Heureux les heureux. Y. Reza

Yasmina Reza a un certain talent pour dépeindre l’âme humaine dont elle semble connaître les bas fonds. Dans ce roman chorale, la lectrice découvre les bribes de vie de dix huit personnages: le patriarche Ernest, le médecin homo Philip Chemla, le couple Toscano au bord de la rupture… A la manière d’un jeu des sept familles, la lectrice parcourt ce roman particulièrement rythmé. Dans un style cynique, Yasmina Reza raconte, avec une bonne dose de dérision, ces morceaux de vie tellement proches de notre réalité de mortels. Ne croyant ni au bonheur, ni au couple, l’auteure détaille l’absurdité de la vie avec humour. « Etre heureux, c’est une disposition. » Un roman, bourré d’émotions, qui ne laisse pas indifférent. Sélection Prix « Libraire en Seine » 2013.

Jane Eyrotica. C. Brontë & K. Rose

Jane Eyrotica - Charlotte Brontë

Premier roman érotique de ce blog. Karena Rose revisite le roman de Charlotte Brontë en lui donnant une dimension sensuelle et sexuelle. La lectrice redécouvre, avec plaisir, ce texte du XIXème siècle qui rencontra, à l’époque, un succès considérable. Jane Eyre est l’héroïne et la narratrice de ce roman. Son enfance malheureuse d’orpheline la condamne, dans un premier temps, à une existence de rêves et de fantasmes. Docile, elle s’abandonne, très jeune, à ses désirs. Ses longues années d’interne à l’Institut Lowood la mène à Thornfield Hall où elle devient gouvernante. Une intrigue amoureuse commence, alors, avec le maître de maison, Mr Rochester. Le roman d’origine est complexe et se base sur plusieurs mythes dont celui de l’exil et du retour. En toile de fond, Charlotte Brontë expose la condition féminine de cette époque, en Angleterre. Karena Rose vient y ajouter une touche érotique et donne, ainsi, une certaine profondeur à l’amour qui unit Jane à Mr Rochester. Pourquoi pas?

Les désorientés. A. Maalouf

Les désorientés, roman

Très beau roman dont l’auteur est un académicien élu en 2010. Amin Maalouf a fui le Liban en guerre pour arriver en France en 1976. Après la publication de nombreux romans, il a obtenu en 2010 le prix « Prince des Asturies » pour l’ensemble de son oeuvre.  Dans « Les désorientés », le narrateur, Adam, est appelé au chevet de son meilleur ami, Mourad. Après trente-cinq ans d’absence, il revient dans son pays natal sans jamais le nommer. Entre nostalgie et désillusion, l’auteur raconte, dans ce roman intimiste, les retrouvailles de ces « désorientés » qui croyaient en un monde meilleur. Les notes et réflexions du narrateur ponctuent le récit et nous éclairent sur le passé des protagonistes mais également sur l’état d’esprit d’Adam durant seize jours. La limpidité du style et la richesse émotionnelle entraînent la lectrice dans une réflexion profonde à propos de thèmes universels: l’enfance, l’amour, la fidélité, l’amitié, la foi, les origines, l’argent, l’avenir du monde…Certains personnages, comme Albert, sont véritablement attachants. A travers l’histoire personnelle de chacun, l’auteur démontre à quel point la vie réserve des surprises; à la fois délicate et cruelle. Un roman qui questionne et offre un lumineux moment de lecture. Coup de coeur! Sélection Prix « Libraire en Seine » 2013.

Suite à un accident grave de voyageur. E. Fottorino

Suite à un accident de voyageur, Éric Fottorino

Eric Fottorino nous a particulièrement ébloui avec son roman « l’homme qui m’aimait tout bas » (cf ce blog). Sa plume poétique et son humanisme caractérisent sa personnalité et son style littéraire. Ce petit livre, d’une soixantaine de pages, est un document qui nous interpelle à propos d’accidents graves de voyageur. Tous les « RERiens » et toutes les « RERiennes » ont été confrontés à ces annonces qui taisent le drame et provoquent des réactions en chaîne parfois surprenantes. Eric Fottorino, usager régulier et sensible de la ligne A, s’interroge sur ces suicides qui ont « proliféré comme une épidémie. » Il cherche à identifier, sans succès, ces gens devenus « impuissants à se trouver la plus petite raison de poursuivre le chemin. » Au-delà des rumeurs, l’auteur scrute leurs visages dans l’oeuvre d’Edward Hopper. Il cherche les mots derrière le silence et nous émeut: « Il est des voyages autour de soi d’où l’on ne revient jamais. La foule était immense mais ils n’ont vu personne et personne ne les a entendus. » Seul le passage lié aux échanges sur forum est un peu long. Eric Fottorino nous parle, avec compassion, de notre société individualiste face à la mort, à la souffrance et la douleur. Un livre à lire, sur la ligne A, entre Cergy et Marne-la-vallée.

 

Arrive un vagabond. R. Goolrick

Robert Goolrick - Arrive un vagabond.

Nous sommes à Brownsburg, une ville paisible de Virginie, au cours de l’année 1948. Charlie Beale arrive au volant de son pick-up, comme un vagabond, chargé de deux valises pleines de matériel de boucher et d’argent. Le talent de Robert Goolrick repose, d’abord, sur la construction de ce roman aux allures paisibles et descriptions bucoliques. Il installe le décor, le cadre de l’intrigue, sereinement. Ses personnages sont des gens simples, noirs et blancs, pieux, honnêtes et bienveillants. L’auteur dépeint, avec justesse, les failles et paradoxes humains de cette tragédie en marche. Charlie va travailler dans la boucherie de la ville et se lie d’amitié avec Alma, Will et leur fils, de cinq ans, Sam. Tout se passe merveilleusement bien au début de ce roman écrit dans un style particulièrement poétique. La lectrice se retrouve à côté de Charlie « ..près du pick-up, dans le noir, dans le chant sonore des criquets et le murmure des papillons de nuit qui faisait comme un friselis dans son coeur… »  Cette atmosphère va pourtant devenir de plus en plus pesante lorsque Sylvan Glass pousse la porte de la boucherie. Sam va devenir, chaque mercredi, l’alibi du couple adultère. Robert Goolrick nous donne la vision de ce petit garçon à qui Charlie demande de préserver le secret, et de mentir, pour mener cette passion à la tragédie et à une enfance fracassée. A travers le personnage de Sylvan, l’auteur traite de la recherche d’identité, des origines, de la légèreté, des apparences. Sylvan est une jeune femme perdue, obnubilée par le cinéma et ses actrices dont elle copie les parures chez sa couturière noire. Elle vit dans ses fantasmes: « …la vraie raison de ses actes était qu’elle préférait le fantasme du film de son imagination à la réalité de Charlie Beale. » Le personnage principal, Charlie, est un garçon simple, habité par la bonté et qui sera la première victime de cette passion dévastatrice. Sam est évidemment le personnage le plus touchant, désarmé face à ce monde d’adultes dont il ne comprend pas encore les codes. Excellent moment de lecture. Suspense et montées d’adrénaline. Coup de coeur! Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013. Prix « Libraire en Seine » 2013.

Dans le jardin de la bête. E. Larson

Erik Larson propose un document historique qui recrée la trame et l’étoffe de la vie à Berlin pendant l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler. L’auteur se focalise sur les années 1933 et 1934 au moment où Roosevelt nomme son Ambassadeur en Allemagne nazie: William E. Dodd. La famille Dodd composée du père, de la mère et de leurs deux enfants s’installe, sans fastes, à Berlin. A travers le regard de l’Ambassadeur Dodd et de sa fille Martha, la lectrice est replongée dans une époque peu connue, de complots, de trahisons et de mensonges, qui culminera jusqu’à « la nuit des longs couteaux ». Pendant que Dodd cherche désespérément à prévenir le département d’Etat américain des persécutions envers les Juifs, Martha ne cesse de s’amuser et de séduire des nazis et autres protagonistes de la future guerre. Ce qui frappe dans ce document, c’est l’assiduité avec laquelle l’auteur fournit un travail d’une grande précision pour reconstituer un moment clé de l’histoire. Ce document, épais, arrive à captiver par sa construction en nombreux chapitres aux références multiples. Ce livre est avant tout le portrait d’un homme, William E. Dodd, qui apparaît humain, bien que parfois naïf, et dont le combat contre le nazisme ne cessera qu’à sa mort en 1938. Malgré le sujet, Erik Larson arrive à capter notre intérêt tout au long de la lecture de ce document sidérant. Sélection Grand Prix des Lectrices du « Elle » 2013.