Le nouveau nom. E. Ferrante

Le Nouveau Nom

Le deuxième tome de la saga d’Elena Ferrante est vraiment passionnant. Elena, la narratrice, raconte sa jeunesse napolitaine en compagnie de Lila, son amie d’enfance, l’épouse de Stefano. Impulsive et instable, Lila décide d’arrêter l’école et travaille à l’épicerie. Sage et réservée, Elena se consacre à ses études et part vivre à Pise. Secrètement, elle rêve d’une histoire d’amour avec Nino. La lectrice se retrouve propulsée à la fin des années soixante, lors d’un été torride et rétro sur l’île d’Ischia. Sous le soleil, les napolitaines passent des vacances trépidantes, pleines de rebondissements. Ce qui rend cette fiction bouleversante, c’est la justesse avec laquelle l’auteure raconte la vie et les sentiments des deux jeunes femmes. Les événements s’enchaînent pour ne jamais laisser place à l’ennui. Finalement, Elena et Lila cherchent, chacune à sa manière, à échapper au déterminisme social de l’époque. La violence quotidienne s’incruste dans la misère. Les flirts, les interdits, les mensonges et les secrets défilent. L’amitié prodigieuse est, cette fois, mise à rude épreuve pour notre grand plaisir de lecture. Bon moment de lecture.

L’amie prodigieuse. E. Ferrante

Si vous souhaitez vous plonger dans une longue saga, voici le premier des quatre tomes publiés par, la mystérieuse auteure italienne, Elena Ferrante. Cette première partie raconte l’amitié entre deux filles napolitaines, de l’enfance à l’adolescence. Elena et Lila sont issues d’un quartier populaire de Naples. C’est d’ailleurs Elena qui est la narratrice de ce roman d’apprentissage, bouleversant de justesse. Elle y raconte son quotidien au sein de sa famille, à l’école et avec ses amis; le temps des premiers émois. Au début des années cinquante, les deux fillettes sont voisines et amies tout en étant différentes l’une de l’autre. Lila est rebelle, malicieuse, farouche, agressive et sauvage. Elena est réservée, intelligente, peureuse et influençable. La diversité des personnages (Fernando Cerullo, Maria Carracci, Madame Oliviero, les frères Solara…) donne une force supplémentaire à cette fiction qui ressemble à un roman autobiographique. La lectrice est frappée par la violence qui fait partie intégrante de la société italienne à cette époque où règne « La Camorra ». Malheureusement, les deux filles côtoient, chaque jour, cette violence dans les familles, chez les voisins, dans la rue et à l’école.  Elena Ferrante nous livre, ici, deux portraits de femmes émouvants ; deux femmes unies par une amitié prodigieuse. Bon moment de lecture.

Gratitude. Journal IX. C. Juliet

Le neuvième journal de Charles Juliet couvre la période 2004-2008. La lectrice y découvre les notes et observations d’un homme curieux, soucieux de lutter contre l’oubli et le temps qui passe. Obsédé par la perte de sa mère, alors qu’il était enfant, Charles Juliet partage, ici, d’autres témoignages bouleversants mais aussi des rencontres et de nombreux souvenirs. Lucide, l’écrivain dévoile la part d’ombre de la nature humaine tout en manifestant son empathie et sa compassion. Ce récit autobiographique, dense, nous révèle la personnalité d’un homme humble et sincère qui manifeste sa gratitude pour la vie. Bon moment de lecture.

 

Les bouées jaunes. S. Toubiana

Les bouées jaunes par Toubiana

Dans ce récit poignant, Serge Toubiana témoigne de son chagrin, celui d’un homme qui a perdu la femme de sa vie. Président d’UniFrance et critique de cinéma, il décrit le bonheur d’avoir partagé la vie d’Emmanuèle Bernheim, la romancière française. Dès la première page, l’homme revoit sa femme nager avec vitalité, au large du golfe du Morbihan, longeant la ligne de bouées jaunes. Avec pudeur, il nous raconte leur histoire d’amour, repasse le film du quotidien dans la ville lumière et dans « la maison du bonheur » sur l’île aux Moines. Au cœur de l’intime, un homme nous parle du mystère de la femme aimée mais, aussi, de ses blessures secrètes. Avec une précision excessive, il rapporte les derniers instants d’Emmanuèle comme pour ne rien omettre. Avide de sincérité, Serge Toubiana expose un monde privilégié qui peut agacer. Malgré elle, la lectrice se retrouve dans la chambre 25 de l’hôpital Bichat où défile, désolé, le gratin du cinéma français. Alors, la lectrice referme le livre, les larmes aux yeux, en se souvenant que l’unique richesse est celle d’aimer et d’être aimé. Bon moment de lecture.

 

L’amour après. M. Loridan-Ivens

L'amour après par Loridan-Ivens

A quatre-vingt-neuf ans, Marceline Loridan-Ivens poursuit son oeuvre de mémoire en racontant son retour à la vie après l’enfer des camps. Dans cet essai émouvant, elle s’interroge sur l’amour, le désir et la liberté en compagnie de Judith Perrignon (journaliste et romancière). Marquée par l’empreinte de la mort, Marceline Loridan-Ivens a lutté pour sa dignité après avoir tant souffert aux côtés de Simone Veil et d’autres camarades. Mais quel était le sens du mot « amour » après les camps? En retrouvant une valise pleine de correspondances, Marceline Loridan-Ivens se remémore ses nombreux amants et son grand amour, le réalisateur Joris Ivens. Sans pudeur, elle raconte, ici, son corps blessé, sa sexualité, sa difficulté à être heureuse et à s’abandonner dans les bras d’un homme. Grâce à sa liberté d’esprit et à la culture, cette survivante continue de témoigner et délivre un message d’amour, d’espoir et de liberté. Bon moment de lecture. 

Souvenirs de la marée basse. C. Thomas

Souvenirs de la marée basse

Une journée réussie pour Chantal Thomas (à ne pas confondre avec la styliste Chantal Thomass !) est une journée de plage. Dans ce joli roman, l’auteure évoque avec grâce les étés des premières sensations, la magie de l’enfance et des rencontres sur le sable. Il est beaucoup question de filiation, de féminité, d’amitié et de liberté dans cet hommage aux rivages d’Arcachon; paradis perdu. Au présent et à la première personne du singulier, Chantal Thomas fait revivre sa famille française et ravive sa relation d’enfant unique avec des parents immatures. Le père disparaît trop tôt. La mère et la fille partagent le culte de l’eau et de l’océan. Dans un style infiniment poétique, Chantal Thomas compose un roman aux multiples tonalités. La petite fille revient à la source, retrace son sillage, sauve de l’oubli une mémoire. Bon moment de lecture.

En camping-car. I. Jablonka

Dans ce livre solaire, Ivan Jablonka raconte des vacances de jeunesse en camping-car, un art de vivre naturiste. A partir d’archives personnelles, l’historien retrace ses longues expéditions estivales à l’image des romans d’aventures de Jules Verne ou de Jack London. Cependant, le Combi Volkswagen représente, ici, bien plus qu’un simple véhicule sorti des usines allemandes après la guerre. Pour l’auteur et sa famille, marquée par la Shoah, cette caravane correspond à la découverte d’un exil propre à l’histoire du peuple juif. A la première personne du singulier, l’auteur sublime ses souvenirs et transforme l’autobiographie en récit collectif ; portrait d’une génération. Au fil des chapitres, la lectrice sillonne les routes de Californie et du sud de l’Europe en compagnie de cette joyeuse bande ; retour vers les décennies 1980-1990. En filigrane, Ivan Jablonka propose une réflexion subtile sur le bonheur et la liberté de notre enfance. Excellent moment de lecture. Prix France Télévisions 2018.

Origines de l’homme, origines d’un homme. Y. Coppens

Origines de l'Homme, origines d'un homme

Yves Coppens est un archéologue français passionné, paléontologue et père de Lucy, célèbre australopithèque (3,2 millions d’années). Au fil des pages de cet essai illustré, le scientifique retrace son parcours en trois parties ; 83 années de recherches : de ses premières expériences sur le littoral breton aux confins du monde. Fasciné dès l’enfance par les tessons de poterie, les os, les fossiles et les Menhirs, ce citoyen du monde fut tour à tour surnommé par les médias « Monsieur Mammouth », « L’homme du Tchad » et « L’homme de l’Omo ». D’ailleurs, la liste de ses titres et de ses fonctions est longue comme l’histoire de l’humanité. Avec curiosité, la lectrice découvre la logistique et l’intendance des sites de fouilles : des transports aux équipements de safari (tentes, couchages…) en passant par la cantine et les petits soucis de santé (malaria, piqûres de scorpion, bave de serpent …).Soucieux de reconstituer l’histoire de l’humanité, et la sienne, Yves Coppens détaille comment, grâce aux fossiles et aux cailloux, il a pu constituer une mémoire qu’il enseigne et transmet. Généreux, Yves Coppens n’oublie pas de rendre hommage à ceux qui ont croisé sa route. Finalement, après avoir admiré la beauté de tant de paysages, le scientifique admet avoir aimé, avant tout, le contact avec les populations locales. A travers ses mémoires et malgré le temps qui passe, Yves Coppens exhume les vestiges du passé tout en gardant intact son émerveillement d’enfant. Bon moment de lecture.

Couleurs de l’incendie. P. Lemaitre

Pierre Lemaitre nous offre la suite de son roman « Au revoir là-haut » (Prix Goncourt 2013, Prix Roman France Télévisions 2013…), le deuxième volet d’une trilogie française épatante. Après un succès certain en librairie et l’excellente adaptation au cinéma du premier volet, la lectrice s’empresse de retrouver les personnages de cette fiction géniale. Le roman a le mérite de pouvoir se lire indépendamment mais ce serait vraiment dommage. En effet, Pierre Lemaitre nous entraîne dans une fiction palpitante où il est question de trahison, de vengeance, d’amour et de désillusion. Inspiré par son maître, Alexandre Dumas, l’auteur interpelle ses lecteurs et réserve un défilé de rebondissements ; une vengeance digne du Comte de Monte-Cristo.  Nous retrouvons, donc, Madeleine Péricourt, en février 1927, à l’enterrement de son père. Grande bourgeoise, Madeleine est à la tête de la fortune familiale. Héritière, à une époque où les femmes ont peu de droits, elle élève seule son fils unique, Paul. Malheureusement exposée à la cupidité des hommes, Madeleine est soudainement ruinée et déclassée. Sa vengeance sera sublime, digne des plus grands romans. Grâce au film d’Albert Dupontel, « Au revoir là-haut », le visage de Madeleine s’anime au cours de la lecture sous les traits d’Emilie Dequenne. Paul, personnage éminemment attachant, se révèle sensible et touchant ; Léonce intrigue, Vladi interpelle, Solange étonne…Derrière les mots, la lectrice ressent l’enthousiasme contagieux de Pierre Lemaitre qui, par la maîtrise de son écriture, son ingéniosité et son humour, procure un plaisir de lecture inégalable. Excellent moment de lecture.

Les loyautés. D. De Vigan

Delphine De Vigan est une auteure attachante en phase avec notre société. En ce mois de janvier, elle publie un roman choral, sombre, différent des précédents. Il est question de quatre anti-héros dont Hélène, une enseignante dans un collège parisien. Le comportement d’un élève, Théo, l’interpelle et ranime les tourments de son enfance. Théo cache un secret bien trop lourd pour son jeune âge. Il partage sa souffrance avec Mathis dont la mère, Cécile, se méfie… Sensible et curieuse, Delphine De Vigan parle avec justesse des blessures silencieuses de l’enfance en cherchant à nous interpeller sur les thèmes de la maltraitance, la solitude, le divorce, l’alcoolisme…. Malgré une grande maîtrise de l’écriture, la lectrice regrette cette voix qui racontait si bien « Rien ne s’oppose à la nuit » ou « Une histoire vraie ». La fin ouverte offre une liberté que certains lecteurs ne pourront pas apprécier.

Alma. J. M. G. Le Clézio

Alma

Jean-Marie Gustave Le Clézio, Prix Nobel, nous offre dans ce dernier roman émouvant, un merveilleux hommage à l’île Maurice dont sa famille est originaire. Deux histoires s’y croisent, deux narrateurs, deux voix. Aventurier comme l’écrivain, le premier narrateur s’appelle Jérémie Felsen. En quête de ses origines, il débarque à Maurice sur les traces du fameux dodo, l’oiseau emblématique de l’île. La seconde voix est celle d’un clochard créole et lépreux, Dominique alias Dodo, un homme pour qui le temps se conjugue toujours au présent. Personnage misérable et poétique, Dodo révèle toute la compassion de l’écrivain pour les laissés-pour-compte et les esclaves de l’île. Alma sera le point commun des deux narrateurs, le domaine familial des « Felsen ». Au fil des pages, il est question de vie et de mort mais aussi de mémoire et d’oubli. La lecture, puissante, ressemble à un voyage inoubliable sur l’île à la découverte de son histoire, de sa langue, de sa faune, de sa flore… Comme personne, Le Clézio parle admirablement de la beauté de cette île propice à l’amour mais aussi du ravage des cultures, de l’irrémédiable déboisement, de la disparition du dodo….de mondes disparus. Bon moment de lecture.

 

La vie secrète des arbres. P. Wohlleben

Ce plaidoyer pour le respect des arbres n’a pas été rédigé par un illuminé mais par Peter Wohlleben, un garde forestier allemand. Fort de son expérience, il raconte comment vivent les arbres au fil des saisons et comment ils s’organisent en communauté à l’image des hommes et des animaux. Grâce à des anecdotes, et à ses nombreuses connaissances, Peter Wohlleben démontre pourquoi un arbre n’est pas une simple tige mais un organisme vivant, sensible à la douleur. Les scientifiques eux-mêmes admettent une forme de communication, une solidarité, entre les arbres. Aujourd’hui, la Suisse est le premier pays à reconnaître le droit des plantes dans sa Constitution. Ce document, un peu scolaire, contentera les passionnés de promenades en forêt. La lectrice se demande, simplement, pourquoi la version numérique du best-seller n’a pas été privilégiée afin de limiter l’usage du papier ? Bon moment de lecture.

Mistral perdu ou les événements. I. Monnin

Mistral perdu ou les événements par Monnin

Le nouveau roman d’Isabelle Monnin est un portrait de femme. La narratrice nous raconte son enfance et sa jeunesse, en France, aux côtés de son inséparable petite sœur ; dans un monde où tout change sauf Michel Drucker. Issue d’une famille de gauche, Isabelle Monnin revient sur sa propre histoire, ses joies, ses chagrins et sur ces événements qui ont bouleversé la France. Si vous êtes un(e) enfant des années 1970, le début du livre vous replongera automatiquement dans vos propres souvenirs avec, en bande son, des tubes nostalgiques (Mistral gagnant, Mon enfance, Hello papa tango charlie, Génération désenchantée…) . Entourée de ses fantômes, Isabelle Monnin puise au fond d’elle même des images, des sensations, des odeurs, des souvenirs partagés avec sa sœur qu’elle ne nomme jamais. A la fois générationnel et intime, le récit bouleverse comme une déclaration d’amour. Comment les événements percutent une vie? Dans un style caractéristique de son métier de journaliste, Isabelle Monnin nous dévoile son microcosme dans une France qui ne cesse de l’interpeller. Bon moment de lecture.

L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau. O. Sacks

Olivier Sacks était un neurologue anglais, professeur à l’université Columbia. Son essai, devenu un best-seller, décrit vingt-quatre cas cliniques surréalistes comme celui de « l’homme qui prenait sa femme pour un chapeau ». Dans cet ouvrage de vulgarisation, Olivier Sacks nous présente ses patients et décrit chaque pathologie. L’incroyable faculté d’adaptation humaine, face à certaines lésions du cerveau, passionne au fil de la lecture. L’essai ne nécessite pas de connaissances médicales mais il faut tout de même avoir de la curiosité pour la neurologie afin de tout comprendre. Si c’est votre cas, il sera également intéressant de pouvoir constater les progrès de la médecine depuis 1988, date de sa première parution.

La Serpe. P. Jaenada

La serpe par Jaenada

Petit coup de gueule au sujet de ce roman volumineux (640 pages). En reprenant le mystère du triple homicide du château d’Escoire, en octobre 1941, Philippe Jaenada promet de se lancer dans une enquête romanesque. Son idée de départ séduit la lectrice : « écrire un roman policier, un truc sanglant, résoudre une énigme… » d’autant plus que les éloges de la presse, et l’attribution du Prix Fémina, désignent ce roman comme un incontournable. La lecture s’annonce comme une partie de Cluedo passionnante à propos de l’énigmatique assassinat où, l’écrivain et haut fonctionnaire, Georges Girard trouva la mort aux côtés d’Amélie Girard et de Louise, la bonne de la famille. Rapidement, les soupçons se portent sur le fils de Georges, Henri, seul survivant au château et unique héritier. Grâce à ses recherches, l’auteur nous éclaire un peu plus sur la personnalité de ce fils capricieux. Malheureusement, au fil de la lecture, la lectrice déchante. Les digressions permanentes de Philippe Jaenada agacent. Il faut attendre la page 170 pour entrer dans le vif du sujet. L’auteur lui même passe son temps à s’excuser : « C’est trop long ce passage? » L’enquête pourrait réellement être captivante mais l’auteur passe une bonne partie du roman à épiloguer sur l’affaire Pauline Dubuisson, objet d’un précédent roman.  Il n’est pas, ici, question de remettre en question le talent de Philippe Jaenada. Certains diront même que ces digressions sont la marque de fabrique de l’auteur ; son style. Malheureusement, pour la lectrice, « La Serpe » est une longue enquête, trop anecdotique, dépourvue de suspense. Philippe Jaenada termine en indiquant dans ses remerciements : « …à ceux qui referment « La Serpe » ici : merci d’avoir lu jusqu’à la fin. » Dont acte.

Tiens ferme ta couronne. Y. Haenel

Tiens ferme ta couronne par Haenel

Au tout début du roman, un doute s’installe. De quoi s’agit-il exactement ? Jean, le narrateur, vit seul dans un petit appartement de la Porte de Bagnolet, à Paris. Il tente de convaincre des producteurs du génie de son scénario « The Great Melville ». Mais, Jean ne persuade personne lorsqu’il explique qu’il y visite « l’intérieur mystiquement alvéolé de la tête de Melville » ; pas même la lectrice. Alors, Jean se met en tête de présenter son scénario à Michael Cimino, le grand réalisateur. Par chance, il arrive à le rencontrer à New-York. A cet instant, le roman de Yannick Haenel se métamorphose en une comédie féroce ; la lectrice ne le lâche plus. L’auteur nous parle avec justesse de la recherche de notre vérité avec une obsession pour le cinéma. Sur le point d’être expulsé, Jean passe ses journées à regarder, en boucle, le film « Apocalypse Now » en se grisant de vodka. Derrière ce profil de « loser », le narrateur se révèle touchant, intelligent, sentimental. Indéniablement, Yannick Haenel séduit par son humour, sa poésie, son audace. Excellent moment de lecturePrix Médicis 2017.

Sapiens, une brève histoire de l’humanité. Y. N. Harari

Sapiens : Une brève histoire de l'humanité par Harari

Le premier « best-seller » de l’auteur israélien, Yuval Noah Harari, a des allures d’encyclopédie. Bill Gates, Barack Obama et Marc Zuckerberg ont déjà fait l’éloge de ce phénomène littéraire. Il est vrai que l’historien vulgarise l’histoire de l’humanité avec ambition, humour et cynisme. En partant du « Big Bang », il retrace notre épopée à travers trois révolutions : cognitive, agricole et scientifique. D’animal insignifiant, Homo sapiens serait devenu un demi-dieu insatisfait doté des capacités divines : créer et détruire. Yuval Noah Harari pousse parfois très loin ses prophéties et ses théories notamment lorsqu’il affirme que la liberté est une invention de l’homme et que le bonheur est chimique.  Les études sur le règne animal passionnent mais, si certains chapitres captivent la lectrice, d’autres donnent l’impression de suivre un cours d’histoire fastidieux. Bon Moment de lecture.

Souvenirs Dormants. P. Modiano

Patrick Modiano (prix Nobel de littérature, 2014) publie un nouveau roman qui pourrait s’intituler « Le temps des rencontres ». Cependant, si vous n’êtes pas adepte de l’auteur, je vous conseille de lire, d’abord, un roman plus ancien (« Un Pedigree » ou « Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier ») afin de comprendre son écriture. Patrick Modiano poursuit, ici, son travail de topographe en puisant dans ses « souvenirs dormants ». Jean, le narrateur, a quatorze ans lorsqu’il fugue. Il fréquente des individus bizarres et suit la trace de six femmes dans le Paris d’antan. D’ailleurs, tout au long du roman, Jean se remémore des noms, des lieux, des voix, des événements…Les inconditionnels de l’auteur retrouveront, avec plaisir, l’atmosphère singulière de son oeuvre dont l’axe central est la mémoire. Grâce à des fragments de souvenirs, Patrick Modiano compose le puzzle de sa vie en y ajoutant quelques pièces supplémentaires. Excellent moment de lecture.

Les Réponses. E. Little

Les Réponses par Little

Le titre n’est pas très accrocheur mais voici un roman différent des autres. Une riche américaine a été sauvagement assassinée dans sa villa de Los Angeles. Janie Jenkis, sa propre fille, a rapidement été reconnue coupable du crime. Ivre la nuit du meurtre, elle ne se souvenait de rien pour sa défense. Dix ans plus tard, remise en liberté en raison d’un vice de procédure, Janie change d’identité et débute sa propre enquête dans le Middle West afin de trouver des « réponses ». Elizabeth Little nous entraîne dans une cavale singulière pleine de rebondissements. La narratrice, aux allures de Paris Hilton, possède une forte personnalité ; drôle et attachante. Difficile de lâcher ce thriller psychologique très actuel, entrecoupé de documents, reproduction de « sms », articles Wikipédia… Bon moment de lecture. 

Stupeur et tremblements. A. Nothomb

A la veille du stage en entreprise des élèves de troisième (France), ce roman insolite tombe à pic. Voici l’histoire d’une jeune Belge en stage dans une multinationale au Japon. Rapidement, ce stage vire au cauchemar. La jeune « Amélie-san » passe de services en services en accumulant les maladresses. Finalement sous les ordres de la jolie « Fubuki », « Amélie-san » va vivre un véritable enfer. L’auteure dépeint, avec humour et cynisme, le système japonais du monde du travail. Elle dénonce la vie difficile des japonaises et souligne les différences culturelles. Le titre fait référence au protocole : en présence de l’Empereur, il faut manifester « stupeur et tremblements ». Grand Prix du roman de l’Académie française, 1999. Excellent moment de lecture.

Bakhita. V. Olmi

Bakhita par Olmi

Véronique Olmi raconte, dans cette biographie romancée, le parcours exceptionnel d’une femme noire qui sera, finalement, déclarée sainte par Jean-Paul II. Enlevée à l’âge de sept ans dans son village du Darfour, Bakhita subit toutes les humiliations et les souffrances d’une esclave : battue, violée, assoiffée, tatouée, marchandée… Finalement, la jeune femme est vendue au Consul d’Italie à Khartoum et sa vie change radicalement. En Italie, Bakhita découvre la foi et la liberté. Particulièrement inspirée par son personnage, Véronique Olmi restitue, avec talent, un destin en nous éclairant sur une époque. Le chemin de croix de la religieuse, son amour pour la vie et ses lointains souvenirs rendent cette lecture émouvante. Excellent moment de lecture. Prix Fnac 2017.

The girls. E. Cline

The Girls par Cline

Paru en poche, ce roman génial sur la fragilité de l’adolescence mérite le détour par une librairie. Mais qui sont « les filles » ? Emma Cline a choisi, en filigrane, les filles de la secte de Charles Manson ; celles qui assassinèrent la comédienne Sharon Tate et quatre de ses amis dans une maison californienne, en 1969. Evie Boyd, la narratrice, se souvient de sa jeunesse et du divorce de ses parents. A la même époque, Evie se dispute avec son amie d’enfance et traîne avec une bande de filles. Captivée par Suzanne, femme fragile sous l’emprise du leader de la communauté, Evie va transgresser certains tabous… Emma Cline captive la lectrice par son style et son habilité à décrire les mécanismes de la séduction et de l’emprise. Une tension règne ; le pressentiment d’une tragédie.  Excellent moment de lecture.

Homo deus. Y. N. Harari

Homo deus : Une brève histoire de l'avenir

Après le succès de son premier livre « Sapiens, une brève histoire de l’humanité » , Yuval Noah Harari poursuit en publiant « Homo deus, une brève histoire de l’avenir » .  Dans ce nouvel opus, l’historien israélien dresse un aperçu de notre avenir face à l’évolution de l’intelligence artificielle et de ses dangers comme la révolution « dataïste » qui réduit l’homme à de simples algorithmes. En clair, l’homme du XXIème siècle ne se bat plus contre la famine, les épidémies et la guerre…désormais, il vise l’immortalité, le bonheur et la divinité. Homo sapiens devient homo deus. Formidable conteur des temps modernes, Yuval Noah Harari dévoile, ici, sa vision de notre destin si nous ne modifions pas nos comportements numériques. Bon moment de lecture.

Trois Ex. R. Detambel

Trois ex par Detambel

August Strindberg fait partie des auteurs suédois les plus illustres; l’un des pères du théâtre moderne. A son époque, Strindberg se révèle à travers ses œuvres (La chambre rouge, Mademoiselle Julie…) comme un misogyne, hyper sensible, névrosé mais génial. Régine Detambel s’intéresse, ici, à la vie conjugale de l’écrivain en se glissant dans la peau de ses trois ex-épouses: Siri, Frida et Harriet. Chacune évoque la souffrance du couple et un mariage systématiquement saccagé par la jalousie, la paranoïa et l’alcool. Malgré le talent de Régine Detambel, la lectrice erre dans ce récit qui ballotte entre le « il » et le « je ». Le style, vif et rythmé, amplifie la violence d’un texte empreint de colère et condamne définitivement un auteur controversé.

L’ami retrouvé. F. Uhlman

L'Ami retrouvé par Uhlman

Voici un roman que tous les adolescents devraient lire pour bien comprendre le contexte de la Seconde Guerre Mondiale. L’auteur, Fred Uhlman, était un écrivain britannique d’origine allemande et de confession juive; seul survivant de sa famille après la guerre. Dans ce court récit, aux accents autobiographiques, Fred Uhlman raconte, de manière chronologique, une histoire d’amitié improbable entre deux adolescents. Dans un lycée de Stuttgart, en 1932, Hans, notre narrateur juif, rencontre Conrad, un aristocrate protestant. Quelques mois plus tard, cette amitié fragile est interrompue par l’exil de Hans en Amérique. Pourtant, trente années s’écoulent et Hans se souvient de ses camarades et de son ami Conrad. Les thèmes principaux du roman sont ceux de l’amitié, l’identité, la religion, la discrimination, l’espoir, le nazisme….C’est la chute du roman qui lui donne toute sa dimension. A partir de 14 ans. Bon moment de lecture.

Mercy, Mary, Patty. L. Lafon

Mercy, Mary, Patty par Lafon

Le dernier roman de Lola Lafon revient sur le kidnapping de Patricia Hearst (Patty), jeune fille issue de l’establishment, enlevée par un groupuscule révolutionnaire américain (SLA), en 1974. Ce groupe gauchiste, constitué de jeunes Américains issus de la « middle class » , avait pour leitmotiv: « écraser l’insecte fasciste qui se nourrit du peuple » . Le groupe tue, braque et affole l’Amérique. Patricia reste introuvable malgré les recherches. Peu à peu, à travers le contenu des messages envoyés à ses parents, il apparaît que Patricia épouse la cause de ses kidnappeurs et participe même à des braquages. Stupéfaite, l’Amérique s’interroge: lavage de cerveau ou rejet de son milieu?  Lola Lafon imagine une femme américaine, professeure d’université, qui se voit chargée de rédiger un rapport pour l’avocat de Patricia. Installée provisoirement dans les Landes, Gene Neveva engage la jeune Violaine afin de travailler sur ce dossier énigmatique. Si le choix narratif déroute au début du roman, le thème passionne la lectrice et le côté rebelle de Lola Lafon transparaît tout au long de son analyse. L’auteure dénonce les idées toutes faites en nous poussant à la réflexion. Elle effleure également deux autres cas de femmes kidnappées et désobéissantes (Mercy et Mary). Reste une certaine frustration devant l’impossibilité d’apporter une réponse définitive à ce processus de radicalisation qui résonne régulièrement dans notre actualité. Bon moment de lecture.

Summer. M. Sabolo

Summer

J’ai choisi le dernier roman de Monica Sabolo pour débuter ma rentrée littéraire 2017. A la fois poétique et métaphorique, cette fiction se présente sous la forme d’un thriller. L’épigraphe, la citation d’Arthur Rimbaud, donne la note et nous entraîne dans les profondeurs du Lac Léman. Dès la première page, Benjamin, le narrateur, raconte ses rêveries lors d’une séance chez un psychanalyste: « Dans mes rêves, la surface luit comme un miroir coupant, ou une dalle de verre. L’eau semble glacée et chaude à la fois. J’ai envie de plonger, d’aller voir; mais les poissons sont noirs, les plantes se déploient comme des tentacules. Des filaments souples, luisants, qui se balancent dans le courant… » Benjamin cherche toujours des réponses à l’absence de sa sœur, Summer, disparue 24 ans plus tôt. Issue d’un milieu bourgeois, tout semblait pourtant sourire à cette jeune beauté de 19 ans. Monica Sabolo nous invite, avant tout, dans un univers; l’atmosphère sombre et aqueuse des bords du Lac Léman. Dans la première partie du roman, la lectrice se retrouve aux côtés de Benjamin, enlisé dans sa quête de vérité, face à l’attente et l’impossibilité d’avancer. Finalement, l’inattendu insuffle une dose de suspense dans ce roman sur l’absence, les mensonges et les non-dits. Bon moment de lecture.

Le bureau des jardins et des étangs. D. Decoin

Le bureau des jardins et des étangs

Voici un roman rare à la fois érotique, poétique et sensuel. Didier Decoin nous propose un étonnant voyage au Japon à l’époque Heian; nos cinq sens en éveil. Katsuro et son épouse, Miyuki, vivent heureux de la pêche dans une maison modeste du village de Shimae. Réputé comme étant le meilleur pêcheur de carpes, fournisseur des étangs sacrés de la cité impériale, Katsuro s’aventure un peu plus loin dans le lit de la rivière où il trouve la mort.  Après avoir veillé le corps de son homme, Miyuki décide d’honorer la prochaine commande du « bureau des jardins et des étangs » et d’entreprendre, seule, le voyage jusqu’à la ville impériale d’Heiankyo. L’expédition se transforme en véritable périple pour la jeune veuve, habitée par le souvenir de son mari. Chaussée de sandales de paille, la courageuse jeune femme marche courbée sous le poids de sa palanche; exposée aux dangers et croyances de son époque. En chemin, Miyuki va croiser toute la beauté et la laideur du monde. Arrivée au Palais de l’Empereur, Miyuki est introduite, malgré elle, dans un concours de parfums…Didier Decoin nous parle magnifiquement du couple et de l’amour qui dure après la mort dans cette fiction finement ciselée. Par sa puissance poétique, ce roman semble avoir été construit dans l’esprit d’un haïku japonais. Excellent moment de lecture. Prix des Lecteurs de L’Express/BFMTV.

Encore vivant. P. Souchon

Encore vivant

A l’instar de Gérard Garouste, Pierre Souchon dévoile, dans ce roman autobiographique surprenant, les méandres de sa maladie. Diagnostiqué bipolaire à l’âge de vingt ans, Pierre Souchon est interné une première fois, se fait soigner et jure de ne jamais retourner à l’hôpital psychiatrique. Ardéchois, il déménage à Paris pour trouver un emploi de journaliste, rencontre Garance et l’épouse. Ces moments de plénitude vont alors l’inciter à arrêter son traitement médical. Malheureusement, quelques mois plus tard lors d’une crise maniaco-dépressive, Pierre Souchon se retrouve enfermé en asile psychiatrique, exposé une nouvelle fois au monde médical et à une panoplie de patients paranos, schizophrènes, suicidaires…des personnages hauts en couleur comme Lucas, Jim, Cédric, Mounarelle… Au cours des visites quotidiennes de son père, Pierre Souchon tente de reconstituer l’histoire de ses ancêtres sur la terre Cévenole; délires identitaires. Au fil des pages, c’est bien le regard lucide de Pierre Souchon sur sa maladie, et ses irrémédiables conséquences, qui bouleverse. Son style est plein de fureur, de démesure et d’humour. La lectrice assiste impuissante à la chute d’un homme, troublant d’intelligence, qui tente de s’accrocher: « Ecris. Une fois encore, et pour toujours, tu le sais bien, au fond que nous ne tenons qu’à coups de littérature. »  Le titre du roman « Encore vivant » est inspiré par le nom d’un séquoia à feuillage persistant: « Sempervirens ». Parution: 16 août 17. Bon moment de lecture.

Histoire du lion Personne S. Audeguy

Histoire du lion personne

Amis de la cause animale, voici un roman singulier qui relate la vie d’un lion entre 1786 et 1796. Sur une piste du fleuve Sénégal, un jeune africain orphelin, nommé Yacine, trouve un lionceau abandonné à l’ombre d’un baobab. Yacine adopte le petit félin et décide de l’appeler « Kena » ce qui signifie « Personne » dans la langue de sa tribu; référence à Ulysse dans l’Odyssée. Jean-Gabriel Pelletan, directeur de la Compagnie royale du Sénégal, va finalement recueillir Yacine et « Personne ». Sous son toit, le lionceau grandit et devient l’inséparable compagnon du chien de la maison: Hercule. Ensemble, les deux animaux sont expédiés, en bateau, vers la Ménagerie Royale de Versailles. En 1788, Jean Dubois, naturaliste représentant de la Ménagerie, accueille « Personne » et Hercule au port du Havre. La drôle de petite troupe rejoint à pied la capitale dans une ambiance troublée. Symbole universel du pouvoir, le lion « Personne » devient l’objet de débats. Pour les riches, le lion est une distraction. Pour les autres, une bouche à nourrir inutilement. Le transfert de tous les animaux de la Ménagerie de Versailles vers le Jardin des Plantes, transforme le lion « Personne » en une attraction courue. Stéphane Audeguy désigne le lion comme personnage principal de ce conte qui traite du statut des animaux au XVIIIème siècle. Au fil des premières pages, la vision poétique de la beauté de l’Afrique sauvage, proposée par l’auteur, émerveille. Bien conscient de l’impossibilité de se mettre à la place d’un lion et de lui donner la parole, l’auteur évoque le destin d’un félin domestiqué parallèlement à l’histoire de France. Stéphane Audeguy conte, avec talent, la mutation des jardins d’agrément en parcs zoologiques. Excellent moment de lecture. Prix Wepler 2016. Prix Littéraire de la Fondation 30 millions d’amis 2016.