia et Raphaëlle préparent la représentation théatrale de « Roméo et Juliette » tandis que Colombe et Anouchka s’inquiètent…L’amour est-il un poison? Dans le fond, Eric-Emmanuel Schmitt se pose les bonnes questions et imagine une fiction crédible, sans ennui. Mais dans la forme, il est évident qu’aucune adolescente d’aujourd’hui ne s’exprime dans le langage de l’auteur; trop châtié. Ce roman tragique a cependant le mérite de nous éclairer sur les problèmes psychologiques et sentimentaux de nos adolescents avec une certaine clairvoyance. Bon moment de lecture.
Oona & Salinger. F. Beigbeder
Frédéric Beigbeder a l’audace de retracer, ici, la jeunesse fictive d’Oona O’Neill et de l’auteur américain Jerry Salinger. L’idée est bonne et, dès le début de la lecture, le pari semble gagné: imaginaire, humour et esprit nous emportent. L’auteur ne manque pas d’interpeller son « ami-lecteur » avec intelligence tout en continuant à mélanger réalité et fiction. Début des années quarante, la lectrice assiste aux soirées du « Stork Club », assise non loin de la table six et de la jet set new yorkaise sirotant des vodkatini. Le regard d’Oona croise celui de Salinger et une idylle commence. Beigbeder réinvente avec brio une époque, des personnages et une histoire d’amour fragile. Mais Salinger va partir pour la guerre et connaître la descente aux enfers tandis qu’Oona rencontre l’homme de sa vie, Charlie Chaplin. Beigbeder invente, alors, les lettres échangées entre le soldat Salinger et Oona, à défaut d’avoir pu consulter la vraie correspondance. Au milieu des obus et des blessés, Salinger écrit régulièrement pour lui faire part de sa situation et de ses regrets . Mais le fossé qui les sépare est à l’image du décalage entre la situation de l’Europe et celle des Etats-Unis pendant la seconde guerre mondiale. A ce moment de la lecture, Beigbeder nous plonge dans l’horreur du conflit et dévoile une autre part de la noirceur humaine poussée à son paroxysme. Un instant, la lectrice angoissée croit relire le roman de Pierre Lemaitre (« Au revoir là- haut »), dernier Goncourt. Finalement, toute cette fiction sert de prétexte à Frédéric Beigbeder pour parler de lui et de son amour pour sa femme Lara. En effet, la différence d’âge dans le couple s’impose comme un des thèmes de ce roman tout comme celui du temps qui passe. Il faut donc se laisser emporter par le roman de Beigbeder, maîtriser l’anglais et faire abstraction de la personnalité d’un auteur qui derrière son allure de pitre cache un véritable écrivain. Bon moment de lecture.
Le chat passe à table. P. Geluck
L’unique fois où j’ai croisé mon compatriote, Philippe Geluck, j’ai cru qu’il avait perdu son chat tant il faisait grise mine. Mais notre chat national repart, bel et bien, pour de nouvelles aventures présentées dans un coffret. La lectrice y trouve deux petits livres et, en bonus, « la gazette du chat » (périodicité aléatoire) avec un horoscope hilarant. Il y a « à boire et à manger » dans ce coffret où le dessinateur se met à table et se joue de notre société. Parfois cruel, tragique, émouvant ou culotté, Philippe Geluck arrive encore à nous faire rire grâce à cette dix-neuvième saga féline. Mention spéciale pour la pagination. Moment de lecture comique.
On ne voyait que le bonheur. G. Delacourt
Je ne m’attendais pas à une histoire aussi dramatique venant de Grégoire Delacourt. Et pourtant, j’ai beaucoup aimé ce roman qui fait partie de la sélection du Prix Goncourt 2014. Grégoire Delacourt se distingue par un style singulier aux réminiscences d’ancien publicitaire: des phrases courtes mais puissantes. Derrière son humour se cachent une tendresse, une fragilité mais aussi de l’amertume. L’auteur semble régler ses propres comptes avec des éléments du passé. Antoine a 38 ans lorsqu’il apprend la maladie de son père. Assureur, expert automobile, il calcule chaque jour la valeur de la vie des autres. Alors, il va se mettre à chercher la valeur de sa propre vie. Il fait défiler ses souvenirs et raconte le bonheur, les joies mais aussi les mensonges, les trahisons…Ce roman poignant réserve une surprise de taille à la lectrice. Il traite principalement de la famille mais aussi de notre difficulté à exprimer nos sentiments. Grégoire Delacourt nous plonge dans une descente aux enfers particulièrement émouvante et pourtant crédible. La rédemption est le thème central de cette fiction efficace qui nous entraîne jusqu’au Mexique. Excellent moment de lecture.
L’amour et les forêts. E. Reinhardt
Ceci n’est pas un roman narcissique et son auteur n’est certainement pas un écrivain Meetic comme j’ai pu le lire dans « Le Figaro Littéraire » dernièrement. Au contraire, ce roman très actuel et bouleversant nous parle de la vie d’une femme, une mère de famille, dans la France d’aujourd’hui. L’héroïne d’Eric Reinhardt, Bénédicte Ombredanne, est malheureusement mariée,depuis treize ans, à un pervers narcissique. Professeur de français à Metz, Bénédicte mène une vie morose et triste. Finalement, ce personnage pourrait être une amie, une soeur, une voisine…l’histoire poignante d’une femme qui se trompe de chemin et qui cherche à s’échapper par une trappe donnant sur un monde merveilleux. Le style métaphorique d’Eric Reinhardt, son humour et sa poésie plaisent à la lectrice même si certains passages sont parfois trop salaces ou alambiqués. Grâce au rythme, il n’y a aucune trace de lassitude dans ce roman où l’auteur se met en scène avec son héroïne. Pour notre plaisir de lectrice, Eric Reinhardt fait l’éloge de la littérature à travers les textes de Villiers de l’Isle-Adam. Son travail d’écriture et ses doutes d’écrivain donnent une profondeur à la fiction. Enfin, les traits psychologiques de certains personnages témoignent de la perspicacité d’un auteur ancré dans la réalité. Excellent moment de lecture.
Le château des étoiles. A. Alice
Cet album s’adresse aux jeunes de plus de treize ans et aux grands rêveurs car certaines planches sont particulièrement techniques. Alex Alice est un auteur doué qui nous conte une histoire fantastique, superbement illustrée. En 1868, à la frontière de l’espace, une scientifique disparaît à bord de sa montgolfière. Un an plus tard, son carnet de bord est mystérieusement retrouvé. Le fils, de la scientifique disparue, et son père vont suivre une piste jusque dans les contreforts des Alpes. Inspiré par Jules Verne, Alex Alice nous propulse dans une incroyable conquête de l’espace. Bon moment de lecture.
Dans l’ombre de la lumière. C. Pujade-Renaud
La première qualité de ce roman est d’être incroyablement lumineux car il dresse le portrait d’une femme sensible et amoureuse. Claude-Pujade-Renaud nous entraîne dans l’Antiquité entre Carthage et l’Italie. Comme toujours, les hommes s’affrontent: manichéens, païens, juifs et chrétiens se battent aux quatre coins de l’Empire romain. Inspirée par les textes de St Augustin, l’auteure puise dans l’audace de ses « confessions » pour romancer la vie d’une femme dont il ne reste aucune trace: la concubine de St Augustin, Elissa, la mère de son fils qu’il finira par répudier. Brisée, elle s’installe chez sa soeur Faonia et son mari potier à Carthage. Malgré le chagrin, Elissa continue de suivre, dans l’ombre, le parcours de St Augustin devenu évêque d’Hippo Regius. A travers la parole de son héroïne, Claude Pujade-Renaud écrit un texte admirable, empreint de poésie et de sensualité. Les souvenirs des temps heureux, auprès de son homme et de son fils adoré, affluent: « Tu aimais la courbe de ma nuque, le parfum de mes cheveux. Ma passion des fleurs, des couleurs, la robe violette achetée à Rome, mes courgettes grillées sur la braise…Tu aimais m’entendre chantonner en me coiffant, rire et babiller avec notre fils. Tu aimais lorsque j offrais mon visage à la pluie de septembre. Tu m’aimais. » De toute beauté, ce roman nostalgique nous parle d’Amour mais aussi de grâce et de péché. Claude-Pujade-Renaud ressuscite une femme, une époque, pour nous transporter au-delà des siècles. Prix du Roman Historique.
Souvenir de l’amour, Chrysis. J. Fergus
La découverte du tableau « orgie », peint par l’artiste Gabrielle Jungbluth, marque le point de départ de ce roman sensuel publié en Pocket. Jim Fergus déroule son imaginaire comme une toile de maître sur laquelle il compose, mélange ses couleurs et construit sa ligne: un cow boy et son cheval traversent les Etats-Unis afin de rejoindre la légion étrangère en France, lors de la première guerre mondiale. Au même moment, Gabrielle Jungbluth intègre l’atelier Humbert à Paris. L’artiste cherche l’inspiration dans « le village » de Montparnasse et choisit le surnom de Chrysis. L’improbable rencontre entre le cow boy et Chrysis cristallise une belle et fragile histoire d’amour. Cette vie romancée replonge la lectrice, avec allégresse, dans le Paris des années folles. Le talent de Jim Fergus repose sur la composition de ce roman fascinant. Le mélange des couleurs est sublime; la profondeur vertigineuse. Une certaine tension érotique dans le mouvement vient parfaire cette toile au caractère singulier.
De là, on voit la mer. P. Besson
Inspiré du film de Claude Sautet, « les choses de la vie » , ce petit roman de Philippe Besson traite du couple. L’histoire se déroule en Toscane, à Livourne, dans un villa d’où on voit la mer. Comme à son habitude, l’auteur utilise les mêmes lignes de force: l’amour, l’infidélité, la trahison, l’ennui…Son héroïne est Louise, une romancière française d’une quarantaine d’années; une femme forte et égoïste, mariée depuis dix ans à François. Elle part dans la villa de Livourne, pour écrire son roman, pendant que François reste à Paris. En Italie, Louise rencontre Luca, un jeune italien qui va réveiller son désir et devenir son amant. Mais, comme dans le film de Claude Sautet, François est victime d’un grave accident de voiture et Louise va devoir rentrer à Paris pour se retrouver face à un choix. Philippe Besson nous parle, ici, d’hésitations sentimentales et de l’usure du temps. Il dresse le portrait d’une femme puissante, libre, qui se retrouve affaiblie par ses sentiments. Ce roman très actuel et très bien écrit, décrypte le fonctionnement du couple. Bon moment de lecture.
Murmurer à l’oreille des femmes. D. Kennedy
Même si le titre de ce roman paraît un peu « cavalier », il faut reconnaître que l’idée de publier des nouvelles à propos d’histoires d’amour, est attrayante. Ce roman est accessible car il se lit rapidement et facilement mais surtout parce qu’il est évident, pour la lectrice, de s’identifier à une de ces douze nouvelles. Douglas Kennedy démontre, ici, à quel point la part d’ombre de chacun, le quotidien, les névroses et les obsessions pèsent sur le couple. Petit bémol: rien de très réjouissant, très peu d’espoir donné à la lectrice à propos d’amour. Cependant, Douglas Kennedy a le mérite de se poser de bonnes questions en construisant ce puzzle sentimental.
La Déesse des petites victoires. Y. Grannec
Yannick Grannec nous raconte la vie du couple Kurt et Adèle Gödel ou l’histoire de deux mondes. En effet, Kurt Gödel fut l’un des plus grands mathématiciens du siècle dernier alors que sa femme, ancienne danseuse de bar, sacrifia sa vie pour être l’épouse du génie. Le mérite du roman est de nous renseigner sur la vie de cet homme hors du commun, invivable au quotidien, mais surtout de nous replonger dans l’Europe et l’Amérique des années vingt aux années quatre-vingt. A travers le regard d’une jeune documentaliste, chargée de récupérer les archives de Kurt Gödel, Yannick Grannec retrace le parcours de ce couple improbable. Le roman n’est pas vraiment captivant mais si vous aimez les théorèmes, principes, hypothèses ou probabilités vous découvrirez le travail de Gödel mais aussi celui d’Einstein, Morgenstern, Turing et autres scientifiques de l’époque. A mes yeux, c’est la rencontre entre Anna Roth (la documentaliste) et Adèle (la femme de Gödel), deux femmes en miroir, qui suscite l’intérêt de la lectrice car elles se trouvent, à un moment de leur vie, confrontées au même choix amoureux. Le titre rend hommage à Adèle et à ses petites victoires remportées sur la vie. Prix des Libraires.
Le bonheur conjugal. T. B. Jelloun
Il était temps, pour moi, de lire ce roman, à succès, en version poche. Tahar Ben Jelloun nous parle, ici, du couple mais, en aucun cas, de bonheur. En effet, le thème principal de ce roman oriental est bien l’enfer conjugal où se retrouvent enfermés deux individus qui pensaient s’aimer pour la vie. A Casablanca, un grand artiste peintre se remémore sa rencontre, en 1986, avec celle qui deviendra sa femme, la mère de ses enfants. Cloué au lit après un accident vasculaire cérébral, l’artiste donne sa version des faits, persuadé que son mariage est à l’origine de sa déchéance. Le style métaphorique et le caractère Bergmanien de la fiction donnent un ton singulier à la lecture. La première partie: « l’homme qui aimait trop les femmes » est particulièrement aboutie. La seconde partie: « ma version des faits » se présente comme un droit de réponse de la femme. Cette idée originale plaît énormément mais c’est surtout la façon dont Tahar Ben Jelloun raconte qui passionne la lectrice. L’aveuglement de l’amour, l’infidélité, le mensonge, le secret, la frustration, l’origine sociale, la différence culturelle…font partie des nombreux thèmes traités avec intelligence. La lectrice découvre, à travers les chapitres, une très large palette d’émotions avec laquelle l’auteur jongle aisément. Peut être faut il être passé par l’étape du mariage pour apprécier ce roman moral qui questionne. Il en est de même pour l’auteur qui maîtrise, ici, parfaitement son sujet. Excellent moment de lecture.
Le roman de Louise. H. Gougaud
Ce livre est à la fois un roman et une biographie car il retrace chronologiquement la vie d’une figure emblématique de la Commune, Louise Michel, depuis sa naissance en 1830 jusqu’à sa mort en 1905. Dès les premières pages, l’auteur rend un vibrant hommage à « la vierge rouge », cette militante anarchiste, féministe indomptable. La plume pleine de verve, Henri Gougaud nous emmène sur les barricades de Paris au milieu des bannières et des airs de clairons. Petit bémol: la lectrice se perd parfois dans les cortèges des rues embrumées de poussière. Très tôt, Louise Michel joue à cache-cache avec la mort; elle rêve de tuer Napoléon et sera finalement emprisonnée en Nouvelle-Calédonie où elle enseignera le français aux Canaques. Derrière cet hommage, Henri Gougaud tente de nous présenter son héroïne au plus près de la réalité. Cette femme de conviction, assoiffée de justice sociale, toujours au service des autres, est aussi une femme complexe, sèche et intransigeante. Proche de Victor Hugo, lectrice de Baudelaire et amoureuse de Téophile Ferré, Louise Michel sera, tout au long de sa vie, une femme engagée qui luttera contre la misère du peuple. Grâce à Henri Gougaud, nous redécouvrons un personnage révolutionnaire hors du commun, une femme au destin romanesque. Bonus: les repères historiques, à la fin du livre. Grand Prix de l’Héroïne, Madame Figaro, 2014.
Les enfants de Titaniah. S. Fribourg
J’ai fait la connaissance de Sugeeta lors d’un atelier d’écriture. Ce livre est à l’image de son auteure, loufoque et poétique, et s’adresse aux très bons lecteurs adolescents. Sur la planète Titaniah, un incendie ravage l’île du Vieux Chêne. Sylvio, un héros de 12 ans, a la particularité de communiquer avec les animaux et la nature. Débute, alors, une aventure pleine de rebondissements mais aussi de magie, de rêve, de poésie et d’humour. Les nombreux personnages sont singuliers et nous font passer du rire aux larmes, sans lassitude. La plume pleine de virtuosité, Sugeeta nous raconte une histoire très actuelle sur fond de sauvegarde écologique. Bon moment de lecture.
Y. M. Celona
Voici un roman canadien dont le titre « Y » se lit « why? ». Et, il s’agit bien d’un roman en forme de quête et de questionnement. A l’aube de son premier jour, Shannon est abandonnée par sa mère devant les portes d’un YMCA, une association de chrétiens à Vancouver. Depuis sa voiture, un homme est témoin de la scène. Il se prénomme Vaughn et servira de personnage-clé à la fin du roman. Ce qui plaît à la lectrice, c’est d’abord le climat original et l’écriture méthodique de Marjorie Celona. Elle décrit, avec beaucoup de détails, une société moderne et malade, pleine de marques, de commerces et de malbouffe où le temps s’écoule lentement; une ambiance très particulière, glauque et ordinaire mais d’un réalisme saisissant. Les personnages sont, en grande partie, des inadaptés sociaux, des désoeuvrés ou des gueules cassées qui, grâce à leurs imperfections, sont souvent attachants. Shannon est notre narratrice, notre héroïne, et nous la suivons de sa naissance au jour de ses dix-sept ans. Alors que pour la plupart des gens, la vie est faite de nombreuses possibilités, la vie de Shannon est faite de nombreuses impossibilités. Certains ont de la chance dans la vie, d’autres pas; c’est ce que l’auteure souligne tout au long du roman. L’intrigue est judicieusement bien construite car elle retrace la vie de cette jeune fille parallèlement à celle de sa mère Yula. L’héritage maternel, le déterminisme social et la famille dysfonctionnelle sont les grands thèmes traités par Marjorie Celona. De familles d’accueil en famille d’accueil, Shannon va subir la maltraitance, l’abus et, une nouvelle fois, l’abandon. Ce qui frappe, c’est le désordre qui règne dans la vie de Shannon et dans ce roman insolite. Entres les chats, le chien Winkie et les frites du McDo, Shannon se trouve moche: « un Schtroumpf avec un oeil qui foire ». Cette gamine émouvante, pour laquelle nous ressentons beaucoup d’empathie, traîne son mal être et cherche ses origines jusqu’au jour où…un roman borderline, coup de coeur! Grand Prix de l’Héroïne « Madame Figaro », 2014.
La petite communiste qui ne souriait jamais. L. Lafon
Voici un roman singulier qui retrace librement le parcours d’une petite fée roumaine: Nadia Comaneci. Cette petite gymnaste, qui ne souriait jamais, est le produit du système communiste de Ceausescu. A cette époque, la Roumanie est une prison et son peuple crève de faim. Les rationnements, les dénonciations, la surveillance et la peur de la Securitate favorisent pourtant la solidarité et les rassemblements. Après un énorme travail de documentation, l’auteure se lance dans un dialogue imaginaire avec Nadia Comaneci. En quête de vérité, Lola Lafon cherche à saisir l’icône évanescente sans jamais y parvenir. Son écriture acérée épouse la forme du sujet: le corps maîtrisé et le mouvement. Tout au long du roman, la lectrice oscille entre la dichotomie des clichés Est/Ouest. Le talent de Lola Lafon est de nous montrer, ici, toutes les facettes et contradictions de ce bras de fer à travers des images contrastées. L’image de Nadia Comaneci, enfant adulée dans une aura de magnésie, se froisse au fil des pages. La jolie petite fille asexuée ne devait pas grandir; Lola Lafon tente également de comprendre la violence des propos des commentateurs sportifs de l’époque. Finalement, c’est le parallèle entre le parcours de Nadia Comaneci et la révolution roumaine qui passionne. Ce roman est rouge comme le sang des femmes surveillées par la police des menstruations; rouge comme la honte de Nadia dans sa lutte hormonale; rouge comme la lumière des églises illuminant les icônes; rouge comme son rouge à lèvres des soirées d’excès…Bon moment de lecture. Grand Prix de l’Héroïne Madame Figaro, 2014. Prix de la Closerie des lilas, 2014. Prix Littéraire d’Arcachon, 2014. Prix des lecteurs de Levallois, 2014. Prix Ouest-France Etonnants Voyageurs, 2014.
Confiteor. J. Cabré
J’attendais beaucoup de ce livre épais (sept cent pages) qui m’est finalement tombé des mains. Confiteor! Ce roman confession ne s’adresse certainement pas à tout le monde car Jaume Cabré écrit, ici, des morceaux de mémoire sans cohérence évidente et il faut être une très bonne lectrice pour suivre le narrateur au fil des pages. L’auteur nous tutoie, vouvoie, passe du « je » au « il » et nous entraîne dans des récits, des époques (Inquisition, Franquisme, Shoah…) trop variés. La liste des personnages est, elle aussi, bien trop longue. La lectrice se retrouve plongée dans une sorte de chaos épuisant tant l’amplitude du roman est grande. Pourtant, la vie intime d’Adria Ardevol, et de ses parents antiquaires, captive au cours des premiers chapitres. Nous suivons l’histoire, brouillée, de cette famille espagnole depuis les années cinquante jusqu’à nos jours avec un certain enthousiasme et une bonne dose de suspense. Adria est un personnage surdoué et attachant comme son ami Bernat. Sa foi en l’Art est un thème qui passionne comme remède face au mal. L’histoire de son violon Storioni est réellement attrayante et sert de fil rouge à la lectrice, avant de le perdre. D’ autres thèmes sont abordés comme ceux de la culpabilité, du mensonge, du secret, du mal, de l’enfance, de l’amour…dans ce roman démesuré.
Le bonheur s’apprend, la santé aussi. Dr. G. Leborgne
Un petit livre, plein de bon sens, à propos de la médecine et les remèdes naturels. Comment se soigner? Comment prévenir la maladie? En partant du témoignage du peuple Hounza, qui ignore la maladie, l’auteur nous parle de bonheur et de santé et nous transmet sa longue expérience de médecin. Illustrée par de nombreuses anecdotes de patients, sa démarche consiste à nous aider à participer à notre santé en nous sensibilisant aux différentes approches médicales. Un livre ponctué de « récréations » et de dessins qui a été écrit avec une bonne dose d’humour. Beaucoup de répétitions utiles qui ne lassent jamais la lectrice. Un manuel de médecine naturelle à garder dans son armoire à pharmacie.
Le dragon du Trocadéro. C. Izner
Sous le pseudonyme de Claude Izner, se cachent deux sœurs qui publient, ici, leur douzième roman policier. La lectrice retrouve Victor Legris pour une nouvelle enquête dont la toile de fond est l’Exposition Universelle de 1900, à Paris. Un homme est abattu d’une flèche en plein cœur, juste après avoir reçu une mystérieuse lettre. Un peu plus tard, plusieurs clients d’un hôtel parisien meurent dans des circonstances étranges. Entre alors en scène : Victor Legris…Ce roman est, avant tout, une reconstitution historique passionnante ; son atout majeur. Petit bémol, la lectrice se perd parfois dans une nuée de détails. Cependant, le suspense est particulièrement bien amené et nous conduit au bout d’une enquête rocambolesque dont le rythme est soutenu. Grâce à l’énorme travail de recherche, le duo Claude Izner reconstitue une atmosphère particulière qui nous plonge dans la Belle Epoque, du côté du Trocadéro. Bon moment de lecture.
Le fil des souvenirs. V. Hislop
Après le succès mérité de son premier roman « l’île des oubliés » , Victoria Hislop publie, ici, une fresque historique qui retrace l’histoire de Thessalonique et de la Grèce de 1917 à nos jours. Ce livre de 545 pages ne se lit pas d’une traite. Comme sur celui de la couverture, la lectrice embarque à bord d’un paquebot pour une longue traversée historique. L’énorme travail de recherche représente le grand mérite de ce livre. Nous découvrons l’histoire méconnue de Thessalonique, ville qui fut déchirée, au fil du temps, par un immense incendie, la guerre, la haine des autres, l’exil, le séisme…Les destins des personnages comme Olga, Léonidas, Katerina, Dimitri, Kyria, Kyrios… se croisent et se lient dans cette saga à rebondissements. La lectrice a rencontré une certaine difficulté à entrer dans le roman qui débute par un incendie interminable. Certains passages captivent; d’autres ressemblent à un documentaire. Cependant, il s’agit d’un bon roman car il nous projette dans un univers très visuel qui défile tel un film. Pourtant, malgré son style romanesque, il manque de profondeur et inflige trop d’actions et de faits à la lectrice. Beaucoup de thèmes sont soulevés comme celui de la transmission, du secret, de la fraternité,de l’amour, du travail…Tous les détails qui nous renseignent à propos des moeurs et traditions, recettes culinaires et vocabulaire sont évidemment très intéressants. La qualité principale de ce roman est de nous renseigner pas de divertir. Une histoire aussi complexe que les points de broderie des « modistras ». Long moment de lecture.
Rosa Candida. A. A. Olafsdottir
Après la parution des romans, « l’exception » et « l’embellie », il fallait absolument lire le premier roman d’Audur Ava Olafsdottir devenu, entretemps, un bestseller. Après lecture, je le trouve différent des deux autres romans car mieux écrit, plus abouti. En effet, ce livre est un trésor et offre aux lecteurs une palette d’émotions très variées. Arnljotur est un rouquin islandais de 22 ans, passionné d’horticulture, à la recherche de lui-même. Après la mort accidentelle de sa mère et le placement de son frère jumeau en institut, il se retrouve seul face à son père. Alors, ce jeune héros va se déraciner, comme ses boutures de rosiers, pour se reconstruire dans le jardin d’un monastère loin de l’Islande. Père d’un enfant non désiré, il suit son étoile, son lien à sa mère, sa rose pourpre à huit pétales: la rosa candida. Frère Thomas, un moine cinéphile, lui servira de guide spirituel lorsque l’imprévu surgit. La lectrice suit instinctivement cette histoire aux allures de conte moderne. Tout est plausible dans ce roman où il est question d’amour filial, de sentiments amoureux, de religion, de sexe, d’accident, de choix de vie… Le fait de ne pas nommer le pays où le narrateur part s’installer est, pour la lectrice, le seul bémol car ce manque de repères déroute. Le roman est, cependant, très réussi car il traite de thèmes actuels avec douceur et intelligence. Comme dans ses autres romans, l’auteure nous incite à nous poser les bonnes questions. Les notes poétiques et métaphoriques ajoutent une touche lumineuse à cette fiction initiatique. Excellent moment de lecture.
Wiggins et le perroquet muet. B. Nicodème
Le ministère de l’Education nationale (France) a sélectionné ce petit roman policier pour nos enfants de 10 à 12 ans. Ceux ci apprécient l’intrigue de ce livre doté d’un lexique de vocabulaire et d’une carte géographique pour faciliter la compréhension. A Londres, en 1889, un jeune garçon pauvre offre ses services de détective à Sherlock Holmes car une jeune femme a été étranglée, deux jours après avoir reçu un joli perroquet empaillé. L’enquête commence. La manière dont l’auteure écrit ce livre social et réaliste, en se mettant à la hauteur des jeunes lecteurs, est remarquable. Une excellente invitation à découvrir un roman policier en édition jeunesse.
Le silence de ma mère. A. Silber
Premier roman d’Antoine Silber. Un roman, et non un récit, pour raconter son histoire personnelle au plus près de la vérité. En toile de fond, nous nous replongeons dans la France des années cinquante. Les parents d’Antoine Silber se rencontrent juste avant la seconde guerre mondiale mais les circonstances ne sont pas favorables. En effet, son père est juif et le mariage se fait contre l’avis des deux familles. Quatre enfants vont naître de cette union. L’auteur grandit dans une maison près de Paris, à l’ombre de la figure maternelle: une femme singulière qui voulait être peintre. Le désir d’un garçon pour sa mère est le thème de ce joli roman. Antoine Silber tente de reconstituer le puzzle de son histoire; la lectrice assiste aux émouvantes séances de sa psychanalyse. Par cette démarche, il cherche à comprendre son propre rapport aux femmes et esquisse le portrait de cette mère rebelle. Un roman sur le silence et le malentendu. Bon moment de lecture.
L’Exception. A. Ava Olafsdottir
Très belle édition pour cette fiction particulière. Un roman d’Audur Ava Olafsdottir c’est, d’abord, une atmosphère lunaire (cf « l’embellie »). En effet, les volcans et les rivières de glace qui inondent les sables d’Islande et les champs de lave donnent une couleur singulière à cette histoire. L’héroïne et narratrice est une jeune trentenaire, maman de jumeaux de trois ans. Maria est mariée depuis onze ans à Floki qui, le jour du nouvel an, fait son coming out. Il lui annonce qu’il part vivre chez son amant et collègue de travail. Après la stupeur, Maria commence à se repasser les épisodes de leur vie commune afin de comprendre. Au même moment, elle rencontre son père biologique pour la première fois. Perla, sa voisine naine et romancière, la soutient dans cette épreuve pendant qu’un autre voisin l’observe amoureusement. Dans la lueur pâle de l’hiver boréal, nous suivons l’histoire de cette mère de famille désemparée. L’auteure nous livre ses secrets d’écriture grâce au personnage de Perla et dévoile une part de son travail. Elle embarque totalement la lectrice dans son ciel nocturne de midi et décortique minutieusement les relations amoureuses compliquées. Ce qui frappe la lectrice, avant tout, c’est le calme de l’héroïne qui l’emporte sur la rancune et la haine. Un roman social écrit avec grâce et bienveillance. Excellent moment de lecture.
Les derniers Géants. F. Place
Ce livre d’aventure a été écrit par François Place et récompensé par plusieurs prix littéraires. Beaucoup de très belles illustrations dans cet album qui s’adresse aux lecteurs de 11 à 12 ans. L’esprit du livre s’inspire de l’univers de Jules Verne puisqu’il s’agit de l’histoire d’un explorateur du dix neuvième siècle. Tout commence par une promenade sur les docks de Londres et l’achat d’une dent de géant à un vieux matelot…Archibald partira, ensuite, en expédition à la recherche du peuple des géants. Ce narrateur curieux et touchant raconte magnifiquement bien son extraordinaire voyage. Un conte sur la découverte, la différence, la beauté, l’amitié mais aussi la cruauté de l’homme et la trahison.
Marie Curie. X-L.Petit
Cette biographie de Marie Curie permet aux élèves de CM2 (6ème primaire) de découvrir une grande scientifique. Xavier-Laurent Petit nous raconte sa vie de manière chronologique et sans ennui. Il découpe en chapitres l’histoire de celle qui a découvert l’énergie nucléaire, depuis son arrivée en France en 1891 jusqu’à son admission au Panthéon (1995). Un livre à glisser entre les mains de nos enfants et à lire ensemble pour une bonne compréhension. Moment de lecture pédagogique.
La petite marchande de souvenirs. F. Lelord
Suite à la parution de ce roman en édition poche, j’ai décidé de rattraper le temps perdu. François Lelord nous raconte, ici, une très jolie histoire qui se déroule au Vietnam. Vers 1995, à Hanoi, un jeune médecin, nommé Julien, travaille pour l’Ambassade de France. En rapport avec des vietnamiens, des expatriés et des diplomates, il souhaite perfectionner la langue et suit des cours de vietnamien avec la charmante Mademoiselle Fleur. Parallèlement, il entretient une relation avec une femme médecin britannique, Cléa. Un jour, au bord du lac, il rencontre une jolie marchande de souvenirs qui porte le doux prénom de Minh Thu, « lumière d’automne » en français. Julien est partagé par ses sentiments, son désir et sa propre censure. En toile de fond, nous découvrons un pays qui commence à s’ouvrir au monde avec ses moeurs et ses pratiques; un peuple marqué par l’histoire et la guerre. Peu avant Noël, une épidémie se déclare. Nous suivons, alors, avec angoisse les ravages de ce mystérieux virus à travers le Vietnam. Quelques références littéraires viennent illustrer cette belle fiction: « le chagrin de la guerre » de Bao Ninh, la traduction de « sans famille » en vietnamien ou le livre de Kim Vân Kiêu. La question de l’influence du christianisme est soulevée. L’auteur ne souhaite pas refaire l’histoire mais questionne intelligemment par le biais de ses personnages. L’amour entre deux personnes que tout sépare est le thème central de cette invitation au voyage particulièrement poétique. Bon moment de lecture.
Belges&Buts. A. Du Bus et M. Vellut
Voici un pur produit belge: les petites histoires des diables rouges, l’équipe nationale de football. Impossible de ne pas lire ce petit livre sans sourire et se remémorer Enzo Scifo, Jean-Marie Pfaff, Preud’Homme, Goethals etc… Anecdotes, scandales, citations hilarantes, résultats de match et quizz ponctuent ce livre bourré d’autodérision. D’un coup, la voix d’Arsène Vaillant surgit derrière les mots et les souvenirs d’enfance affluent… Matthieu Vellut (et son compère) démontre, ici, son implacable humour de supporter. Bon moment de lecture!