Kaiser Karl R. Bacqué

Kaiser Karl (Documents)

Grand reporter au journal  « Le Monde » , Raphaëlle Bacqué retrace la vie de Karl Lagerfeld à travers cette biographie captivante. Pourtant, ce n’est pas facile de rassembler toutes les informations concernant le créateur de génie, disparu en 2019. Issu de la grande bourgeoisie allemande, cultivé et esthète, Karl Lagerfeld n’a jamais cessé de brouiller les pistes en ce qui concerne son passé. Le talent de Raphaëlle Bacqué se révèle dans le fait de donner la parole à ses collaborateurs mais aussi aux proches et intimes pour comprendre toutes les facettes du personnage. Par le biais de ses relations avec Inès de la Fressange, Yves Saint Laurent ou Caroline de Monaco, la lectrice découvre un homme paradoxal qui peut se révéler à la fois insupportable, cassant, capricieux mais aussi généreux et empathique. Pour notre plaisir de lecture, l’auteure fait revivre le créateur, analyse son enfance, ses amours et sa carrière de la fin des années cinquante à aujourd’hui en passant par les mortelles années « sida » . La lectrice retiendra l’humour caustique de Karl Lagerfeld, sa lucidité et ce fameux coup d’avance qu’il avait sur son temps. Bon moment de lecture.

A L’aveugle. L. Hawvermale

Au nord du Chili, dans le désert d’Atacama, deux astronomes collaborent au sein d’un immense observatoire, pareil à un vaisseau fantôme. Sous la voûte céleste, Gabe Traylin poursuit sa mission scientifique ; cartographier les galaxies. Soudain, dans ce désert hostile à toute forme de vie, une ombre se déplace dans la nuit. Qui est-ce ? N’écoutant que son courage, Gabe tente de rattraper cette silhouette qui finalement s’écroule : un homme a été abattu par balle. Témoin malgré lui, l’astronome se retrouve au centre de l’enquête. Tout se complique à cause de son incapacité à mémoriser les visages. Gabe est atteint de prosopagnosie et devient le suspect numéro un. Afin de se disculper, le jeune scientifique s’entoure de trois acolytes et mène sa propre enquête. Ensemble, ils s’apprêtent à exhumer une terrible part de l’histoire du Chili et quelques corps démembrés. Cette fiction particulièrement sombre, dense et sanglante prend aux tripes dès la première page. L’auteur nous entraîne toujours plus loin dans le néant du désert. Bon moment de lecture.

Chavirer. L. Lafon

Chavirer par Lafon

1984. Cléo a treize ans et vit dans la périphérie de Paris. Sa famille, médiocre et terne, réside dans un grand ensemble. La culture, c’est la télé. Comme beaucoup de filles de son âge, Cléo rêve de devenir danseuse de « Modern Jazz » sur les plateaux télé. La jolie gamine se fait repérer par une certaine Cathy, une femme chic qui lui fait miroiter une bourse de la « fondation Galatée ». Attirée par le Show-biz et les paillettes, Cléo passe les castings afin de remporter la fameuse bourse. Mais il n’y a pas de bourse. La pseudo-fondation est, en réalité, un repère de pédophiles. Entre honte et culpabilité, Cléo se tait et recrute d’autres filles du collège pour le réseau. Dans ce roman, Lola Lafon nous décrit le milieu artistique des années 80-90, celui de danseuses de variété où derrière les sourires se cachent tant de souffrances. La lectrice suit Cléo jusqu’à ses quarante huit ans ; sa vie racontée par les autres. Il est, ici, question du pardon et de la capacité à se pardonner soi-même. Malheureusement, au fil des chapitres, l’auteure introduit d’autres personnages en nous faisant prendre quelques détours et la lectrice perd le fil de la narration.

Le plongeur. M. Efstathiadis

Le plongeur

Cette fiction sombre nous balade entre l’Allemagne et la Grèce. Un détective privé grec, Chris Papas, a pour mission de suivre une femme qui se nomme Eva Döbling. Son client souhaite connaître les faits et gestes de cette quadragénaire. Machinalement, le détective la suit dans les couloirs d’un hôtel minable, à Hambourg. Mais, peu avant minuit, Eva Döbling quitte l’hôtel et le détective perd lamentablement sa trace. Le lendemain, contre toute attente, la police débarque chez Chris : sa carte professionnelle a été retrouvée dans la poche de son client…pendu ! A cet instant, un message énigmatique clignote sur le répondeur du détective, finalement bien décidé à poursuivre son enquête. Que s’est-il passé ? Quels liens existaient entre Eva Döbling et ce mystérieux client ? En remontant le temps, l’auteur ravive d’insupportables blessures, du temps de l’occupation allemande en Grèce, en révélant une énigme qui glace le sang. Bon moment de lecture.

Le temps gagné. R. Enthoven

Le temps gagné par Enthoven

J’ai souvent comparé les romans à des pâtisseries choisies avec gourmandise. Celle-ci est douce-amère. Pour débuter, assumons une certaine curiosité, l’envie de découvrir, dans ce roman, les personnes qui se cachent maladroitement derrière des pseudos (Elie pour BHL, Béatrice pour Carla Bruni…). Il faut également se souvenir qu’en 2004, Justine Lévy a publié un excellent et émouvant roman autobiographique intitulé : « Rien de grave ». Dévastée, l’auteure y décrivait la trahison de son époux, Raphaël Enthoven, embrigadé dans une passion adultère avec l’ex-amie de son père : Carla Bruni ! D’après la rumeur, ce roman avait provoqué la colère muette de Raphaël Enthoven. Aujourd’hui, le premier roman du philosophe a un arrière-goût de vengeance et la vengeance est précisément un plat qui se mange froid. Enfant de la gauche caviar, germanopratin, Raphaël Enthoven a grandi dans les beaux quartiers de Paris, sous les coups d’un beau père et le regard impassible de sa mère. Au fil des pages, l’auteur raconte avec cynisme ses souvenirs, expose la violence de son enfance, son parcours scolaire, sa découverte de lui-même et du bonheur. Cruel, Raphaël Enthoven nous livre également des anecdotes intimes, inutiles et désolantes concernant son premier mariage raté avec Faustine (Justine Lévy). Philosophe jusqu’au bout des ongles, l’auteur questionne constamment en faisant référence à ses philosophes, ses professeurs et ses œuvres littéraires de prédilection (La comtesse de Ségur, Proust, Camus). Malgré la douleur, l’amour pour ses parents transparaît derrière les mots de ce roman au rythme saccadé. Le titre, « Le temps gagné » , est un clin d’œil proustien mais aussi une référence aux conseils du père. A la fois arrogant, beau et drôle, Raphaël Enthoven se dépossède de son passé, provoque en duel les personnages de son enfance tout en nous surprenant par la qualité de son écriture. Bon moment de lecture.