Ce roman ne fait pas partie de la rentrée littéraire 2015 puisqu’il a été publié en 1931. Marie Gevers est une auteure belge dont le style romanesque est comparable à celui de Daphné du Maurier. « La comtesse des digues » est un roman d’un autre temps, à la fois réaliste et naïf, mais il est, avant tout, un hymne à l’amour, à l’Escaut et à la nature. Comme dans un tableau illustrant la vie des fermiers à la fin du XIXème siècle, Marie Gevers nous plonge, avec talent, dans une époque révolue: celle d’anciens métiers, de vieux estaminets et des rives boueuses de l’Escaut. L’auteure avait la particularité de s’exprimer parfaitement en français tout en vivant en Flandre. Son personnage principal, Suzanne, est, ici, une jeune bourgeoise flamande qui s’exprime en français. Le père de Suzanne meurt alors qu’il était « comte des digues » (Dyckgraef) dans la région du Weert, au bord de l’Escaut. Suzanne rêve alors de reprendre sa place pour gérer les rives du Fleuve. Passionnée par la terre, les éléments, les paysages mais surtout par l’eau, la jeune femme passe ses journées à gérer les digues, les foins et les oseraies. Tiraillée entre deux hommes, elle hésite à se marier. D’un côté le beau Triphon l’attire par sa robustesse et son animalité car il révèle la violence de son désir de femme tout en étant l’incarnation du fleuve. Mais il y a un obstacle: le géant fauve n’appartient pas à sa catégorie sociale. D’un autre côté, Max Larix n’est pas un bel homme mais il est propriétaire, fils de vannier, et partage beaucoup d’intérêts avec Suzanne dont l’amour de la nature. Le cycle des saisons rythme harmonieusement cette fiction poétique particulièrement lumineuse. La lectrice se délecte des magnifiques descriptions de paysages, d’un mode de vie et d’un folklore aujourd’hui disparus. Enfin, quelques mots flamands, aux intonations familières, viennent raviver des souvenirs d’enfance liés à ce plat pays… qui est le mien. Excellent moment de lecture.
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Les gens dans l’enveloppe. I. Monnin
Quel projet enthousiasmant! Juin 2012: Isabelle Monnin achète par hasard (même si il n’y a pas de hasard) un lot de photos d’une famille française inconnue. Le portrait d’une petite fille surplombe le tas de polaroids et photographies mal cadrées. Mais qui sont ces gens? Pourquoi n’y a t-il jamais de mère sur ces photos? Isabelle Monnin décide, alors, d’écrire un roman imaginaire à partir d’indices photographiques et se promet de faire, ensuite, son enquête pour retrouver les membres de cette famille. La fiction, composée dans un style aux accents argotiques, nous emmène jusqu’en Argentine. Sous la plume de l’auteure, chaque personnage trouve sa place: Laurence, Serge, Michelle, Mamie Poulet, Raymond…A l’évidence, Isabelle Monnin cherche ses propres racines. Originaire de la même région, du même milieu social et née dans les années 70, comme la petite fille sur la photo, l’auteure réalise un projet généalogique qui lui tient, singulièrement, à coeur. Grâce au clocher de l’église, la famille est vite retrouvée du côté de Clerval dans le Doubs. Mais est il possible de connaître la vérité de chaque membre de cette famille? Les thèmes de la mémoire, du manque, de la souffrance, de l’abandon, de l’enfance et du temps qui passe résonnent dans cette recherche émouvante. Pour la lectrice, le projet artistique est harmonieux. Il passionne et captive même si, en définitive, les résultats de l’enquête déçoivent: une famille ordinaire à l’histoire incroyablement banale. Mais finalement, c’est ce constat qui est intéressant: prendre des gens au hasard et trouver en eux une universalité. Cerise sur le gâteau: le livre s’accompagne d’un CD de chansons écrites par Alex Beaupain et chantées par des membres de la famille anonyme. D’autres titres sont interprétés, avec talent, par Camelia Jordana, Clotilde Hesme et Françoise Fabian. Pour notre grand plaisir, Isabelle Monnin et Alex Beaupain proposent un projet artistique original qui entremêle fiction et réalité. « Ecoutez; ma vie, c’est la vôtre. » George Sand.
Ostende 1936. V. Weidermann
Ostende m’évoque tellement de souvenirs qu’il m’était impossible de passer à côté de ce roman: la plage, les cabines de bain en bois, la digue, les brise-lames, les pêcheurs de crevettes à cheval et leurs cirés jaunes, les thermes, le casino etc…Ma grand-mère me racontait souvent les escapades de son père en compagnie de James Ensor et Léopold III à Ostende. Dans ce roman, Volker Weidermann nous évoque également James Ensor et la boutique de souvenirs de sa famille à quelques rues de la mer du Nord. Au milieu des années trente, beaucoup de personnages illustres, notamment des artistes, séjournaient à Ostende dite « la reine des plages » : Emile Verhaeren, Hermann Kesten, Arthur Koestler, Irmgard Keun, Romain Rolland etc… Deux amis, écrivains juifs autrichiens en exil, vont se retrouver sur la côte belge dans la chaleur de l’été 1936: Stefan Zweig et Joseph Roth. Dans cet univers de villégiature, la relation d’amitié, qui lie ces deux hommes, passionne la lectrice. Avec intérêt, nous suivons leurs conversations, leur correspondance et leurs considérations à propos de l’écriture, de la boisson ou de l’amour. Chacun donne sa vision du monde et évoque ses craintes dans ce terrible climat d’avant-guerre. Mais en voulant publier un « roman vrai » , Volker Weidermann s’attache parfois à des détails anodins qui viennent parasiter la lecture. L’intérêt du roman est de retrouver l’atmosphère intellectuelle des années trente et de deviner la splendeur d’Ostende, avant les bombardements de la seconde guerre mondiale.
Mirage. D. Kennedy
Douglas Kennedy a, bel et bien, retrouvé son inspiration. « Mirage » ne ressemble pas à ses meilleurs romans: « L’homme qui voulait vivre sa vie » ou « La femme du Vème » ; « Mirage » est assurément différent. Douglas Kennedy se focalise, ici, sur la psychologie de ses personnages tout en analysant le couple: Robyn est une femme américaine très rationnelle qui a épousé Paul, un artiste instable et plus âgé. L’envie d’un enfant se fait ressentir; le couple part en vacances au Maroc dans l’espoir de concevoir le fruit de leur amour. Un jour, Robyn découvre un secret tandis que Paul disparaît mystérieusement… Dans la chaleur harassante d’un été marocain, l’aventure cauchemardesque de Robyn va alors commencer. Le décor a son importance: le Sahara apparaît comme une image mythique derrière laquelle se cache l’idée qu’on ne regarde que ce que nous avons envie de voir. Véritable polar où le suspense est permanent, Douglas Kennedy s’amuse à confronter le monde occidental au monde oriental tout en dressant le portrait de la société marocaine. La question du père s’impose dans cette fiction rythmée tout comme celle du sexe et du poids de l’échec dans la société américaine. La lectrice retrouve un dénominateur commun aux romans de Douglas Kennedy: son obsession de la fatalité. Et si l’amour était un mirage? Bon moment de lecture.
L’immeuble des femmes qui ont renoncé aux hommes. K. Lambert
Comment choisit-on un livre? Dans le cas de ce roman, c’est son curieux titre qui m’a interpellé. Ensuite, Karine Lambert a reçu le Prix Saga Café du Meilleur Premier Roman Belge (2014). Dans ces conditions, j’ai décidé de glisser ce roman dans mon sac de plage et je ne le regrette pas. Karine Lambert nous raconte l’histoire de cinq femmes qui partagent un immeuble parisien; cinq femmes qui ont toutes renoncé au désir et à l’amour. Telle une ruche, elles évoluent autour de la propriétaire surnommée « la Reine ». Jusqu’au jour où Juliette, une nouvelle locataire, va venir bousculer les habitudes de l’immeuble. Il se dégage beaucoup de fraîcheur de cette fiction à la fois tendre, poétique et grave. La lectrice apprécie le style humoristique de l’auteure et son énergie débordante. Les locataires de « la casa Celestina » sont toutes attachantes: Guiseppina qui traîne sa patte folle, Rosalie qui vit dans son passé, la Reine en ancienne danseuse-étoile, Simone qui n’ose plus danser et Carla en voyage en Inde…chaque lectrice retrouvera une part d’elle même à travers l’histoire de ces femmes qui ont décidé de ne plus prendre le risque d’aimer. A noter les nombreuses références artistiques qui ponctuent intelligemment le roman et apportent leur lot d’émotions. Il ne faut pas croire que les hommes sont absents de cette fiction; bien au contraire. Ce petit roman, facile à lire, nous invite à la réflexion tout en souriant. Bon moment de lecture.
Vivre vite. P. Besson
Voici un roman choral qui se lit à toute vitesse, à l’image de la spyder 550 de James Dean filant sur le bitume sinueux des collines de Los Angeles. A travers différentes voix, Philippe Besson raconte la vie romancée de cet acteur mystérieux, mort à 24 ans dans un accident de la route. Turbulent, magnétique et inconsolable, James Dean est devenu un symbole de la jeunesse… mais que savons nous de lui? Philippe Besson nous livre, ici, les blessures, les doutes et l’intimité de cette icône intemporelle. Un hommage sans aucune trace d’ennui. Bon moment de lecture.
Les Intéressants. M. Wolitzer
Suite aux bonnes critiques publiées dans les médias à propos de ce « page turner », je me suis littéralement embourbée dans la lecture de ce roman américain. Voici le pitch: durant l’été 1974, des adolescents se rencontrent lors d’une colonie de vacances et se baptisent « les Intéressants ». Julie (alias Jules), Ethan, Ash, Goodman, Jonah et Cathy font partie de cette bande d’amis pour le meilleur et pour le pire. Il faut reconnaître le talent de Meg Wolitzer pour dresser, avec finesse, le portrait d’une Amérique d’hier et d’aujourd’hui. La fiction est bien construite et les nombreuses réflexions au sujet de l’Art, l’amitié, l’amour, la famille et le couple sont particulièrement judicieuses. Alors, la lectrice va suivre ce petit groupe, à travers le regard de Jules, pendant quarante ans c’est-à-dire 564 pages. En réalité, cette épaisse saga nostalgique dresse le portrait d’une société américaine en déclin où chaque personnage va vivre une série de drames et de réussites qui ne se révèlent pas tous passionnants. Je dois bien admettre que je n’ai pas trouvé ce roman « intéressant » et encore moins captivant.
La part des flammes. G. Nohant
Gaëlle Nohant s’inspire du tragique incendie du Bazar de la Charité, le 4 mai 1897 à Paris, pour construire ce bon roman. Provoqué par un cinématographe, l’incendie avait fait des centaines de victimes dont un grand nombre de femmes aristocrates. De cette fournaise va très vite se dégager des rumeurs colportées par la presse de l’époque. Trois femmes, trois destins vont se croiser dans les flammes du Bazar de la Charité: la duchesse Sophie d’Alençon, la comtesse Violaine de Raezal et la jeune Constance d’Estingel. Trois héroïnes rebelles en quête de liberté. La part des flammes représente ce que chaque personnage va, en définitive, laisser dans cet incendie. C’est un portrait captivant, de la haute société parisienne du XIXème siècle, que nous offre, avec talent, Gaëlle Nohant. De son style métaphorique se dégagent une force, une justesse, un vécu. Fruit d’un long travail de recherche, ce roman soigne particulièrement le détail pour évoquer un personnage, une atmosphère, un lieu. La lectrice se retrouve dans les rues de Paris où du côté des pauvres règnent la misère et la tuberculose et, d’un autre, la bonne société qui fait la charité. Il est question de religion et de croyances dans cette fiction bouleversante, mais aussi des progrès de la médecine à cette époque . En croisant des personnages fictifs et réels, l’auteure passionne la lectrice qui plonge, avec plaisir, dans un moment de lecture romanesque. Un excellent roman sur la féminité et l’Amour dans l’esprit d’une époque. Prix France Bleu. Page des Libraires 2015.
Rebecca. D. du Maurier
Après avoir lu la récente biographie de Daphné du Maurier (« Manderley forever » de Tatiana de Rosnay), je me suis plongée, avec curiosité, dans la lecture de « Rebecca » (1940). Cette nouvelle traduction est une réussite évidente; un moment d’évasion digne d’un superbe livre comme « Gatsby le Magnifique » . Dès la première phrase, la lectrice est conquise et se laisse envoûter par le texte: « J’ai rêvé la nuit dernière que je retournais à Manderley. » La voix de la narratrice, Madame de Winter, nous embarque dans une fiction pleine de mystère et de rebondissements. Au fil des pages, la lectrice suit l’évolution de cette narratrice maladroite, envahie par son imaginaire mais qui va, peu à peu, saisir les rênes de sa vie. Rebecca est, en réalité, le prénom de la première femme de Maxim de Winter, noyée en mer. Il est donc question de rivalité entre la nouvelle femme de Maxim et le fantôme de l’épouse qui hante le domaine de Manderley en Cornouailles. Le thème de l’obsession domine cette fiction finement construite. Manderley, ce très beau manoir, est, ici, un personnage à part entière qui évolue au fil des saisons pour notre plus grand plaisir de lecture. Avec talent, la romancière dote ses personnages d’une psychologie fine et complexe; l’inquiétante Madame Danvers en est le meilleur exemple. Cette fiction romanesque, qui repose sur un malentendu, tient la lectrice en haleine jusqu’à la dernière phrase; un grand classique de la littérature. Lecture coup de coeur.
Chemins. M. Lesbre
Une scène singulière est à l’origine de ce joli roman: un soir, à Paris, Michèle Lesbre aperçoit un homme, assis sous un réverbère, lisant le livre d’Henry Murger « Scènes de la vie bohème » . Alors, elle se souvient, avec émotion, des lectures de son père. C’est vrai que le style de Michèle Lesbre s’apparente à celui de Modiano. Infiniment nostalgique, l’auteure se plonge avec mélancolie dans son passé à la recherche de lieux, de personnes, d’objets et de livres. Son style est poétique,tendre et facilement abordable. La lectrice accompagne volontiers l’auteure dans ce voyage, au bord d’un canal, où entre les peupliers défilent les souvenirs. Il est question, ici, des origines et de la mémoire. Au hasard des chemins et des rencontres, Michèle Lesbre part en quête d’un père trop vite disparu; son intime étranger. Excellent moment de lecture.
A Lisbonne, j’ai pensé à toi. L. Ruffato
La littérature brésilienne était à l’honneur lors du dernier Salon du Livre de Paris (2015). En achetant ce roman, j’ai découvert un auteur brésilien méconnu au style urbain, réaliste et atypique. Construit à partir de quatre conversations enregistrées entre l’auteur et un clandestin brésilien installé à Lisbonne, ce roman retrace le parcours de Serghino. Après une série d’échecs dans son pays natal, Serghino, le narrateur, part à la recherche de l’eldorado au Portugal. Les phrases, ponctuées de mots exotiques, s’étirent au fil des pages pour mieux captiver notre attention. Pauvre, simple et crédule, Serghino raconte son exil, la tête pleine de rêves de grandeur. Ce clandestin est un personnage attachant coincé dans une existence sans issue. La lecture de ce court roman est un voyage pour la lectrice qui découvre deux pays mais aussi les subtilités entre la langue brésilienne et le vocabulaire lisboète. Luiz Ruffato soulève, avec talent et humour, la question de l’identité. Excellent moment de lecture.
Le cas Eduard Einstein. L. Seksik
Paru en poche, ce roman dévoile la vie familiale méconnue du Prix Nobel de Physique: Albert Einstein (1921). Laurent Seksik a construit son roman à partir de documents et faits réels. Il donne la parole à trois personnages: Eduard, ce fils schizophrène interné et abandonné par son père au moment du divorce de ses parents; Mileva, la mère dévouée d’Eduard et première épouse d’Albert; Albert Einstein lui même, père divorcé, remarié et exilé aux Etats-Unis en 1933. La lectrice découvre la vie d’Eduard à l’asile et le combat de sa mère au quotidien. L’auteur nous parle aussi de la vie intime, tragique, d’Albert sur fond de nazisme et de fascisme. C’est la blessure profonde d’un homme que Laurent Seksik nous raconte avec talent et intelligence. Une histoire bouleversante pleine d’humour et de finesse qui traite de la complexité d’un génie. Excellent moment de lecture.
La Lettre à Helga. B. Birgisson
Ce roman déroutant fait partie de la sélection 2015 du Prix du Meilleur Roman des lecteurs de Points. Sa publication, en 2013, a été un vrai succès dans les pays nordiques. Pourquoi? Parce que cette déclaration d’amour est une sorte d’ovni littéraire. La lectrice entre dans un univers intime et sauvage qui traite pourtant des choses simples de la vie comme l’amour, le désir et la mort. Le narrateur est un vieux berger islandais du nom de Bjarni Gislason. En écrivant une lettre à Helga, son grand amour, il revient sur ses choix et sa vie en tentant de trouver des réponses. Le style de l’auteur est aussi rude que le climat d’Islande et la vie à la ferme. Bergsveinn Birgisson ne fait aucun détour, il appelle un chat un chat: « …je te palpais de mes doigts voluptueux et inspectais avec précision les protubérances de la poitrine et la consistance de sa chair. Tu gémissais de bonheur. Te voir nue dans les rayons de soleil était revigorant comme la vision d’une fleur sur un escarpement rocheux. Je ne connais rien qui puisse égaler la beauté de ce spectacle. La seule chose qui me vienne à l’esprit est l’arrivée de mon tracteur Farmall. Arracher l’armature et le carton protégeant le moteur pour découvrir cette merveille éclatante qui allait me changer la vie. » Ce roman qui sent la terre et les bêtes nous parle aussi de tradition, de culture et de transmission. La confidence de Bjarni nous touche et nous bouleverse par sa simplicité. Bon moment de lecture.
Le Chardonneret. D. Tartt
Il faut du temps et de la patience pour lire l’épais roman de Donna Tartt. Pour commencer, il est impossible de ne pas tomber sous le charme du tableau de Carel Fabritius (1654) représentant un chardonneret captif. La lectrice rentre dans le roman avec facilité et enthousiasme car Donna Tartt maîtrise son sujet et chasse la moindre trace de lassitude. Théo Decker est le jeune héros New-Yorkais de cette fiction, et notre narrateur par la même occasion. A l’âge de treize ans, Théo est victime d’un attentat au Metropolitan Museum et perd sa mère dans la catastrophe. Avant de quitter les lieux du drame, il s’empare du tableau représentant « le chardonneret ». La suite des évènements ressemble à une descente aux enfers pour cet adolescent abandonné par son père. De New-York à Amsterdam en passant par Las Vegas, la lectrice se laisse entraîner dans ce thriller captivant. Donna Tartt nous parle d’une Amérique à deux faces: celle des privilégiés adeptes du raffinement et l’autre qui montre une Amérique inculte, dominée par l’argent, la violence et la drogue. Finalement, Donna Tartt est une miniaturiste qui soigne le détail comme de la dentelle de Delft; parfois à l’excès. Il faut attendre la fin du roman pour découvrir l’analyse passionnante du tableau et les ultimes confidences de Théo, à l’âge de vingt sept ans. Prix Pulitzer 2014.
Chien de printemps. P. Modiano
Ambiance Sépia pour ce petit roman publié en 1993. Le narrateur revient sur sa rencontre fortuite, trente ans auparavant, avec le photographe Francis Jansen. En 1964, un jeune homme tente de faire de l’ordre dans les archives alors que le photographe disparaît mystérieusement au Mexique. L’écrivain devient alors le double du célèbre photographe et se souvient de son entourage: Colette, Nicole, Gil, Jacques Besse, Eugène Deckers, les Meyendorff etc.. La lectrice retrouve un style, une ambiance mais aussi Paris et les thèmes chers à l’auteur comme celui de l’identité, de la mémoire, du temps qui passe et de la mort. Modiano explore un territoire d’incertitudes et tente de reconstituer ses souvenirs. Cette fois, ce sont des photographies et un film d’action qui permettent, notamment, de retrouver les traces du passé. « Chien de Printemps » est une illusion qui oscille entre rêve et réalité. Bon moment de lecture.
Bain de lune. Y. Lahens
Yanick Lahens nous emmène loin de chez nous. Cette auteure caribéenne conte une saga familiale dramatique qui s’étend sur quatre générations de paysans dont certains opportunistes, en Haïti. Au début du roman, la lectrice est réellement transportée dans ce paysage exotique rural. Munie de son glossaire créole, le dépaysement est total. Malgré cette beauté, la violence, la cruauté et la sauvagerie de certains personnages nous déconcertent. Yanick Lahens raconte, avec ardeur, les histoires d’amour mais aussi les multiples conflits qui déchirent les familles Lafleur et Mésidor, habitants du village d’Anse Bleue. Sous un régime de dictature implacable, il est souvent question de séismes et d’ouragans. Le style de Yanick Lahens est empreint d’une poésie puissante et tragique: « vivre et souffrir sont une même chose. » L’auteure aborde des thèmes universels comme ceux de l’amour, la mort, la nature, le sacré et l’invisible avec l’immuable île d’Haïti en toile de fond. Bon moment de lecture. Prix Fémina 2014.
Remise de peine. P. Modiano
Ce roman est, pour moi, une des meilleures fictions de Patrick Modiano. En effet, l’auteur donne l’impression de nous faire partager une part plus intime de lui: son enfance avec son frère. Au début des années cinquante, Patrick, alias Patoche, et son frère Rudy sont confiés à de curieuses amies de leurs parents, éternellement absents. L’auteur a vingt-cinq ans lorsqu’il se remémore des lieux, des mots, des personnages, des jeux et des histoires…Ce qui est bouleversant, ici, c’est la capacité de Modiano à se mettre à la hauteur de l’enfant qu’il était et à retracer des souvenirs avec son frère comme leurs peurs et fantasmes liés au château du marquis de Caussade. Il y a, dans ce roman, une touche supplémentaire de mystère et de merveilleux qui procurent, à la lectrice, une vaste palette d’émotions tout au long de la lecture. Excellent moment de lecture.
Rue des boutiques obscures. P. Modiano
Ce roman, publié en 1978, ressemble à un film du cinéaste belge André Delvaux (« Un soir, un train », « Benvenuta », « Rendez-vous à Bray » …) tant la limite entre l’onirique et le mystère est floue. Les thèmes de la mort et du temps qui passe sont omniprésents dans les deux oeuvres ce qui rend l’atmosphère singulièrement étrange et inquiétante. Modiano est profondément marqué par la Belgique flamande alors que Delvaux est le symbole même du cinéma belge moderne. L’histoire du roman est celle de Guy Roland, un détective amnésique qui part à la recherche de son passé. La lectrice retrouve les pièces du puzzle préféré de Modiano: des noms, des lieux, des bottins, des voix, ses parents, son frère Rudy, l’enfance, l’évocation de l’Occupation, Paris et sa banlieue…L’enquête de Guy Roland le mène de Paris à Mégève jusqu’à Bora Bora et Rome où il retrouve une adresse: 2 rue des boutiques obscures. Comme toujours chez Modiano, le narrateur tente de reconstituer un passé sans vraiment y parvenir. Sous prétexte d’une enquête, Modiano se demande: qu’est-ce qu’une vie? L’excipit du roman: « Elle a déjà tourné le coin de la rue, et nos vies ne sont-elles pas aussi rapides à se dissiper dans le soir que ce chagrin d’enfant? » répond à l’incipit: « Je ne suis rien. » Prix Goncourt 1978.
L’herbe des nuits. P. Modiano
Ce roman publié en 2012 est un mélange d’oubli et de mémoire, là où Modiano excelle. Jean, le narrateur de cette quête, remanie son carnet noir, aux notes disparates, afin de reconstituer le passé et comprendre certains faits. A Paris, au cours des années soixante, il rencontre Dannie, une jeune femme aux multiples identités, qu’il va chercher à cerner. « Qu’est-ce que tu dirais si j’avais tué quelqu’un? » lui avait elle demandé; en vain. C’est donc bien plus tard, grâce au commissaire Langlais et son rapport d’enquête, que notre narrateur va pouvoir analyser cette zone d’ombre. Comme d’habitude, dans les romans de Modiano, la frontière entre le réel et l’onirique est floue tout comme la notion de temps: « ..le temps palpite, se dilate, puis redevient étale, et peu à peu vous donne cette sensation de vacance et d’infini que d’autres cherchent dans la drogue, mais que moi je trouvais tout simplement dans l’attente. » Modiano traverse Paris dans un brouillard nostalgique où il croise les fantômes du passé et nous offre une oeuvre cartographique. Bon moment de lecture.
La gaieté. J. Lévy
Lire un roman de Justine Lévy, c’est comme ouvrir une boite de bons chocolats: on déguste. Dans ce quatrième roman, Louise, alias Justine Lévy, a décidé d’arrêter d’être triste lors de sa première grossesse. Il est vrai qu’elle en connaît un bout sur la tristesse et le chagrin. Elle se souvient de la rencontre avec le père de ses enfants au moment où elle hésitait « entre la défenestration et le meurtre ». Au cours de la lecture, son mal-être nous empoigne tandis que ses petits remèdes font sourire: « …mes « Nicorette » qui me font zozoter » . Malheureusement, les grossesses convoquent l’enfance et certains mauvais souvenirs ressurgissent. Louise se pose des questions, cherche les réponses et escamote sa mémoire à volonté. Ce roman ressemble à une confidence encombrée de tristesse. Le style de Justine Lévy est toujours aussi direct, plein de dérision, d’humour et de cynisme. Les phrases sont longues comme ses cheveux d’enfant avant qu’une méchante marâtre ne les coupe. Sa mère est omniprésente; il est également question du père (BHL) qui apparaît toujours comme l’homme fort de la situation. Elle décrit également son quotidien en famille avec Pablo et ses enfants. Il faut bien avouer que les passages les plus réjouissants sont ceux qui racontent justement son quotidien de mère et quelques anecdotes enfantines. Mais Louise est toujours rattrapée par ses peurs, ses angoisses et son éternelle crainte de l’abandon. Alors, la lectrice ressent l’envie de la rassurer, de taire ses incertitudes et de lui préparer un bon couscous au beurre avec des raisins secs. Heureusement, Louise fait barrage aux mauvaises transmissions… Mieux que le Xanax, le Doliprane ou le Cymbalta, espérons que la gaieté fasse bientôt son effet. Bon moment de lecture.
Vestiaire de l’enfance. P. Modiano
Patrick Modiano a publié ce roman intemporel en 1989. La lectrice y retrouve un univers particulier et les obsessions récurrentes de l’auteur: l’enfance, des lieux, des visages, des noms, des fragments de souvenirs… En toile de fond de cette fiction, il y a une ville du sud qui pourrait être Tanger sous un soleil écrasant. Jimmy Sarano y refait sa vie après avoir quitté Paris dans d’étranges circonstances. Expatrié, il rédige des chroniques pour Radio-Mundial. Sa rencontre avec une jeune française va brusquement perturber sa vie: cette femme lui rappelle vaguement quelqu’un. Alors, les souvenirs ressurgissent et le narrateur se replonge dans le Paris des années soixante du côté de la place de Clichy. Pour notre grand plaisir, le style de Patrick Modiano est empreint d’humour et de cynisme dans ce roman original.
Charlotte. D. Foenkinos
David Foenkinos nous surprend en publiant ce roman rédigé sous forme de vers libres. Il confesse son obsession pour Charlotte Salomon, une peintre juive allemande gazée à 26 ans pendant la seconde guerre mondiale. L’auteur voyage, retrace et recompose la vie de cette martyre frappée dès sa naissance par une tragédie familiale. Exilée en France, Charlotte construit une oeuvre picturale heureusement confiée à son médecin. David Foenkinos raconte une histoire tragique sans pourtant analyser en profondeur l’oeuvre de cette peintre énigmatique. Un roman singulier qui traite notamment de l’exclusion, de la barbarie, du désir et de la création. Moment de lecture bouleversant. Prix Goncourt des Lycéens. Prix Renaudot.
La disparition de Richard Taylor. A. Cathrine
Ce roman choral, publié en 2007, n’a l’air de rien et pourtant il réserve bien des surprises tout au long de la lecture. Richard Taylor, un trentenaire anglais marié et père d’une petite fille, décide de disparaître brusquement du paysage londonien. La lectrice a l’avantage de pouvoir continuer à le suivre au fil de ses rencontres. Chaque chapitre laisse entendre une femme: Susan (son épouse), Rebecca (sa collègue), Jean (sa mère), Jennifer (sa voisine)… et chacune nous donne sa version à propos de Richard Taylor. Arnaud Cathrine est un écrivain à la plume franche qui se fout bien des conventions. Les thèmes traités sont ceux du mensonge, de la lâcheté dans le couple, de la disparition, du désir et de l’abandon. La brutalité du style déroute au début mais le ton est juste, réaliste. Finalement, cette fiction noire est composée avec ingéniosité ce qui rend la lecture poignante.
Livret de famille. P. Modiano
Ce « Livret de famille », publié en 1977, est un ensemble de nouvelles surprenantes qui traitent principalement de la mémoire, des origines et du temps qui passe. Patrick Modiano livre des anecdotes liées à son univers intime comme la naissance de sa fille, des moments partagés avec son frère Rudy ou la rencontre de ses parents sous l’occupation. Les figures du père et de la mère reviennent constamment au fil des pages. Certaines nouvelles sont empreintes d’un humour exquis et d’un cynisme étonnant: l’épisode où son père l’emmène à la chasse à courre est réellement irrésistible. Comme à son habitude, l’auteur nous entraîne dans des quartiers, des rues, des cafés, des hôtels où le narrateur rencontre des personnages mystérieux liés à sa famille. Le personnage du « gros » , rencontré à Rome, est particulièrement attachant. Patrick Modiano sonde à nouveau son passé et nous entraîne jusqu’en Egypte et en Tunisie. Pour notre grand plaisir, il offre des réminescences de sa jeunesse et nous réserve, ici, un autre excellent moment de lecture.
Villa triste. P. Modiano
Ce roman publié, en 1975, est véritablement singulier. En effet, même si la lectrice retrouve quelques ingrédients récurrents chez Modiano, quelque chose de différent se dégage de cette fiction. En toile de fond, il y a la ville d’Annecy sous un soleil d’été; une ville de province surannée fréquentée par la bourgeoisie non chalante des bords du lac. Victor, le narrateur, retrace son histoire d’amour, en 1962, avec Yvonne Jacquet, une jolie femme, mannequin et actrice débutante. Pour la séduire, le narrateur se fait passer pour le « comte Victor Chmara » et jongle admirablement bien avec le mensonge. Dans un premier temps, le couple séjourne à l’hôtel L’hermitage puis dans la « villa triste » du docteur René Meinthe, un bourgeois homosexuel se faisant passer pour « la reine des Belges ». A nouveau, Patrick Modiano tente de reconstituer le passé sans vraiment y parvenir. Il situe des rues, des endroits, des cafés et se remémore des personnages avec une certaine nostalgie. Le ton est souvent léger et humoristique dans cette fiction au caractère universel. La force de l’auteur réside essentiellement dans sa capacité à reconstituer une atmosphère élégante et pleine de charme.
Je ne vous quitterai pas. P. Louvrier
Le premier roman de Pascal Louvrier raconte l’histoire singulière de Jacques Libert, un écrivain proche de Mitterrand. En fin de vie, l’homme revient sur la douloureuse histoire de son couple et sur son amitié avec l’ancien Président de la république française qu’il connaît depuis 1959. Nous sommes en 2012, en France, dans une vieille maison au bord de la Manche. Jacques Libert fait appel à une aide ménagère, Louise, une jeune étudiante mystérieuse à qui il va se confier. Le titre du roman est inspiré des vœux prononcés par François Mitterrand en 1994: « Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas. » Pascal Louvrier traite de la relativité de la vérité à travers des personnages politiques manipulateurs. Bien renseigné, l’auteur nous dévoile les coulisses du pouvoir sous l’ère Mitterrand et au passage quelques inédits et indiscrétions. Bon moment de lecture.
Un pedigree. P. Modiano
Cette autobiographie fait allusion au roman du même nom publié par l’écrivain belge Georges Simenon (1948). Patrick Modiano dévoile, ici, des souvenirs épars de son enfance et de sa jeunesse avec une dose de tendresse mais aussi de pitié. Ses parents (un père juif et une mère belge) apparaissent notamment comme des êtres égoïstes, intéressés et manipulateurs: « ...je ne me suis jamais senti un fils légitime et encore moins un héritier. » Avec distance, Patrick Modiano nous livre des faits et anecdotes sans état d’âme tel un documentaire, ce qui déconcerte. Discret en ce qui concerne l’intime, il ne parle pas d’un événement, pourtant capital, qui le touche: la mort de son frère. La lectrice retrouve des thèmes propres à Modiano: la question des origines et de la famille mais aussi sa constante quête d’identité. Un récit pour tourner définitivement les pages d’un passé qui ne semble pas lui appartenir.
Voyage de noces. P. Modiano
La quête d’identité est le thème majeur de ce roman qui se présente sous forme d’enquête. Un homme désabusé se retrouve à Milan dans la chaleur du mois d’août. A l’hôtel, il apprend le suicide d’une cliente française et fait le rapprochement avec une femme juive rencontrée quelques années auparavant: Ingrid Teyrsen. Bouleversé par sa mort, le narrateur rentre en France et organise sa propre disparition en périphérie de Paris. Il assemble, alors, les souvenirs liés à Ingrid et à Rigaud, son compagnon, auquel il va curieusement s’identifier. Patrick Modiano fait appel aux souvenirs, aux sensations, aux lieux pour évoquer un moment tragique de l’histoire. Au cours de sa lecture, la lectrice retrouve la petite musique caractéristique du style de Patrick Modiano et des thèmes récurrents comme celui du temps qui passe ou celui de la déportation. Excellent moment de lecture.
La petite bijou. P. Modiano
Le titre du roman « la petite bijou » vient du surnom de la narratrice lorsqu’elle avait sept ans. Patrick Modiano se glisse parfaitement dans la peau de Thérèse, la narratrice devenue jeune femme. Inspirée par un personnage de Balzac, « la petite bijou » croise dans le métro de Paris sa mère qu’elle pensait morte. En la suivant jusqu’à son domicile de Vincennes, elle revient sur leur passé énigmatique. Au fil de la lecture, un malaise s’installe chez Thérèse, perpétuellement à la recherche d’elle même. Dans une certaine confusion, la narratrice tente de recomposer le puzzle de son enfance, croise des personnages évanescents et revient sur des lieux qui n’existent plus. Patrick Modiano mêle toutes sortes de souvenirs, images, couleurs et sonorités dans cette fiction troublante, angoissante. L’atmosphère nostalgique du roman donne à la lecture un caractère singulier entre rêve et réalité. Bon moment de lecture.
Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier. P. Modiano
Le dernier roman de Patrick Modiano, Prix Nobel de Littérature 2014, a des allures de polar. Jean Daragane est le personnage principal de cette fiction teintée de mystère et de chagrin. Lorsqu’il perd son carnet d’adresse, un couple énigmatique se présente et lui demande des informations à propos d’un certain Guy Torstel. Malgré lui, Jean Daragane se replonge, alors, dans le Paris des années cinquante et sa banlieue. Entouré de personnages énigmatiques comme celui d’Annie Astrand, sa mère de substitution, Jean Daragane se souvient progressivement de son enfance et d’une maison étrange. Le style de Patrick Modiano est incroyablement subtil et accessible. La lecture de son roman ressemble à une confidence aux résonances nostalgiques. L’omniprésence de la nature ajoute des notes poétiques à ce puzzle délicat. Un roman comme un ravissement. Coup de coeur!